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Léna, soeur de détenu : « J’ai eu l’impression d’être en prison avec mon frère »

Le frère de Léna, Julien, a été incarcéré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse à l’automne 2010. La détention de son frère de 25 ans a chamboulé la vie de Léna, qui s’est consacrée à l’aider et à gérer son entreprise pendant ses trois ans et demi de prison. Depuis sa sortie sous surveillance électronique, il habite chez elle, il n’arrive plus à vivre seul et à se prendre en charge.

OIP  : Comment viviez-vous avec votre frère avant son incarcération  ? 

Lena  : Ma mère, Julien et moi, on vivait tous les trois ensemble dans un appartement, et on avait tous un travail. Mais mon frère s’est souvent retrouvé au chômage, après un licenciement économique ou la fin de petits contrats. C’est pour cette raison qu’il avait décidé de créer sa petite entreprise de livraison un peu avant son arrestation. Ce n’était pas tous les jours évident à la maison quand il se retrouvait sans emploi. Il dormait, il ne nous aidait pas, j’étais toujours derrière lui pour le motiver et l’aider à trouver du travail. Par moments, on était obligées de lui donner de l’argent, pour éviter qu’il aille voler. C’était le seul garçon chez nous et je pense qu’il a été un peu trop gâté.

Comment avez-vous appris l’arrestation de votre frère  ? Avez-vous été surprise  ? 

Oui, beaucoup. Il avait déjà eu des problèmes avant, mais ça n’avait rien à voir, c’était pour des petites choses. Un dimanche soir, il est sorti et on s’est rendu compte qu’il n’était toujours pas rentré le lundi matin, alors qu’il commençait son travail à 6 heures. On s’est inquiétées, il ne répondait pas au téléphone. On a donc appelé les hôpitaux et la gendarmerie. C’est un gendarme qui nous a dit qu’il avait été arrêté. Il s’est fait prendre en flagrant délit avec 800 g de stupéfiants. Nous n’étions pas du tout au courant qu’il trafiquait. Ils l’ont placé en garde à vue 72 heures et après il est parti à la prison de Bourg-en-Bresse. Il y est resté jusqu’au jour du jugement, pour y être de nouveau incarcéré après sa condamnation.

Comment s’est déroulé le procès  ? 

Il y avait beaucoup d’accusés et mon frère était décrit comme le meneur. Le procès devait se dérouler sur deux jours, mais finalement il n’a duré qu’une journée, jusqu’à tard le soir. Mon frère a pris la plus grosse peine, quatre ans. Quand les juges l’ont annoncé, ma mère a crié, «  quatre ans  !  ». Elle est restée bloquée sur ce chiffre, ça lui a fait comme un choc. Elle ne s’y attendait pas, la plupart des condamnés ont eu des peines d’un an ou six mois. Le soir-même, elle était malade et les jours suivants aussi. Pendant longtemps, elle nous a caché qu’elle allait vraiment mal. Je pense que l’incarcération de mon frère a été un déclencheur de sa maladie parce que depuis ce jour-là, son état ne s’est pas amélioré. Elle avait un cancer. On ne l’a pas dit tout de suite à mon frère. Mais comme elle faisait de la chimio, elle avait la peau qui devenait plus foncée, et il lui demandait au parloir : « Mais qu’est-ce qu’il t’arrive  ?  ». Alors elle mettait des gants, des vêtements pour cacher.  Des fois, on allait le voir juste après une séance de chimio, et elle faisait tout pour ne pas paraître fatiguée. Pendant un an après le procès, j’ai dû m’occuper de mon frère incarcéré, de ma mère malade, de l’entreprise de mon frère, et aussi de mon travail… C’était compliqué.

Comment s’est passée votre première visite au centre pénitentiaire  ? 

Quand on est parties là-bas pour la première fois, ça nous a fait tout bizarre, on ne pensait pas que c’était comme ça une prison. J’étais impressionnée mais j’avais également un sentiment de honte. J’ai découvert toutes les contraintes pour les familles de détenus. On croyait par exemple qu’on pouvait apporter avec nous de la nourriture, des boissons. Au début, on y allait toutes les semaines, puis tous les quinze jours, voire une fois par mois. La première année, toute la famille pouvait lui rendre visite en même temps, on rentrait à trois adultes et trois enfants. Ensuite, un enfant de 2 ans était considéré comme un adulte et on ne pouvait plus rentrer qu’à trois personnes, enfants compris. On habitait à environ deux heures de route de la prison, ce qui faisait quatre heures pour un aller-retour. Ça nous revenait à 50 euros le trajet, avec le péage et le gasoil. Avec ma mère, on s’est toujours partagé les frais liés à la détention de Julien  : elle payait les mandats et le crédit pour la voiture de mon frère, je payais l’avocat et les frais de route. On était aussi en contact avec lui par téléphone. Il nous appelait environ deux fois par semaine depuis la cabine de la prison. Il avait aussi un téléphone portable qu’il cachait dans ses affaires. Il l’utilisait tous les jours pour nous dire qu’il était en bonne santé et qu’il était vivant.

Qu’est-ce que l’incarcération de votre frère a changé dans votre quotidien  ? 

J’ai dû m’occuper de son entreprise de livraison pendant trois mois et trouver quelqu’un pour le remplacer. Ensuite j’ai trouvé un emploi. Mais en plus de mes heures de travail, j’allais à 5 heures du matin former des chauffeurs à la livraison et j’avais encore tout un tas de choses à faire pour faire tourner l’entreprise. J’ai failli perdre mon emploi, parce que je passais toute la journée à faire des démarches pour mon frère, je ne travaillais plus beaucoup. Comme les gens de mon travail ne savaient pas qu’il était en prison, je leur disais que j’avais des problèmes familiaux. Finalement, on a décidé de fermer l’entreprise au moment du décès de notre mère. Pendant trois ans et demi, j’ai eu l’impression d’être en prison avec mon frère, d’être enfermée moi aussi. Je ne vivais plus. C’est comme si on avait été tous condamnés avec lui. Il avait des problèmes réguliers, j’appelais son avocat tous les jours, sauf le week-end.

Vous venez de parler du décès de votre mère. Votre frère a pu avoir une permission de sortir à cette occasion  ? 

Oui, mais difficilement. On avait fait une première demande quand elle était malade, pour que Julien puisse la voir une dernière fois. La juge d’application des peines (JAP) ne nous a jamais répondu. J’ai dû appeler, harceler, j’ai contacté les médias, le ministère, notre député… Finalement, il y a eu un fax du ministère à la JAP et une autorisation de sortie lui a été accordée pour une journée. Il a fallu faire les mêmes démarches pour qu’il obtienne une permission de six heures pour assister à l’enterrement.

Est-ce que votre entourage savait que votre frère était en prison  ? 

Oui, la plupart étaient au courant. Mais on ressentait une sorte de pitié envers nous. Ma mère l’a en revanche caché à ses employeurs et à d’autres personnes qu’elle côtoyait, d’une certaine classe, pas comme nous. Elle disait que son fils était parti à Chambéry pour travailler. Elle avait honte. Aux clients de l’entreprise de mon frère aussi, on leur a dit la même chose.

Est-ce que votre frère a pu préparer sa sortie  ? 

Il avait contacté un employeur et voulait faire une formation poids-lourds, passer le permis. Mais la conseillère Pôle emploi qu’il a rencontrée lui a dit qu’il devrait être transféré à Roanne pour suivre cette formation. Ce n’était pas pensable pour lui de s’éloigner autant de nous, nos visites se seraient espacées. Donc il a renoncé.

Votre frère est depuis un mois et demi sous bracelet électronique, comment se passe sa réinsertion  ? 

La prison, ça change beaucoup, il n’est plus vraiment le même. On a l’impression qu’il n’est pas sur Terre, qu’il est un peu coupé du monde. Il habite chez moi, on a chacun notre chambre et il reste beaucoup enfermé dans la sienne. Il a aussi la manie de faire le ménage dans sa chambre, comme il le faisait dans sa cellule. Il a appris pas mal de choses en prison  : il a suivi une formation en cuisine, il fait le ménage… Mais j’ai l’impression que maintenant, il lui manque des cases. Il s’énerve plus vite. Quand il est à l’extérieur ou au travail, il s’emporte souvent, il a l’impression que les gens le regardent parce qu’il sort de prison. Il croit que c’est écrit sur son front. Il n’est plus autonome, il ne veut pas rester seul. Une fois, je suis partie en week-end et je l’ai laissé seul. A mon retour, j’ai appris qu’il avait failli brûler la maison et qu’il y avait eu des bagarres devant chez moi. Si je n’étais pas là, je pense qu’il serait perdu. Je crois même qu’il serait retourné en prison. Il faudrait absolument un suivi derrière. Pour se réinsérer dans la société, il y a beaucoup de choses qu’il ne sait plus faire, qu’il a oubliées. Ça fait un mois et demi, ça va un petit peu mieux qu’au début. Mais c’est quand même dur, il est encore dans sa phase «  prison  ».

Recueilli par Amid Khallouf