Michel, bipolaire, a été incarcéré en avril, en pleine crise de décompensation. Sa fille tente en vain d’obtenir des nouvelles de lui par la prison, mais elle se heurte à un mur de silence qui durera près de trois semaines, pendant lesquelles l’état de Michel s’aggravera. Une histoire qui rappelle le peu de considération réservé aux familles de détenus et, surtout, que la prison est un lieu fondamentalement incompatible avec la maladie, a fortiori psychique.
« Mon père a soixante ans. Il y a quinze ans, il a été diagnostiqué bipolaire et est depuis pris en charge médicalement. Ces derniers temps, il était assez bouleversé, agité. Il disait qu’il entendait des voix. Il est parti de la maison une première fois durant quatre jours. À ce moment-là, nous avons voulu qu’il soit hospitalisé, mais ça n’a pas marché. Il est parti une seconde fois, et nous n’avons plus eu de nouvelles. J’ai fini par appeler la gendarmerie pour signaler sa disparition. Au bout de deux heures, les gendarmes m’ont rappelée. Mon père n’avait pas disparu : il avait été arrêté le 9 avril, placé en garde à vue, jugé en comparution immédiate le 12 avril et incarcéré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse. On a appris par la suite, dans un article de presse, qu’il avait été condamné pour des infractions au code de la route et condamné à deux ans de prison dont un ferme.
J’ai alors cherché à prendre des nouvelles de mon père auprès de la prison. En pleine crise, il ne pensait pas à nous contacter. Je ne connaissais pas le système carcéral français. J’ai d’abord appelé l’accueil, puis le greffe et pour finir le Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation]. Là, on m’a dit que mon père n’avait pas demandé à informer qui que ce soit de sa situation, qu’ils n’avaient donc pas le droit de me donner plus d’éléments. Je suis tombée sur une personne très gentille, je lui ai expliqué la maladie de mon père et elle m’a dit qu’elle allait reposer la question aux surveillants, et que si mon père était d’accord, elle me donnerait des nouvelles.
Entre temps, le 19 avril, j’ai réussi à retrouver l’avocat qui l’avait défendu en comparution immédiate. Il m’a dit que mon père était clairement surexcité au moment du jugement, qu’il était complétement incohérent. Il lui avait parlé une demi-heure avant l’audience, et mon père avait été incapable de lui dire ce pour quoi il était là. L’avocat m’a surtout dit qu’il sortait, à l’instant, d’une audience en commission de discipline avec mon père : ce dernier avait eu une altercation avec des surveillants le 17 avril. Il avait été hospitalisé à la suite de l’intervention des surveillants, qui se seraient mis à huit pour le maîtriser. À son retour, il a été condamné à trente jours de quartier disciplinaire. L’avocat m’a dit que mon père avait les yeux au beurre noir, des bleus partout.
Les Cpip [conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation], que j’appelais au téléphone tous les jours, avaient l’air démuni, sans contact avec le service médical et sans réponse de leur direction. Elles semblaient prises en étau entre nous, qui les harcelions pour avoir des nouvelles, et la procédure qui leur interdisait de communiquer… Du coup j’ai tenté un coup de poker, je me suis dit que les adresses mail fonctionnaient toutes sur le même modèle, et j’ai écrit au directeur de la prison – en lui disant que j’avais bien conscience de leurs difficultés, mais qu’incarcérer une personne malade en pleine décompensation n’était pas la bonne solution. Nous avons aussi contacté une avocate, qui a tenté de joindre mon père. La prison a refusé, car elle n’avait pas été désignée par mon père – mais il était incapable de le faire lui-même, c’était le serpent qui se mordait la queue !
Le 6 mai, nous avons appris, par la presse locale, qu’il avait eu une nouvelle altercation en détention. C’est ma tante qui m’a envoyé l’article, en me disant : « Je ne sais pas si c’est ton père, mais dis-moi ce que tu en penses. » Là, le ciel nous est tombé sur la tête. L’article parlait de « guet-apens », de simulation de suicide. Il était complètement à charge et se basait uniquement sur un tract du syndicat FO-Pénitentiaire. À aucun moment, il ne prenait en compte l’état psychiatrique de mon père, le contexte… On l’a juste fait passer pour quelqu’un de fou, il était totalement déshumanisé. Pour la famille, ça a été un choc. On s’est dit « ce n’est pas possible, ça fait trois semaines qu’on essaie d’avoir des nouvelles, et c’est par un tract syndical qu’on en obtient ». J’ai réécrit à la direction, en leur disant que c’était inadmissible d’avoir si peu de considération pour les familles et qu’il fallait qu’ils prennent la mesure de la situation psychiatrique de mon père.
Lorsque la direction m’a enfin rappelée, à la mi-mai, c’était pour m’informer qu’il venait d’être transféré à l’UHSA [unité hospitalière spécialement aménagée pour prendre en charge des personnes détenues souffrant de troubles psy]. Elle a admis qu’il y avait probablement eu un problème de communication entre les services administratifs et le service médical, puisque nous avions signalé à de multiples reprises à la prison que mon père était malade et sous traitement, sans que l’unité sanitaire ne soit immédiatement alertée. Elle précisait toutefois qu’en raison du secret médical, ils n’avaient pas accès à tous les éléments. En revanche elle ne s’est jamais excusée pour le manque d’informations, en nous opposant que mon père ne voulait prévenir personne et qu’ils n’étaient donc pas en position de nous donner des nouvelles.
Actuellement, il est à l’UHSA, sa compagne a pu l’avoir un petit peu au téléphone et depuis, on est vraiment rassurés. Parce que l’on sait qu’il est pris en charge par des personnes compétentes et bienveillantes, qui comprennent sa pathologie et le gèrent, et qui ne vont pas le tabasser parce qu’il a fait un geste de travers ou qu’il n’a pas le comportement adéquat. Mais toute cette histoire a été très difficile à vivre. Je me dis que si vous n’êtes pas quelqu’un de débrouillard, parlant bien français et capable de faire des démarches administratives, d’envoyer des mails ou passer des appels, si vous n’avez pas cette capacité à chercher, à poser des questions à des dizaines de personnes… et bien vous n’avez jamais l’information. Et même en faisant ça, nous n’avons pu avoir des nouvelles qu’après son transfert à l’hôpital. »
recueilli par Charline Becker