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Elle ne voulait pas mourir en prison

Atteinte de pathologies chroniques, Lucile, 76 ans, est décédée d’un arrêt cardiaque dans sa cellule le 30 août 2015. En mai, le juge avait refusé de réduire sa période de sûreté*, la privant de la possibilité de voir sa peine aménagée rapidement.

« J’ai peur de mourir ici », répétait-elle à sa visiteuse. Souffrant d’une forme grave de diabète, d’obésité et d’hypertension, Lucile, 76 ans, avait entrepris d’obtenir une réduction de sa période de sûreté afin de demander une libération conditionnelle lui permettant d’être soignée dans un environnement adapté, hors des murs de la prison. En vain : elle est décédée en détention des suites d’une aggravation de son état de santé. Les démarches, longues et compliquées, en vue d’obtenir une mise en liberté n’ont pas pris en compte l’urgence de sa situation.

« J’ai peur de mourir ici »

Condamnée en 2009, Lucile est déjà malade lorsqu’elle est incarcérée. Mais la prise en charge de ses nombreuses pathologies est compliquée par l’environnement carcéral. Lucile est sujette à des malaises : en 2013, elle tombe dans le coin douche suite à une baisse de glycémie sans pouvoir donner l’alerte. En Bretagne, où elle est ensuite transférée, il n’y a ni  ascenseur, ni sanitaires adaptés à son problème d’obésité. « Il me tarde de pouvoir partir d’ici vu que je ne peux ni monter ni descendre les marches », confie-t-elle alors à sa correspondante. Au dernier centre pénitentiaire où elle est affectée, en mars 2014, elle est placée dans la seule cellule femme destinée aux personnes à mobilité réduite. Mais les difficultés de prise en charge se multiplient… Le diabète, lorsqu’il est mal contrôlé, peut être responsable de graves complications podologiques et de problèmes visuels. Or, le podologue en place au centre pénitentiaire n’a pas l’agrément pour les soins des pieds diabétiques et Lucile n’a pas les moyens de s’acquitter des 29 € que lui coûterait la consultation d’un podologue habilité venant de l’extérieur. Du côté ophtalmologique, elle n’a toujours pas, en juillet 2015, les lunettes de vue qui lui ont été prescrites en mars 2014.

© Grégoire Korganow

Son régime alimentaire semble également difficile à établir et faire respecter. Les multiples prescriptions médicales ne sont pas toujours suivies d’effet : « la collation se résume à trois carrés de fromage », écrit-elle, tandis que le certificat médical prescrit d’éviter le fromage. Un soir, on lui sert des moules alors que son régime interdit poissons et crustacés, auxquels elle est allergique. Si bien qu’elle se contente de manger du pain. « Pour le diabète c’est une catastrophe », explique un médecin contacté par l’OIP. Sa santé se dégrade et son diabète s’aggrave, passant de 20 à 80 unités en quelques mois. « C’est énorme », commente le médecin, qui précise que « le diabète est une maladie grave – dont on peut mourir – et difficile à prendre en charge en détention ». Son obésité aussi empire. Elle pèse bientôt plus de 100 kg.

Fin avril 2015, lors de l’audience pour réduire sa période de sûreté, sa situation n’est pourtant pas jugée problématique. « On nous a ri au nez sur ses problèmes de santé », alors que Lucile avait fait un malaise « la veille même de l’audience », confie son avocate. Sa demande est refusée. Lucile fait appel.
Les pertes de connaissance deviennent de plus en plus fréquentes, jusqu’à « un très gros malaise en juin ». Lucile ne porte pas les bas de contention qui lui sont prescrits car, seule, elle ne peut les enfiler. En juillet, les températures caniculaires l’exténuent : « Je suis très fatiguée, je supporte de moins en moins la chaleur, j’arrive tout juste à marcher », témoigne-t- elle. L’examen de son appel se fait toujours attendre. Le mois suivant, dimanche 30 août 2015, elle décède d’un arrêt cardiaque dans sa cellule. « Le diabète diminue la sensation de douleur si bien qu’on peut faire un infarctus sans le sentir », explique le médecin. Les pompiers et le Samu, intervenus en l’absence de permanence médicale de l’unité sanitaire le week-end, n’ont pu la ranimer à temps.

* Période pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine ni de réduction de peine.