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Premières impressions

Lorsque l’on est confronté à la prison pour la première fois, les premiers jours sont particulièrement difficiles. Les nouveaux arrivants éprouvent avec force toute la violence inhérente à la privation de liberté, renforcée par les conditions de vie souvent très dures en maison d’arrêt. Témoignages.

Le bruit et l’odeur

Ce qui m’a marqué la première fois, c’est l’odeur de la prison. Le parfum sur vos habits est masqué par cette odeur. L’air est tout aussi particulier, comme s’il vous agressait. On dirait qu’on suffoque, tant l’atmosphère est pesante. On vous fait de suite une fouille à nu pour vous rappeler que désormais, vous n’avez plus de secret. Auparavant, on vous a retiré votre pièce d’identité pour mettre un numéro à côté de votre nom : vous n’êtes plus l’enfant de la République, mais le fils de ce bas monde. Pourtant je suis toujours dans mon pays… Faut croire qu’il existe en France un lieu où vous n’êtes plus rien.

Le premier jour, rendez-vous avec le SPIP qui contactera votre famille, votre banque, votre bailleur. Votre autonomie est anéantie : toute votre vie est désormais entre les mains d’une seule personne, la ou le CPIP (conseiller·ère pénitentiaire d’insertion et de probation), qui fera toutes les démarches à votre place. Vous verrez aussi un chef de détention qui vous expliquera les règles de fonctionnement. Il vous demandera si vous prenez de la drogue ou autres médicaments pour savoir si vous entrez dans la case « détenus plus ou moins fragiles ». Comme si on allait être entier face à un homme qu’on connaît à peine…

Vous rencontrez aussi le médical qui vous demandera si vous avez des maladies ou si vous avez besoin de cachets pour dormir, pour soigner le stress et l’angoisse. Comme s’il fallait faire planer les gens pour qu’ils ne se rendent pas compte de ce qui les entoure. On devrait pourtant pouvoir faire face. Alors pourquoi craignent-ils que l’on ne s’adapte pas ? C’est bien parce que la rudesse est extrême.

Moi, je suis gitan. Se retrouver seul face à sa gamelle au milieu des cris d’alerte, de souffrance de toutes causes… Au début, vous vous demandez ce que peuvent bien signifier ces hurlements qui vous glacent le sang. Parfois, on croirait entendre un homme qui supplie son bourreau de ne pas le tuer. On découvre en fait que ce sont des souffrances dues à des addictions en tous genres.

La première nuit, vous découvrez l’œilleton. Son bruit lorsqu’il frotte sur sa monture, la lumière qui s’allume à toutes les rondes. Vous découvrez qu’on vous observe même quand vous dormez. Je pense à ma famille, à mon enfant qui avait besoin que je l’embrasse avant de dormir. Cette nuit-là, on se dit : « S’il était là, je l’embrasserais encore plus fort. » Très vite, on ne pense plus très loin, on n’est plus sûr que du moment présent. On ressent un décalage énorme avec l’année où vit la civilisation : dehors vit, et nous on est enfermés. On pense que le lieu n’est pas du tout digne de notre époque. On fait des mèches avec de l’huile et des morceaux de serpillère [pour faire chauffer les repas], tel un homo sapiens qui frotterait deux silex pour faire du feu. Ces pièces rudimentaires, ces murs dépeints, qui s’effritent, les structures et l’immobilier qui tombent en lambeaux… Aucune maison hantée ne peut simuler cette atmosphère. — S. H.

Ce qui m’a impressionné, ce qui m’a donné des bouffées d’angoisse n’étaient pas les barreaux à la fenêtre doublés d’un caillebotis : non, c’était l’absence de poignée à la porte. Je ne pouvais pas sortir de ces 9 m2… Il faut s’imaginer vivre suspendu à l’ouverture de la porte par les surveillants, à n’importe quel moment de la journée. – J. V.

L’envie d’en finir

Lorsque le mot « incarcération » a été évoqué pour la première fois, j’ai pleuré comme un gosse. C’était dans la voiture de police (avoir les menottes pour la première fois, c’est dur aussi).

Arrivée devant la porte de la maison d’arrêt. Après être passé devant des centaines et des centaines de fois, j’allais découvrir ce qui se passe de l’autre côté de ce haut mur. Les portes automatiques, les ordres, le relevé d’empreintes, les fouilles, le mot « gamelle », les heures de fermeture des portes, très tôt… Je traîne ce foutu paquetage (c’est pire qu’à l’armée) et on m’ouvre la cellule où se trouvent déjà deux types habitués à faire du trou, qui m’expliqueront plus tard les démarches à suivre (un voyageur et un renoi). À peine arrivé, ils vous sautent dessus pour le tabac et les premières questions fusent. Parmi elles, l’une me restera en mémoire : « Pourquoi t’es là ? » Vous êtes mal à l’aise, car en prison, personne n’aime les histoires de viol. Vous essayez malgré tout de trouver les bons mots, sans prononcer le mot viol. Je me rappelle avoir commencé par : « C’est une histoire de couple, ma femme et moi, violence avec arme… »

La première nuit, j’ai bien dormi, épuisé par quarante-huit heures de garde à vue. Les suivantes ont été très dures. Vous pensez à votre famille, à vos enfants (ils avaient 12 et 15 ans à l’époque), vous vous repassez les scènes… Vous réfléchissez et la question principale est : « Pour combien de temps ? » Vous savez quand vous rentrez, mais jamais quand vous sortez. Beaucoup de questions restent sans réponse, et votre avocat commis d’office ne vient pas vous revoir tout de suite. Vous attendez, des jours, des semaines, des mois… Vous dormez très mal, entre les odeurs (les douches sont tous les trois jours), les ronfleurs, ceux qui regardent la télé toute la nuit, ceux qui vous enfument ou qui téléphonent, tard dans la nuit, avec leur portable… Et puis les surveillants qui vous testent, qui vous parlent mal, certains jouent les cow-boys. Je suis arrivé un soir vers 21 h. J’ai ressenti dégoût de la vie, honte. J’ai eu envie d’en finir dès les premiers jours. — P. L.  

Choc carcéral

Mon entrée à la maison d’arrêt de Nanterre demeure un vague souvenir car j’étais en état de choc face à ce que j’avais commis. C’est deux ou trois jours après que j’ai ressenti le choc carcéral : je n’arrivais pas à accepter cette nouvelle vie. Le fait de demeurer dans cet espace clos, avec une atmosphère bien particulière, a déclenché en moi un comportement névrotique. J’étais tellement agité que je me suis dit que cela allait fatalement me déclencher un cancer. J’ai été mis sous anxiolytiques. Tout ce dont je me souviens, c’est que je suis tombé avec un jeune détenu, très gentil, qui m’a appris la première chose : faire mon lit, installer l’alaise (un tissu bleu avec sa fermeture éclair) puis installer les draps en faisant des nœuds à la tête et aux pieds de l’emplacement du matelas. Après quatre ans passés à la maison d’arrêt de Nanterre, j’ai été transféré à Fresnes pour intégrer le CNE [centre national d’évaluation]. Ce fut un nouveau choc, car je n’avais encore jamais connu les entraves aux pieds, qui me renvoyaient l’image des criminels américains dans les films. J’entends encore un détenu qui était à côté de moi dire : « Pourquoi on me met ça, à moi ? J’ai tué personne ! » — L. P.

Le plus difficile à vivre, dans les premiers jours et les premières semaines, c’est la coupure brutale avec vos proches : pas de contact téléphonique, pas de parloir, les courriers sont bloqués… Inquiétude des deux côtés. Toute la famille souffre de l’incarcération. – S. A.

Entre appréhension et soulagement

C’est la première fois que je suis incarcéré. J’ai 38 ans et je n’aurais jamais pensé passer un jour par la case « prison ». J’avais beaucoup de préjugés avant d’arriver. Un mélange de séries américaines et de mauvaises informations télévisuelles. La tenue orange pour tout le monde, la douche commune, le réfectoire où tout le monde mange en même temps, les gros balèzes qui font de la muscu dehors pendant la promenade, etc. J’appréhendais beaucoup « la loi du plus fort », devoir me battre pour ma survie, alors que je devais déjà me battre pour ma liberté.

Je suis arrivé en maison d’arrêt en soirée après deux jours de garde à vue et j’avais peur d’être soumis au même traitement en prison. J’ai rencontré un « ancien » en salle d’attente et il m’a pris sous son aile. Il s’est montré aussi rassurant que sympathique. Après une douche bien chaude, nous avons été conduits en cellule avec notre matelas et notre paquetage. Nous avons été placés avec deux autres personnes (plus âgées que nous, avec une « expérience » carcérale). Après avoir fait connaissance avec nos compagnons de cellule, nous être installés, les « anciens » ont répondu à toutes mes questions et m’ont donné de précieux conseils sur la vie en prison (comportement avec les surveillants et les autres détenus, rythme de vie, etc.).

La nuit a été courte car nous avons beaucoup parlé et au moment du coucher, je n’arrêtais pas de penser à ma fille et ma femme. Pas de bisous et de câlins du soir pour l’une et l’inquiétude, le sentiment de solitude et de manque pour l’autre. Le fait de dormir par terre n’a pas tellement aidé, mais étant le plus jeune de la cellule, je n’ai pas pu accepter les propositions de chacun de prendre ma place.

Le premier jour fut chargé : rencontre avec le chef du bâtiment, visite médicale, briefing avec un surveillant pour les règles d’usage en prison. On fait nos premières demandes écrites : rencontre avec son CPIP, demande de travail ou inscription à l’école, demande d’inscription aux cultes.

On a un peu l’impression d’être du bétail. On se déplace en groupe, on est appelé chacun notre tour, on attend le prochain déplacement. Bref, on se retrouve seul au milieu d’inconnus dans un endroit inconnu en se demandant constamment ce qui nous attend. Mais les surveillant(e)s font un travail formidable. Ils se montrent patients, rassurants, respectueux, et nous font comprendre qu’ils ne sont pas là pour nous juger. Nous sommes traités en humains et non en criminels.

J’ai fini la journée avec un mélange d’appréhension et de soulagement : l’appréhension car on rencontre des gens énervés et le soulagement car on a deux repas par jour (même si ce n’est pas bon, ça nourrit) et on remarque que le personnel pénitentiaire fait tout son possible pour que notre « séjour » soit le plus supportable possible.

Mais, le plus frappant, c’est que je me sentais vraiment prisonnier. On va d’un couloir à un autre couloir, de sa cellule à une autre salle fermée, avec des barreaux partout. Et les seules vues sur l’extérieur donnent sur la « promenade » ou les autres bâtiments de la prison. Depuis la promenade, on peut voir un bout d’immeuble. Je le regardais en me disant que, finalement, la vie continuait à l’extérieur de ces murs. Personne ne se doute que je suis là et, après tout, pourquoi quelqu’un s’en soucierait-il ? Ce sentiment d’impuissance m’a tenu pendant longtemps, car nous n’avons aucun moyen de prévenir ceux qu’on aime et de les rassurer. — L. P.

« L’impression d’entrer dans mon tombeau »

11 h 30. Escorté par le PSIG [Peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie], j’arrive devant le centre pénitentiaire. Une porte immense et blindée me fait face. Une impression horrible me prend aux tripes : je m’apprête à entrer dans un froid, sinistre et immense cimetière. Dans lequel on ne pénètre pas facilement, et d’où l’on sort encore moins. Après deux sas de contrôle, quatre portes blindées et une grille, mise à nu devant un, deux ou trois individus pour une fouille vestimentaire et à corps réglementaire. Prise d’empreintes. Papiers, bijoux et identité retirés. Une photo est prise. Puis une carte m’est remise : y figurent ma photo et un numéro, mon numéro d’écrou. C’est une carte de circulation, ma nouvelle carte d’identité. Arrivée en cellule : à peine en ai-je franchi le seuil que la lourde porte blindée se referme violemment contre l’épaisse charnière en acier. Puis clac ! Clac ! La serrure qui fait deux tours. Clac ! Clac ! Et clac ! Clac ! Le verrou du haut puis celui du bas se ferment bruyamment, me donnant la forte impression qu’une pierre tombale se referme sur moi, comme si j’étais mort, dans une tombe. Ma tombe. Un peu déboussolé, je me dirige vers la fenêtre face à moi. Je l’ouvre comme pour reprendre mon souffle et j’aperçois au loin une autoroute. En voyant les voitures défiler telle la vie qui continue, je me prends à envier profondément leurs occupants et commence à réaliser que ce tombeau va être mon nouveau chez moi, et pour bien des années… Dans mon lit, impossible de dormir, entre l’agitation intérieure et les coups, les insultes, les hurlements de désespoir et les cris de SOS ou d’animaux qui proviennent des autres cellules d’isolement et du quartier disciplinaire, tout proche… Je me suis senti désespéré, abattu, abandonné, mais également plein de colère, de remords et de tristesse. — Anonyme 


Six fois plus de suicides en prison

En prison, un détenu se suicide tous les trois jours. 113 en 2016. Et bien plus essayent. Chaque jour, trois personnes attentent à leur vie. Le choc carcéral fait partie des périodes à haut risque, pour ceux qui le vivent pour la première fois comme pour ceux qui connaissent déjà la prison, pour qui ce peut être « la fois de trop ». D’autres moments sont particulièrement sensibles : les fêtes de fin d’année, l’été, l’approche du jugement, l’après-verdict, le placement au quartier disciplinaire, ou encore l’imminence de la sortie. À caractéristiques socio-démographiques égales (âge, sexe), on se suicide six fois plus en prison qu’en population générale (1). Cela s’explique par les caractéristiques des personnes incarcérées (qui souffrent plus fréquemment de troubles psychiques), la situation de privation de liberté qui est la leur et par les conditions dans lesquelles la peine se déroule. Outre les conditions matérielles de détention (promiscuité, délabrement, etc.), le déficit de communication et la déliquescence du lien social sont notamment pointés du doigt par les chercheurs. Car « faute d’autonomie, de moyens de se faire entendre ou de perspectives, les détenus retournent contre eux la violence de l’enfermement et de la condamnation » (2). – OIP-SF

(1) G. Duthé, A. Hazard, A. Kensey, J-L. Pan Ké Shon, « Suicides en prison : la France comparée à ses voisins européens », Populations & Sociétés n° 462, Ined, décembre 2009.
(2) A. Chauvenet, « Les prisonniers : construction et déconstruction d’une notion », Pouvoirs n° 135, novembre 2010.