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« La foi pour résister au mal carcéral »

Dans la solitude carcérale, la religion peut être un secours. Telle est l’expérience de Gabriel Mouesca, sorti de prison depuis 2001, dont la foi chrétienne s’est renforcée au long de ses dix-sept années de détention.

Vous avez été incarcéré entre 1984 et 2001 : votre rapport à la religion a-t-il évolué au fil de ces années ?

Je n’ai pas découvert la religion en prison, je suis chrétien par tradition familiale, j’ai eu des engagements dans le scoutisme, dans des aumôneries de lycée… Mais être placé dans 9 m2, dans une situation d’isolement social – et même total puisque j’ai vécu trois ans dans des quartiers d’isolement – m’a permis de me retrouver seul face à moi-même. Le fait d’avoir été éduqué dans la religion a facilité cette forme d’entretien introspectif. Je ne conseille pas aux gens d’aller en prison pour approfondir leur foi, bien évidemment, mais ce lieu m’a permis de réfléchir en profondeur à ma relation à la religion.

Que vous a apporté la pratique religieuse pendant cette période ?

Un de mes premiers actes au réveil, c’était de lire les évangiles du jour. Par cette lecture quotidienne, je m’armais pour résister à la journée que j’allais affronter. Une journée déshumanisante, qui allait porter atteinte à ma santé globale. Ces béquilles évangéliques m’apportaient ce petit supplément d’âme qui me permettrait de résister au mal carcéral.

Comment expliquez-vous le phénomène fréquent d’intensification des pratiques religieuses en prison ?

On y trouve le temps pour s’ouvrir aux questions de la foi, parce que même à quatre ou cinq en cellule, on est seul. Lorsqu’on vit une telle épreuve, la réponse peut être trouvée non pas autour de soi, parce que c’est le désert, mais au fond de soi. Et au fond de soi, ce peut être la rencontre avec Dieu. Néanmoins, je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes s’inscrivant dans une telle démarche !

Les personnes détenues étant en position de vulnérabilité, la prison ne représente-t-elle pas un vivier pour les prosélytismes religieux de toutes sortes ?

L’abandon dans lequel se trouvent certains prisonniers, leur situation économique désastreuse, peut les conduire à chercher une solidarité effective, qui passe par les affinités nationales, culturelles ou religieuses. Le prosélytisme se nourrit de ce terreau. Une des réponses, c’est de donner à chacun les moyens d’être économiquement autonome. Plus qu’un problème de religion, c’est un problème de misère sociale.

Quel a été le rôle des aumôniers dans votre parcours ?

A un moment, le face à soi a ses limites. J’ai rencontré des aumôniers, prêtres, religieux ou laïcs, qui m’ont invité à aller encore plus au fond dans ma recherche spirituelle, ou même dans ma réflexion de simple humain. A la maison centrale de Lannemezan, nous avons créé Foi et prison, le premier journal religieux dans les prisons françaises, intégralement rédigé et imprimé par les prisonniers. On le devait à une aumônerie extrêmement tonique, qui avait obtenu l’adhésion du directeur de la prison.

Néanmoins, certains aumôniers que j’ai connus se montraient à la hauteur de leur mission, d’autres étaient dans le jugement, et ne nous apportaient pas ce qu’on attendait d’eux, à savoir une relation tout simplement fraternelle. Quelques-uns restent attachés à ces vieux dogmes de l’Eglise, entre expiation et rachat de ses péchés. Mais je pense qu’aujourd’hui, une minorité de religieux s’inscrit dans cette tradition.

Le fait de pratiquer votre religion vous a-t-il donné une position spécifique aux yeux des autres détenus ?

J’ai vécu les questions de foi ou de croyance de façon extrêmement personnelle, intime. Hormis les temps d’aumônerie, il était très rare que j’aborde ce sujet. Plus généralement, la participation à la messe, aux cours bibliques, aux activités liées à la vie de l’aumônerie est jugée peu virile par la tradition carcérale et demande un certain courage. La stigmatisation vient aussi de ce que la messe est parfois associée au regroupement de détenus qui ne sont pas acceptés par ailleurs, en particulier, ceux qui sont accusés ou condamnés pour des affaires de mœurs. La messe ou les cours bibliques sont pour eux des refuges.

Avez-vous rencontré des obstacles à votre pratique religieuse ?

La seule entrave que j’ai connue, c’était lorsque je me trouvais au quartier d’isolement : l’accès à la messe m’était interdit. J’ai vécu ça comme une sanction extrêmement forte. Même si, par ailleurs, des aumôniers – et même un évêque ! – sont venus me rencontrer en cellule. Ces rayons de soleil n’ont pas atténué la violence de l’empêchement de participer à la messe qui m’était imposé.

Pourquoi écrivez-vous que « la foi est mise à rude épreuve en prison » ?

La culture carcérale peut amener à prendre des chemins qui ne sont pas ceux que l’évangile vous invite à suivre. Lorsque j’étais à Moulins, est arrivé un prisonnier avec un dossier très lourd, très médiatisé, tout le monde savait ce qu’il avait fait. Le lendemain, il est venu à la messe et s’est posé à côté de moi, son bras touchait le mien. Je n’ai pas pu rentrer dans l’état d’esprit nécessaire pour prier. Je m’étais fait bouffer par ce qui se colportait sur cet homme. A mon retour en cellule, je me suis dit « tu es devenu un juge ». J’ai douté de moi par rapport à ma foi, de ma capacité à être à la hauteur.

Recueilli par Barbara Liaras


« Quelque chose à quoi se raccrocher ».

Quand on est au fond du trou, on cherche quelque chose à quoi se raccrocher, la religion peut-être cette chose. Lors des cultes, les discours sont positifs et nous avons besoin de ça pour être en paix avec nous même.

« Fouille à nu après toute visite d’un aumônier ».

Il y a des difficultés pour les détenus en quartier d’isolement. Il y a une fouille quasi systématique après toute visite d’un aumônier de prison : fouille intégrale nu. Aussi des détenus refusent de voir les aumôniers en raison du caractère humiliant de cette fouille. Après en avoir parlé au directeur, il m’avait certifié […] qu’il ferait le nécessaire. Cependant cela a duré une fois sans fouille et les fouilles à nu ont repris. (aumônier).

Réponses à un questionnaire OIP, mai 2015

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