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Il défend les détenus de la prison la plus surpeuplée de France : Interview de Thibaud Millet, avocat en Polynésie

Avocat en Polynésie, où il a prêté serment il y a cinq ans, Thibaud Millet agit pour faire reconnaître par la justice l'indignité des conditions de détention au centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania, la prison la plus surpeuplée de France. Non sans difficultés, il a engagé depuis deux ans, avec son associé Bruno Loyant, plus de 350 requêtes en indemnisation auprès du tribunal administratif de Papeete. Au 1er août 2015, 443 détenus s'entassent dans les 147cellules de ce centre pénitentiaire vétuste, mis en service en 1970.

OIP : Selon vous, comment fonctionne la justice en Polynésie française ? Existe-t-il des différences avec l’hexagone ?
Thibaud Millet : Papeete est une petite juridiction. Une petite cour d’appel, sans beaucoup de spécificités. Nous rencontrons les mêmes situations et difficultés que dans toute petite cour d’appel. Pour ce qui concerne le droit administratif et le droit pénitentiaire, n Il existe également une juridiction à Raiatea et une autre aux Îles Marquises, qui traitent assez peu d’affaires, ainsi que deux tout petits établissements pénitentiaires qui accueillent quelques détenus. Raiatea est un établissement quasiment ouvert, ce qui est intéressant et assez novateur. Le territoire de la Polynésie est très vaste, et tout y est centralisé, ou presque, à Papeete. Ce qui crée des difficultés pour les habitants des îles éloignées dans l’accès à la justice. Nous sommes régis par les mêmes règles (que celles qui s’appliquent en métropole).

Je dois souvent rappeler que l’objectif est d’avoir des conditions de détention dignes, propices à la réinsertion.

OIP : Notez-vous des particularités sur le type de délinquance ou de criminalité en Polynésie ?
T.M. : La délinquance est axée principalement sur les stupéfiants, le cannabis et l’Ice. C’est une particularité ici, le trafic d’Ice, drogue de synthèse qui vient des États-Unis. Il y en a peu en métropole, mais c’est très répandu ici. Ensuite, beaucoup de délinquance sexuelle. Des viols intra-familiaux. Quand on fait du pénal, on travaille essentiellement sur des affaires de stupéfiants et des délits sexuels intra-familiaux. L’homme adulte qui abuse des enfants du foyer. La promiscuité est grande et les maisons sont petites. Il est fréquent que cinq ou six personnes vivent dans la même pièce. Par exemple, l’oncle qui dort avec les deux ou trois enfants de la maison, cela donne lieu à pas mal d’abus.

OIP : Comment ressentez vous les choses au niveau de la situation pénitentiaire ?
T.M. : Une première particularité concerne la pénurie d’alternatives à la détention. Un exemple : il y a encore peu de temps, le bracelet électronique n’était pas accessible car il n’y avait pas les moyens techniques pour le mettre en place, en raison du manque de lignes téléphoniques et de liaisons par satellite. Cela n’avait pas été anticipé, et il n’y a pas eu de véritable volonté de le mettre en place rapidement. Un manque de volonté et de moyens qu’on retrouve également
pour les autres mesures d’exécution ou d’aménagement des peines. C’est d’autant plus grave que chaque mois, Nuutania présente le taux de surpopulation le plus important de France. J’ai vraiment l’impression que nous sommes des laissés pour compte en matière de politique pénitentiaire. Ce sentiment que l’état a longtemps considéré qu’en outremer on pouvait se permettre d’avoir des taux de surpopulation excessifs et inadmissibles. La principale particularité, elle est là.

Chaque mois, Nuutania présente le taux de surpopulation le plus important de France.

© CGLPL

OIP : Comment vous êtes-vous engagé dans la défense des droits des personnes détenues ?
T. M. : Devenu avocat, j’ai rapidement fait beaucoup de pénal, et la situation des personnes détenues m’a tout de suite sauté aux yeux. Bien que la situation soit extrêmement choquante en Polynésie, peu de gens s’y intéressent. Contacté par une personne détenue à Nuutania, j’ai fait une demande d’expertise afin de faire établir la réalité de ses conditions de détention. Mais l’expertise m’a été refusée alors même que ça se faisait en métropole. C’est à cette époque que j’ai commencé à échanger avec l’OIP. Puis l’association Tamarii Nuutania m’a contacté pour engager des recours pour de nombreux détenus qu’ils suivaient, et ça m’a définitivement mis le pied à l’étrier.

OIP : Où en sont aujourd’hui les recours que vous avez déposés ?
T. M. : 350 dossiers sont ouverts au cabinet, et chaque semaine de nouvelles personnes détenues nous écrivent. Je pense que le nombre de requêtes va encore augmenter cette année. A ce jour, 49 millions de francs pacifique (à peu près 400 000 euros) d’indemnisations ont été octroyés par le juge. Mais une difficulté nouvelle est apparue : lorsque les détenus sont par ailleurs condamnés à des amendes, le trésor public saisit partiellement ou intégralement les indemnités entre les mains du ministère de la justice. Même si ça permet à ces détenus de payer leur dette, je pense qu’ils auraient bien besoin d’une partie au moins de ces indemnités pour vivre.

OIP : Il apparaît qu’on vous a mis des bâtons dans les roues dès les premières procédures…
T. M. : Les difficultés ont commencé dès le début de l’action avec l’association Tamarii Nuutania. Les premiers courriers qu’ils ont
envoyés à des détenus, qui étaient pourtant membres de l’association, ont été bloqués par l’administration pénitentiaire, qui les a transmis au procureur, à sa demande. Le Parquet Général a déposé une plainte auprès du Bâtonnier, contre notre cabinet d’avocats, pour démarchage illégal. Des tentatives de pression ont été exercées sur les représentants de l’association. Le secrétaire général, qui travaillait au SPIP, a reçu la visite d’un membre du STIG (anciennement renseignements généraux) qui lui a clairement expliqué que s’il n’arrêtait pas ses actions, il perdrait son emploi. Ce qui est arrivé le lendemain. Le président de l’association, ancien détenu, a reçu des menaces de révocation de sa conditionnelle. On a alors saisi toutes les autorités possibles pour dénoncer cette tentative d’intimidation et finalement obtenu gain de cause. Mais ça a été des mois difficiles.

Aujourd’hui, le ministère de la justice reconnaît sa responsabilité dans le fait que les conditions de détention ne sont pas conformes.

OIP : Quel était le motif de la plainte ?
T. M. : Le procureur de la République a considéré que ça pouvait nous rapporter de l’argent. Il nous reprochait de faire du démarchage indirect, le président de l’association proposant nos services et conseillant à ses membres (les détenus) de se tourner vers nous. Tout cela a été jugé complètement fantaisiste par le Bâtonnier, qui a considéré que notre démarche était au contraire conforme à notre déontologie, qu’il fallait l’encourager et qu’il n’y avait aucun reproche à nous faire. Il a renvoyé le procureur dans les cordes. Il y a sans doute eu une volonté d’éviter tous ces recours. Je pense que les services de l’état ont eu une réaction fébrile et maladroite, finalement rectifiée ensuite. Aujourd’hui, le ministère de la justice reconnaît sa responsabilité dans le fait que les conditions de détention ne sont pas conformes. Ça tranche un peu avec le départ. On aurait bien aimé éviter ça. Ça a été une période vraiment dure à vivre.

OIP : Vu de l’hexagone, on a un peu l’impression que malgré des conditions de détention terribles, il y a très peu de réactions.
T. M. : Culturellement, le peuple polynésien est assez paisible. Les gens ont une capacité étonnante à encaisser des conditions de vie très difficiles sans se plaindre, sans formuler de revendications, sans s’apitoyer sur leur sort. On levoit au niveau social et politique. En ce qui concerne la prison, on ne les a quasiment pas entendus pendant toutes ces années. Malheureusement pour eux, les dirigeants et l’opinion publique en ont déduit que ça ne devait pas être si mal et qu’ils vivaient plutôt bien leurs conditions de détention. On réalise enfin, avec leurs réponses aux questionnaires de l’OIP sur les conditions de détention, qu’il y a énormément de problèmes et qu’ils vivent très mal la détention. Simplement, ils ne le formalisaient pas, et on ne leur demandait pas. Du coup, vu de l’extérieur, ça donnait l’impression que tout se passait bien.

OIP : Quelles sont, selon vous, les mesures les plus urgentes qu’il faut prendre face à la situation ?
T. M. : La construction d’une nouvelle prison à Papeari est en cours. C’est annoncé depuis de nombreuses années mais ce n’est toujours pas ouvert. Quant aux travaux de rénovation de Nuutania, ils sont régulièrement annoncés, puis annulés, puis remis au programme. Mais on ne peut pas se contenter de dire qu’une prison va bientôt ouvrir et attendre. Il y a d’autres choses à faire. Tout d’abord au niveau de la politique pénale, favoriser et recourir massivement aux autres formes de peines. En Polynésie, on a mis des années à les prendre en compte. Aujourd’hui on s’en sert de manière encore trop limitée, bien qu’on ait une situation carcérale intenable. Si on indemnise des détenus à Nuutania, c’est bien qu’on reconnaît une faute, qu’on a conscience du fait que les conditions de détention sont contraires à la loi, contraires aux droits de l’homme et que le fait d’envoyer quelqu’un là-bas n’est pas normal. Il faut en finir avec cette politique du tout-carcéral. La deuxième chose à faire évidemment, ce sont les travaux de rénovation à Nuutania. Même si on a un nouveau centre pénitentiaire, Nuutania demeurera comme maison d’arrêt. Ca ne peut pas rester dans cet état de vétusté. Il suffit de lire le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour réaliser à quel point des travaux sont nécessaires.

Il faut en finir avec cette politique du tout carcéral

OIP : Y a-t-il d’autres points que vous souhaitez aborder ?
T. M. : Une troisième urgence : faire oeuvre de pédagogie auprès de la population. Régulièrement, quand j’interviens dans les médias sur ces sujets, on me dit que la prison n’est pas là pour être confortable. Je dois souvent rappeler que l’objectif est d’avoir des conditions de détention dignes, propices à la réinsertion. Qu’on puisse avoir accès à l’éducation, à internet, à des ordinateurs, à des formations directes, par correspondance ou par internet, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le premier client que j’avais défendu avait passé une capacité en droit en détention. Il a voulu poursuivre par une licence par correspondance, mais ça lui a été refusé, parce qu’il n’y a pas les moyens informatiques pour le faire. Il a encore 6 ou 7 ans à purger, il aurait voulu aller plus loin mais ne peut pas le faire. C’est fou. L’administration se félicite du fait que quelques dizaines de détenus suivent un enseignement de niveau primaire à Nuutania. C’est très bien que ceux qui en ont besoin apprennent à lire, mais il faut aller beaucoup plus loin.