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Philippe, père de détenue : « Pour les familles, la violence, c’est de ne pas savoir comment la prison fonctionne »

A 30 ans, la fille adoptive de Philippe vient de passer quatre mois à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Sa condamnation à trois mois ferme pour outrage à agent et rébellion est venue s’ajouter à une condamnation avec sursis datant de plusieurs années. Il découvre avec stupeur la violence de la prison et le manque d’informations général à l’attention des familles.

Observatoire international des prisons : Comment avez-vous appris que votre fille avait été arrêtée  ? 

Philippe : Par un appel du commissariat m’informant de sa garde à vue. Un contrôle d’identité avait mal tourné. Elle avait proféré des injures et craché sur la policière. J’ai rappelé le commissariat le soir pour prendre des nouvelles et signaler sa propension à l’auto-agression. « Il n’y a aucun problème, on gère. » Quand j’ai rappelé deux heures après, elle était à l’hôpital parce qu’elle avait avalé du shit. Le service des urgences a été très réticent à me donner des informations sur son état de santé.
Le lendemain, j’ai téléphoné à nouveau au commissariat pour demander combien de temps la garde à vue allait encore durer, et leur ai dit de prendre des précautions, qu’ils lui enlèvent ses lacets de chaussures. J’ai appris plus tard qu’ils les lui avaient laissés, et qu’elle s’en était servie.
Quand j’ai réussi à avoir l’avocate au téléphone, elle m’a dit de venir à Bobigny (j’habite au Mans), et d’apporter certains papiers. En arrivant au tribunal, j’ai appris que l’audience était reportée car ma fille avait eu une condamnation avec sursis il y a quelques années, et que le tribunal ne retrouvait pas son dossier. L’avocate m’a alors annoncé que ma fille était à Fleury-Mérogis, ça m’a fait un choc.

Comment s’est déroulé le procès  ? 

L’affaire a été jugée peu de temps après. L’avocat de la police était très emphatique  : « Cette malheureuse policière sur qui on a craché, vous rendez-vous compte qu’elle peut attraper le sida  ? ». La procureure a trouvé pour sa part que ma fille n’avait pas un comportement suffisamment contrit. La présidente était plus bienveillante, mais j’ai trouvé sévère la condamnation à trois mois fermes. Comme il y avait cette autre peine avec sursis prononcée il y a cinq ans, la nouvelle peine ferme ne pouvait pas être aménagée.
On n’est jamais préparé à ce genre de situation  : on se retrouve comme dans les séries télévisées avec sa fille derrière un box vitré, les mains attachées dans le dos, face à un public venu pour d’autres affaires. C’est normal que la justice soit publique, mais c’est un peu compliqué à vivre. J’ai pu lui parler un peu à la fin, puis elle est retournée en maison d’arrêt.

Est-ce que vous avez pu lui rendre visite en prison  ? 

L’avocate m’a dit que je devais demander un permis de visite, ce que j’ai fait le lendemain en envoyant les papiers. Mais je n’ai pas reçu de réponse. C’était vers le 18 septembre et ma première visite au parloir a eu lieu le 19 octobre. Je pensais tout bêtement que le permis me serait envoyé par la poste. Absolument pas. Il est transmis à l’établissement pénitentiaire et il faut s’y rendre. Pendant le premier mois, nous n’avons eu de contact que par courrier. Sachant qu’une lettre met quatre jours à l’aller et quatre jours au retour.

Comment s’est passée votre première visite au parloir  ? 

J’ai découvert tout un rituel. Avant d’entrer dans la prison, on doit déposer son téléphone et son chargeur dans un bâtiment séparé, une sorte de préfabriqué. Un agent pénitentiaire vient, un quart d’heure avant, ouvrir la porte pour qu’on puisse avoir accès aux casiers. C’est tout. Ce n’est pas comme à la maison d’arrêt des hommes où il y a un grand local pour les familles, avec une association et des personnels pénitentiaires qui vous renseignent. Là, on n’a aucun interlocuteur, c’est comme si les personnels ne nous voyaient pas. Puis, on attend pour entrer un par un. On dépose ses affaires sur le tapis roulant avant de passer sous le portique. Il faut enlever la ceinture qui sonne, les lunettes qui sonnent, les chaussures qui sonnent, la montre qui sonne… Ensuite, on franchit un premier sas. On va chercher sa carte et son permis de visite. Dans un casier, il faut déposer ses autres affaires, comme ses clefs de voiture ou sa veste car on doit rester en pull. Parfois, il y a des vols dans les casiers. Ensuite, on accède à une petite salle, on passe de nouveau sous un portique, qui sonne davantage que celui du bas. Et on attend encore dans une pièce, jusqu’à ce qu’on soit autorisé à entrer les uns après les autres dans un boxe de parloir.
La visite est censée être à 13h15, mais on ne passe jamais avant 13h30, voire au-delà. Les parloirs, ce sont quatre murs dont deux vitrés pour la surveillance, et un muret de séparation en pierre entre le visiteur et la personne détenue.
A ma première visite, ma fille ne m’a pas paru trop abîmée. Ça s’est dégradé par la suite. On n’a droit qu’à une demi-heure de visite. C’est un moment pas facile à gérer. Ma fille a tendance à parler beaucoup et si je l’interromps, elle se fâche. Les petites choses notées sur mes tickets de métro et dont il fallait que je lui parle, des problèmes à régler, c’était difficile de les aborder.

Comment votre fille a-t-elle vécu sa détention  ? 

Dans un premier temps, elle a partagé sa cellule et ça ne s’est pas bien passé. Je ne peux dire que ce qu’elle m’en a dit. Elle a la phobie de la saleté. Elle a dû commencer à emprunter l’éponge de l’autre détenue à laquelle ça n’a pas plu. Du coup, elle a été rapidement mise en cellule individuelle. Elle me disait peu de choses sur son quotidien. Sauf sur les cantines [produits que les détenus peuvent acheter]. Dès le début, il y a eu des problèmes de cigarettes. Elle disait les commander et ne pas les recevoir. Comme il y a addiction, la privation de tabac cause un malaise, des troubles. Et puis il y a un négoce un peu malsain avec les autres détenues qui, voyant qu’elles ont affaire à quelqu’un de fragile, se «  saisissent  » de la situation.
Ma fille a toujours été fragile. Pendant toute sa détention, elle a eu des gestes d’auto-agression. Et ce n’est jamais par l’administration que je l’apprenais. Je le découvrais au parloir, quand elle me montrait les traces. Personne d’autre ne m’en a parlé. A deux reprises, elle a été emmenée à l’hôpital. J’ai téléphoné là-bas, mais on ne voulait rien me dire. La deuxième fois, c’est l’avocate qui a demandé son hospitalisation, parce qu’elle devait comparaître en commission de discipline et qu’elle était comme une zombie. Pour l’administration, c’était normal, banal, ils pensaient que la commission pouvait se tenir. Elle avait avalé des médicaments. J’ignore comment elle les a eus, si c’est son traitement ou si ce sont des échanges entre détenues. Il y a beaucoup de choses en principe interdites dans la maison d’arrêt, mais en réalité, c’est Carrefour-Market à l’intérieur.
Un jour, elle a oublié un morceau de shit dans sa chaussette, d’où son passage en commission de discipline. Comme je suis la seule personne à lui rendre visite, ils m’ont soupçonné de lui avoir apporté le shit  ! Et j’ai eu le droit à un traitement privilégié  : vider mes poches, ouvrir ma bouche…

Quelles ont été vos relations avec le personnel pénitentiaire  ? 

L’expression «  aimable comme une porte de prison  » a pris tout son sens. Les personnels n’ont aucun échange avec les visiteurs. On ne me parlait quasiment pas. On ne m’a dit «  Monsieur  » qu’au bout de la 20e visite. Un parent a essayé au jour de l’an de dire «  bonne année  », et en retour il a eu le masque.
Un jour, nous avons eu une surveillance particulièrement tenace au parloir. Les surveillantes sont restées la quasi totalité du temps chacune de leur coté derrière les vitres. Ma fille s’est mise en colère, elle leur a dit de ne pas rester là. Ils s’y sont mis à quatre pour la sortir du parloir. Et seulement à cette occasion, la surveillante m’a parlé  : «  De toute façon elle vous manipule, pour la punir vous ne devriez pas venir la prochaine fois au parloir  ». Ensuite, nous avons eu des parloirs avec hygiaphone.
Il m’est arrivé une fois d’avoir du retard  : le train s’était arrêté entre deux gares et nous avons dû descendre. J’appelle le service parloir pour les prévenir que je ne pourrai pas être là à 13h15, je souhaiterais celui de 14 heures. «  Pour changer d’horaire, il fallait appeler hier  ». J’ai dit  : « Hier, je ne savais pas que le train serait en panne. » Une autre fois, un imprévu m’a empêché de venir  : comme je n’arrivais à joindre le service parloir, j’ai appelé le Spip [Service d’insertion et de probation, ndlr] pour qu’ils préviennent ma fille. On m’a répondu  : «  Mais ce n’est pas à moi de faire ça. » Il est très difficile d’obtenir des informations. Vous téléphonez, on ne vous passe personne. Pour avoir le service des parloirs, il faut au moins une demi-heure. Une fois sur deux, la borne qui permet de réserver des parloirs sur place ne fonctionne pas, vous devez recommencer dix fois. L’absence d’information est très difficile à vivre.

D’autres aspects de la vie en prison vous ont-ils surpris  ? 

J’ignorais que la prison avait un tel coût. Parce qu’on nous rebat les oreilles sur la télé à écran plat que les prisonniers regardent en cellule. Soit, mais ils la payent. Je devais envoyer des virements à ma fille, environ 50 euros par semaine, quelques fois plus. Cet argent mettait quatre ou cinq jours à être disponible. J’ignore à quoi ma fille l’utilisait exactement, à part à l’achat de cigarettes fantômes. Elle était aussi obligée d’acheter les produits d’entretien, les produits de toilette, de la nourriture, une plaque chauffante… Le coût des visites est aussi énorme. Le billet de train à 40 euros, puis le carnet de tickets de métro à 13,70 euros, puis le RER à 4,20 euros. En tout, plus de 80 euros à chaque visite. J’ai été contraint de demander un échéancier pour payer mes impôts. Aujourd’hui, les variables d’ajustement de mon budget sont très limitées. J’aurais pu réduire à un parloir par semaine, mais compte tenu de son état psychologique, il m’a semblé impératif de la voir davantage.

La sortie de prison de votre fille a-t-elle été préparée  ? 

Elle devait sortir un lundi. Tout était prévu depuis le vendredi. J’avais dormi à côté de la prison pour pouvoir m’y présenter à 8 heures. J’arrive donc sur place pour la chercher et là on me dit  : « Non, elle ne figure pas sur la liste des sortantes. » J’attends jusqu’à 10 heures pour avoir un interlocuteur qui m’explique qu’une autre peine est tombée. C’était l’ancien sursis qui venait juste d’être mis à exécution. J’ai dit  : «  Il est tombé pendant le week-end  ?  ». Nous n’avions eu aucune information. Le choc a été assez violent. Aussi sec, ma fille s’est entaillé les veines. Et je n’ai pas pu la voir, je n’avais pas réservé de parloir ce jour-là puisqu’elle devait sortir.
A présent, sa peine va être aménagée, avec un bracelet électronique, puis une conditionnelle. Elle doit sortir dans deux jours et la seule information dont je dispose, ce sont les heures auxquelles elle ne peut pas sortir de la maison. Le bracelet électronique doit être de courte durée, ensuite elle bascule sur la libération conditionnelle, je ne sais pas bien avec quelles contraintes, je crois qu’elle a une obligation d’hébergement, de travail et de soins. Il a fallu que je trouve quelqu’un qui accepte, sans la connaître, de signer une promesse d’embauche. Ce n’est pas du tout évident aujourd’hui. Et puis un certificat médical d’un psy, qui a consenti à la voir quand elle sortira, au moins pour l’orienter vers un spécialiste.
La CPIP [Conseillère d’insertion et de probation, ndlr] a toujours déploré que je sois le seul à être en contact avec elle, ma fille ne l’ayant pas sollicitée. Je me dis qu’étant donné les problèmes de ma fille, la CPIP aurait pu faire une démarche. Comprendre le système des réductions de peine et des aménagements, c’est très compliqué et on n’est pas aidés.
La prison c’est déstructurant et violent, ça laisse des traces. Pour les détenus, la violence est dans l’enfermement, qui n’est pas que la privation de circuler librement. Il y a tout un ensemble de petites maltraitances banales de la part de l’administration et aussi des violences de la part des autres détenus. La violence pour les familles, c’est de ne pas savoir comment tout cela fonctionne. Je touche du bois, j’espère que c’est sa première et sa dernière incarcération.

Recueilli par François Bès et Sarah Dindo