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« Pour certains, les coups deviennent une habitude »

Alors qu’il était encore incarcéré, Éric a vu l’un de ses voisins de cellule revenir du quartier disciplinaire (QD) le visage tuméfié, affirmant avoir été passé à tabac par des surveillants.
La victime, qui n’a pas souhaité porter plainte, sera transférée quelques mois après l’agression, conformément à son souhait. Il témoigne.

« La violence, c’est un processus, et ça commence par la violence verbale. Un surveillant qui n’a jamais été violent peut un jour saturer et péter les plombs. Faut dire qu’ils sont confrontés à des emmerdeurs, des gens qui ont des troubles psys, des gens pour qui la seule manière d’entrer en communication avec le seul humain qu’ils verront dans la journée, ce sera l’insulte ou les cris. Mais ils ne sont pas dupes, quand ils rentrent dans la Pénitentiaire, ils savent qu’ils vont morfler. Mais certains vont répondre, et les insultes vont devenir routinières. Pour certains, ce sont les coups qui deviennent une habitude.

Un jour, ils ont fouillé la cellule d’un de mes voisins de coursive. Les surveillants ont mis en boule la photo de sa sœur qu’il avait fixée sur le mur, à côté de la tête de son lit. Ils savaient que ça allait le faire partir en vrille, parce que sa sœur, c’était la prunelle de ses yeux. Il a effectivement pété un câble et les a traités de tous les noms. Du coup ils l’ont emmené au mitard. Il m’a raconté qu’ils l’avaient savaté à six ou sept, alors qu’il était au sol, à poil, menotté. Quand il est sorti, trois jours plus tard, il était encore tuméfié, et il était traumatisé, il est devenu accro aux médicaments. Il avait réussi à avoir un certificat médical qui mentionnait les jours d’ITT [incapacité totale de travail], ce qui est loin d’être facile en prison : la plupart des soignants te refusent les certificats, les examens des médecins au QD ne sont pas systématiques et sont souvent une blague – un jour un médecin m’a examiné les dents à travers une grille, comme si j’étais un singe en cage…

Quelques jours plus tard, j’ai accosté un surveillant que je suspec­tais d’avoir participé à l’agression : ‘‘Ça va surveillant ? Vous êtes vraiment des bonhommes dites donc, c’est courageux d’avoir frappé un mec au sol à six ou sept.’’ Je demande au mec ce qu’il aurait fait si ça avait été son fils le détenu, pourquoi il a fait ça. Et là, il recon­naît à demi-mots et il m’explique qu’en gros, quand ça arrive, tu ne te rends pas compte, tu es dans le truc, tu suis le groupe…

J’avais fait un modèle de lettre à ce détenu, parce qu’il voulait être transféré à Val-de-Reuil. Il l’a été huit mois plus tard. Une fois là-bas, il a voulu porter plainte, mais il a finalement arrêté les pour­suites, parce que l’AP [administration pénitentiaire] a acheté son silence : il a regagné l’unité qu’il voulait, avec un proche à lui, il a eu la formation qu’il voulait… Il y est encore. Il n’a pas poursuivi, mais d’une certaine manière, l’AP lui a fait justice. »

Recueilli par Sarah Bosquet