La prison par les prisonniers : la question du respect de la dignité en prison vue par les personnes détenues.
Honte et haine
Les fouilles à nu sont toujours des moments très difficiles qui convoient la haine et nourrissent l’humiliation. Vous ne savez jamais quand viendra votre tour. Sachant que vous n’avez que trois douches par semaines, parfois vous êtes sale, vos habits aussi, mais vous n’avez pas le choix. Ce sentiment de honte et de haine que vous éprouvez face à ce surveillant qui palpe votre caleçon en tirant une tête dégoûtée ! Désormais, vous serez quelqu’un qui pue et ce sera les discours, les moqueries des surveillants, qu’ils exprimeront sans subtilité. Mais cela reste minime comparé aux ERIS *. Eux vous écartent les jambes, vous passent une lumière sur l’anus et, avec cette même lumière, vous regardent la bouche. On vous laisse à nu, vos vêtements jetés sur des bancs répugnants, dans une odeur de pisse qui vous brûle les narines. Vos pieds sont au contact de toute cette crasse, c’est hyper violent. — S. H.
* Équipes régionales d’intervention et de sécurité, sorte de GIGN de l’administration pénitentiaire chargé d’intervenir en cas d’incident dans un établissement en renfort du personnel de surveillance.
Injustifié
J’ai subi des fouilles à nu systématiques après la visite de ma famille ou de mon ministre du culte. Ces fouilles corporelles se faisaient dans des boxes non cloisonnés. On se moquait de nos fondements physiques. Ce genre de pratique est humiliant, j’ai fait condamner le directeur du centre de détention. Mais ce dernier a continué à pratiquer les fouilles corporelles après chaque parloir malgré la condamnation. J’ai raté un élément : comment une administration peut-elle refuser d’appliquer un jugement ? — R. M.
Arbitraire
En sortant d’un parloir famille, j’apprends que je figure sur la liste des personnes à fouiller systématiquement suite à la découverte, lors d’un précédent parloir, soit de stupéfiants, soit d’un portable. Ne me sentant pas concerné, je refuse la fouille et demande à voir le chef des parloirs. Refus de la part des surveillants, au prétexte qu’en l’absence du chef ce jour-là, ils décident eux-mêmes. Si je n’accepte pas la fouille intégrale, je suis menacé d’être envoyé directement au quartier disciplinaire… Je m’exécute, non sans manifester mon mécontentement. J’écris à la cheffe de détention pour lui signaler ce dysfonctionnement, puisque rien n’a été trouvé sur moi ou dans ma cellule, ni cette fois, ni jamais. Une semaine plus tard, je n’étais plus sur la liste de personnes à fouiller, sans autre forme de procès ! Je n’ai jamais pu obtenir d’explication écrite ou orale sur le sujet. — Alain Térieur
Arrangements
Certains surveillants prennent un malin plaisir à vous foutre à poil, d’autres vous font entrer dans la pièce, vous disent tout bas d’attendre, et vous laissent repartir sans vous avoir fait vous déshabiller, ils causent avec vous. Cela permet aux autres détenus de croire que tout le monde y passe. — P. L.
Dégradant
J’ai 50 ans maintenant. Je ne fume pas, je ne me drogue pas, je n’ai jamais utilisé de téléphone portable : eh bien, on me met à nu. On me demande de soulever mes parties génitales, d’écarter mes fesses, au cas où j’aurais caché de la drogue, des armes… C’est dégradant. C’est humiliant. — J. V.
Inutile
En maison d’arrêt, on est systématiquement palpé, voire fouillé à nu au parloir : sentiment d’humiliation partagé par le détenu et le surveillant (car j’imagine qu’ils n’apprécient pas cela ; d’autant plus que dans l’immense majorité des cas, c’est inutile). — S. A.
Une violence d’État
Tout le monde s’accorde pour reconnaître que la fouille à nu constitue une pratique dégradante. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a notamment rappelé qu’il n’y a « aucune difficulté à concevoir qu’un individu qui se trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dans son intimité et sa dignité, tout particulièrement lorsque cela implique qu’il se dévêtisse devant autrui, et plus encore lorsqu’il lui faut adopter des postures embarrassantes » (1). Toutefois, les pouvoirs publics n’ont pas banni cette pratique en prison. Des expérimentations de moyens de détection électronique pour que les détenus n’aient plus à se déshabiller ont été annoncées. Mais concrètement, rien n’a été fait. La loi pénitentiaire de 2009 comportait quelques avancées. Pour mettre un terme à la systématicité des fouilles à l’issue des parloirs notamment, le législateur avait inscrit un principe de nécessité. La fouille d’une personne ne pouvait être justifiée que par la « présomption d’infraction » ou « les risques » spécifiques que son comportement faisait « courir à la sécurité ». En d’autres termes, la démarche devait être motivée, individualisée et circonscrite dans le temps. Régulièrement bafouée par l’administration pénitentiaire, réfractaire à l’évolution, cette règle a depuis volé en éclat. En juin 2013, la Chancellerie a autorisé un régime exorbitant permettant des fouilles à nu systématiques pendant plusieurs mois vis-à-vis de personnes jugées à risque. Puis, cédant aux sirènes sécuritaires, le Parlement a, en juin 2016, de nouveau autorisé le recours à des fouilles à nu dans des lieux comme le parloir, en dehors de toute considération de personnalité, quand il existe des « raisons sérieuses de soupçonner l’introduction d’objets ou de substances interdits » dans la prison. Les parloirs étant un lieu de porosité entre le dedans et le dehors, la justification est facile… Pourtant, la proportion de parloirs donnant lieu à des saisies est très faible. De l’ordre de 0,16 % dans la plus grande prison du pays, Fleury-Mérogis. Pour le Contrôle général des lieux de privation de liberté, l’enjeu de la résistance de l’administration pénitentiaire, de la volonté des syndicats de surveillants de retrouver les coudées franches, se situe ailleurs : « la fouille peut constituer pour le personnel un moyen de rétorsion ». Imposer une fouille, c’est rappeler « le pouvoir exorbitant de celui qui l’ordonne. C’est montrer de quel côté se trouve l’autorité, autorité d’autant plus grande que la consigne consiste justement à « désarmer » l’autre, en le rendant vulnérable ; autorité d’autant plus générale qu’elle est sans rapport nécessaire avec le comportement mais seulement avec des situations : toute personne détenue provenant d’un parloir passe par la fouille intégrale, qu’elle soit calme ou violente, pacifique ou menaçante, prévenu primaire ou criminel endurci » (2). – OIP-SF
(1) Notamment CEDH, 12 juin 2007, Frérot c/France, n°70204/01.
(2) CGLPL, Le personnel des lieux de privation de liberté, 2017.
- Lire notre note sur le cadre juridique et les pratiques des fouilles intégrales en détention.