Free cookie consent management tool by TermsFeed

« Je ne sais pas quand je vais pouvoir revoir mes enfants »

Brenda Wanabo, l’une des responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) accusés d’avoir « commandité » l’insurrection de mai-juin 2024, revient sur son placement en détention provisoire, puis sous contrôle judiciaire, dans l’Hexagone.

« Dans la soirée du 22 juin, après trois jours de garde à vue, je suis passée devant la juge d’instruction qui m’a annoncé mon placement en détention provisoire, tout comme mes camarades [de la CCAT]. Puis le JLD [juge des libertés et de la détention] m’a dit que j’allais être incarcérée… il a cherché avec son doigt sur une feuille devant lui, et il a dit : “À la prison de Dijon.” J’ai ressenti un choc, je me suis mise à pleurer, en disant que j’avais trois enfants et qu’ils avaient besoin de moi tout comme j’avais besoin d’eux. Mais la décision était prise. Ça a été un coup dur, il fallait encaisser la nouvelle, et on n’avait pas moyen de contacter nos proches pour leur annoncer. […]

Les derniers camarades ont dû passer devant le juge vers 2h du matin, puis on nous a fait sortir du tribunal par l’arrière pour nous emmener à l’aérodrome de Magenta. Il y avait des sacs poubelle noirs sur les vitres des véhicules, pour qu’on ne nous voie pas je suppose. Des dizaines de personnes en civil étaient là pour nous prendre en charge, trois par prisonnier. […] Nous avons pris un Transall militaire jusqu’à l’aéroport de La Tontouta, où un plus gros avion nous attendait […]. Il y avait des militaires tout autour, c’était un gros dispositif. Nous avons fait de courtes escales, sans descendre de l’avion, jusqu’à Istres où deux de nos camarades sont descendus […]. De là, nous avons pris un autre Transall jusqu’à Vélizy-Villacoublay. Ils nous ont fait descendre un par un, nous avons été pris en charge par des unités de gendarmerie, et moi on m’a emmenée à la prison de Dijon. Je suis arrivée là-bas le 24 juin, vers 6h45 du matin.

Depuis le début de notre garde à vue le 19 jusqu’à l’arrivée en prison le 24, nous avons passé la plupart du temps menottés. Dans l’avion, pour manger comme pour aller aux toilettes, nous étions menottés. […] La seule fois où ils m’ont enlevé les menottes, c’était à Istres, pour aller aux toilettes, parce que je leur ai dit que j’avais mal aux poignets. Et ils me les ont remises dès que j’en suis sortie.

À la prison de Dijon, on m’a mise à l’isolement, donc je n’avais aucun contact avec les autres détenues, ni avec ma famille. Tous les courriers que j’ai pu envoyer, ils n’ont jamais été transmis à mes enfants, on me les a remis après ma sortie [le 6 juillet]. Parce qu’il fallait que ce soit lu par la juge à Nouméa, et le temps qu’arrive son accord… Je pensais trop à ma petite famille. Mais c’est seulement après ma sortie de prison, quand j’ai été assignée à résidence [chez un proche à Montpellier], que j’ai pu les appeler.

L’isolement, c’est très compliqué au niveau du moral. Même quand je sortais en promenade, 45 minutes par jour, j’étais seule. J’ai voulu m’inscrire à des cours pour passer le temps, ou aller à la bibliothèque, mais ça n’a jamais abouti. Du coup j’étais constamment dans ma cellule. J’ai seulement pu voir deux fois l’aumônière protestante. Mais à partir du moment où Maître Roux est passé me voir, ça m’a beaucoup encouragée. Ce qui me réconfortait aussi, c’est qu’il y avait des inconnus qui prenaient le temps de m’écrire.

[L’autre militante de la CCAT] Frédérique Muliava et moi, nous sommes sorties le même jour. Depuis, nous sommes sous contrôle judiciaire en métropole – d’abord assignées à résidence, puis en octobre j’ai obtenu d’enlever mon bracelet électronique. Donc je ne suis plus bloquée sur Montpellier, ma limite a été élargie à l’Hérault, et je n’ai plus de contrainte horaire. Je ne connaissais pas du tout Montpellier. Quelquefois je vois des Calédoniens d’ici, pas souvent, mais ça aide à garder un peu le moral. Parfois ils m’apportent des courses… Je les en remercie. Ces petits élans de solidarité, c’est important pour nous.

Par contre, c’est toujours aussi compliqué pour mes enfants au pays. Ils ont 3, 8 et 13 ans. Heureusement qu’ils sont bien entourés, mais ça ne remplace pas maman. […] Ce n’est pas toujours pas facile pour eux de comprendre pourquoi on ne s’est pas vus depuis six mois. Et on ne sait pas quand on va pouvoir se revoir, on n’a aucune visibilité sur notre situation. Heureusement, maintenant, je peux les appeler tous les jours. On ne perd pas espoir. »

Propos recueilli par Johann Bihr et Odile Macchi

Cet article est paru dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°125 – Kanaky – Nouvelle-Calédonie : dans l’ombre de la prison