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Quatre mois en EPM : un mineur et sa mère témoignent

Basés sur une prise en charge associant éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et surveillants de l’administration pénitentiaire, les six Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ouverts entre 2007 et 2009 ont fait l’objet de nombreuses critiques. Marvin a été incarcéré dans celui de Meyzieu, près de Lyon, pendant plusieurs mois. Nous l’avons rencontré à sa sortie, avec sa mère Laurence. Ils racontent comment ils ont chacun vécu la prison pour mineurs : des activités inadaptées et des sanctions injustes pour lui ; un manque d’informations et beaucoup d’inquiétudes pour elle.

Peux-tu nous décrire une « journée type » à l’EPM ?

Marvin : On est réveillé vers 7 h 30. Chaque unité (il y en a sept en tout) est divisée en deux groupes : un premier groupe descend pour prendre le petit déjeuner au réfectoire de 8 heures à 8 h 30, le deuxième groupe descend de 8 h 30 à 9 heures Ensuite, on va en cours ou en activités. Sur les coups de 11 h 30, on regagne l’unité pour la distribution des repas : un groupe descend manger au réfectoire, l’autre mange en cellule. L’après-midi ça repart, on a 1 heure ou 2 d’activités, de sport, de cours… Le soir, ceux qui ont mangé au réfectoire le midi mangent en cellule, et vice-versa. Le week-end, on est réveillé plus tard, il n’y a pas d’activités le matin.

Est-ce que cet emploi du temps te convenait ?

Marvin : On prend le rythme imposé, on s’y habitue. Par contre, ceux que j’ai connus qui arrivaient de quartiers mineurs étaient dégoûtés car ils avaient beaucoup moins de liberté à l’EPM. Des fois, moi non plus je n’avais pas le goût, j’aurais préféré rester seul en cellule. Quand tu n’as pas envie, tu peux refuser d’y aller, mais on te donne un « refus ». Ce n’est pas une sanction, mais ça fait « du contre » le jour où une sanction tombe.

Laurence : Les refus sont inscrits dans les rapports de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et peuvent être pris en compte au moment du jugement ou par le juge de l’application des peines comme le signe d’un état de rébellion ou de mauvaise volonté du jeune.

Marvin : Il m’arrivait de refuser un peu les cours car je m’y ennuyais. On est quatre ou cinq en cours, mais avec des niveaux très différents. Pourtant, il y a une évaluation du niveau scolaire à l’entrée, mais leurs tests ne servent à rien en fin de compte car on est tous mélangés. Du coup, en cours c’était… le bordel ! Certains apprennent des choses, mais c’est pas tout le monde. C’est pareil pour les formations. Il y avait des formations «maçonnerie», «horticulture» ou «mécanique » mais sans outils. Les formations sont théoriques et inutiles.

Laurence : Je n’ai jamais été informée par le personnel qu’il avait passé des tests. On est associés à rien les parents, on est tenu à l’écart. Quelques jours après son incarcération à l’EPM, son père et moi avons pourtant été reçus en entretien avec un éducateur et un surveillant. Ils nous ont expliqué que ce serait comme à l’école, qu’il aurait les mêmes horaires de cours matin et après-midi. Tel qu’on nous l’avait expliqué, je voyais mon fils sur les bancs de l’école toute la journée, je pensais qu’il allait reprendre les cours là où il s’était arrêté dehors.

Dans la plaquette de présentation des EPM de 2007, on peut lire que « le succès » de la prise en charge des mineurs « repose sur l’articulation entre les éducateurs de la PJJ et les surveillants de l’administration pénitentiaire ». Comment as-tu perçu les rôles du surveillant et de l’éducateur ?

Marvin : En fait, il y a un binôme surveillant-éducateur sur chaque unité. Le travail de l’éducateur est plus social normalement, lui seul peut organiser des activités en groupe, comme un atelier cuisine par exemple. Sans l’éducateur, on n’a pas de repas communs et on mange en cellule tout le temps, on ne peut pas avoir de promenades non plus. Dans mon unité, il y avait deux ou trois éducateurs assez sympas mais ils ne montaient pas de projet car d’après ce qu’ils disent, ils n’ont pas assez de budget. Ils étaient donc surtout là pour gérer les repas collectifs. L’autre différence c’est que les éducateurs ont un peu plus peur de nous que les surveillants. En général, ils sont plus rapidement démunis en cas de problème, comme des insultes par exemple.

Quelles étaient tes relations avec les personnels ?

Marvin : C’était un peu chaud avec la plupart des surveillants. Certains nous parlaient mal, ils mettaient de l’huile sur le feu. Dans mon unité, les surveillants ont beaucoup tourné car ils se faisaient trop insulter, il y avait trop de bagarres détenus/ surveillants. C’est vrai qu’on n’y allait pas de main morte avec eux. On était respectueux, mais à partir du moment où un surveillant nous annonçait quelque chose et qu’il ne tenait pas parole, c’était cuit pour lui. On ne les insultait pas gratuitement ou par plaisir, il y avait toujours une raison. Avec les éducateurs, c’était un peu pareil. Ils sont gentils mais trop souvent, ils mentent. Par exemple, si un éducateur nous dit qu’on va avoir une activité le week-end et qu’on ne l’a pas parce qu’il est parti en congés, on ne laisse pas passer. A son retour il se fait insulter, on refuse de le réintégrer… et il part en arrêt maladie.

Est-ce que tu avais une relation de confiance avec les éducateurs ?

Marvin : Ben non, ils travaillent pour la justice, je vais pas avoir une relation de confiance avec eux.

Laurence : Pour les parents c’est pareil, il n’y a personne avec qui on a une relation de confiance, si ce n’est peut-être l’avocat. Les éducateurs, je pouvais les appeler, même s’il était parfois très difficile de les joindre. Par contre, nous n’avons aucun rapport avec les surveillants alors que je pense que ce serait très utile des deux côtés. Cela pourrait aider les surveillants à comprendre un peu mieux les jeunes, et rassurer les parents parce que les surveillants sont en contact direct avec nos enfants au quotidien. Ce manque de dialogue tient aussi au fait que nous sommes – en tant que parents – considérés comme aussi coupables que nos enfants. On se sent jugés en permanence dès le commissariat, puis dans le bureau du juge, et enfin en prison. La société n’est jamais en cause, c’est forcément de notre faute. Son incarcération a été pour moi une grosse période de remise en question. Je me suis dit que je n’avais pas su le protéger. Vous savez, une maman n’est jamais dans l’inconscience : même si on ne sait pas tout, on voit les choses arriver. Le problème c’est que l’on ne sait pas comment y mettre un frein. Quand il a commencé à relâcher ses études, j’ai vu qu’il partait en roue libre, qu’il fallait faire quelque chose, mais seule je n’y arrivais pas. L’école culpabilise aussi, ce n’est pas là qu’on trouve de l’aide. Du côté de l’entourage, j’ai cherché dans ma famille un adulte qui pourrait être un référent mais personne ne s’est positionné, tout le monde avait l’impression qu’il allait bien et que je m’inquiétais pour rien. Lui même disait que je dramatisais quand j’essayais d’en discuter avec lui. Après, ce sont les jeunes qui détiennent la clé, personne d’autre qu’eux. C’est pour ça qu’il ne faut pas trop les casser en prison, pour qu’ils aient l’envie, en sortant, de résister à tout ça.

Il y a un an, un article de presse s’inquiétait de l’alimentation des mineurs à l’EPM (1). Que peux-tu nous dire sur la nourriture à l’intérieur ?

Marvin : C’est la gamelle ou rien parce que l’on ne peut pas cantiner de plaques chauffantes ni de conserves comme dans les quartiers majeurs. Les quantités ne sont pas top, ce ne sont pas des grosses proportions, c’est pas bon, c’est pas cuit. C’est pire que la bouffe de la cantine ! Si la gamelle arrive à 11 h 30 c’est chaud, mais si on nous la monte à 12 h 15 c’est froid. Et puis il n’y a pas d’eau minérale, on boit l’eau du robinet. Elle a vraiment un goût spécial. Si tu remplis une bouteille d’eau et que tu la bois le lendemain, t’as l’impression que l’eau a périmé en fait. C’est limite imbuvable. Et puis quand il faisait froid, l’eau était gelée et quand il faisait super chaud, l’eau était bouillante. J’en ai plein des détails comme ça…

Laurence : En tant que maman, cela m’a beaucoup fait souffrir de perdre la maîtrise de son alimentation. Au quotidien, j’essaie qu’il mange des produits locaux, j’évite les conserves, etc. Les menus sont censés être affichés quand on arrive au parloir mais ils n’étaient jamais à jour. D’un coup, on n’a plus de contrôle sur rien, on n’a plus rien à dire. Nous ne sommes pas non plus informés quand ils prennent des médicaments, alors qu’ils sont mineurs quand même.

L’article faisait aussi état de la problématique du tabac, interdit à l’intérieur alors que nombre de mineurs seraient fumeurs.

Marvin : A l’arrivée, l’infirmerie propose des patchs et des cachetons à ceux qui fumaient dehors. Mais ils magouillent pour fumer dedans ! Le tabac entre par différents moyens et se troque à l’intérieur : on échange des cigarettes contre une télécommande de télé ou une bouteille de soda… Par contre on n’a pas de briquet donc pour allumer les clopes, il faut utiliser les fils électriques de la télé. J’en connais qui se sont pris de bonnes décharges.

Est-ce qu’il y a beaucoup d’incidents à l’EPM ?

Marvin : Oui, il y a des refus de réintégrer les cellules et des feux en cours de promenade quasiment tous les jours, voire plusieurs par jours. En général, on fait ça quand ils coupent la télé car parfois il y a des injustices. Par exemple, si les télés de notre unité sont coupées à 23 heures alors qu’on n’a pas particulièrement eu de problèmes disciplinaires dans la journée, et qu’on voit que l’unité d’en face a encore la télé, c’est un feu obligé ! Et harcèlement sur l’interphone aussi. Comme les unités sont faites en « L », deux détenus [chacun dans une cellule opposée du bâtiment en L] se raccrochent ensemble par un yoyo à travers leur fenêtre. Au milieu du yoyo, on réalise une énorme boule à partir de vêtements, de papier, un peu de tout en fait. On tire le yoyo en essayant de placer la boule au milieu de la cour. Le yoyo craque – donc personne ne sait qui l’a fait – et il y a un gros feu au milieu de la cour. Les autres détenus de l’unité peuvent aussi y participer en envoyant du papier, etc. Ça demande un peu de préparation mais ça occupe. Ensuite, les surveillants interviennent pour éteindre le feu. L’intervention prend un peu de temps car c’est le soir et le 1er surveillant est le seul à avoir les clés des unités et des cellules. Il faut l’appeler, le réveiller, et compter le temps qu’il se déplace… Souvent, il arrive avec le sourire, il prend l’extincteur et voilà. Il n’y a pas de risque que ça fasse cramer le bâtiment ou les cellules. Par contre, on encourt quand même des sanctions disciplinaires. Sinon, il y a au moins une tentative de suicide par semaine. Les bagarres sont très rares par contre. La plupart du temps, elles font suite à un refus de réintégration et opposent détenus et surveillants.

Est-ce que tu as eu des incidents disciplinaires ?

Marvin : Oui, je suis passé plusieurs fois en commission de discipline, avec du confinement et du mitard à la clé. Une fois, c’était suite à une bagarre avec un autre détenu en cour de promenade. On s’est embrouillé, les autres détenus nous ont séparés, la cavalerie est arrivée et j’ai été réintégré. En fait, quand il y a une bagarre, l’éducateur ou le surveillant présent déclenche son alarme. Plusieurs surveillants viennent en renfort, ils arrivent comme une meute autour de toi. Ils ont voulu me faire remonter « moi » en cellule. Je n’ai pas trouvé ça normal car c’est l’autre qui avait causé l’incident. Donc je ne me suis pas laissé faire. J’ai commencé à m’énerver, peut-être aussi à prendre un premier surveillant à partie et là, dès que j’ai bougé, ils m’ont fait une clé de bras et m’ont menotté dans le dos. Je me suis pris quelques coups de genoux au visage et ensuite ils m’ont fait une balayette donc je me suis retrouvé au sol. Après ils m’ont remonté en cellule. Sur le trajet je continuais à être un peu agité. Du coup ils ont resserré les menottes et un peu la clé de bras. Ils m’avaient menotté jusqu’au sang ! J’ai dû prendre cinq jours de confinement avec privation de la télévision pour cet incident.

Laurence : Et là, les parents ne sont pas informés. C’est Marvin qui m’a raconté. J’ai seulement reçu un papier 10 voire 15 jours après qu’il soit passé en commission de discipline. C’est dommage parce que les parents peuvent réconforter d’une part, mais aussi ramener un jeune à la raison s’il va trop loin.

Quelles sont les sanctions les plus fréquentes à l’EPM ?

Marvin : Il n’y a pas beaucoup de cellules de mitard mais elles sont souvent pleines. Les sanctions de mitard sont surtout pour ceux qui ont du shit en cellule, des téléphones, ou qui se font attraper avec des « yoyos libérables » (« yoyos » avec des personnes à l’extérieur de la prison). Tout ce qui concerne les surveillants (bagarres surtout, parfois des insultes ou menaces) est aussi sanctionné de mitard. Je crois que le maximum c’est 8 jours de QD, mais en général on reste 4-5 jours… Parmi les autres sanctions, il y a ce qu’ils appellent les MBO [mesures de bon ordre]. C’est plus arbitraire. Les éducateurs comme les surveillants peuvent les poser, pour un oui ou pour un non. Quand tu prends une MBO, tu manges en cellule et tu ne peux pas aller aux activités. Une MBO vaut pour un jour. Mais elles sont cumulables : si tu prends 10 MBO dans la journée, ça dure 10 jours. La plupart d’entre nous passait les trois-quarts du temps en MBO. Il suffit de traîner un peu sur un mouvement, d’une insulte, ou de refuser de serrer la main d’un surveillant… pour prendre une MBO.

Dans la plaquette de présentation de l’EPM, il est écrit que « le maintien des liens familiaux est un enjeux fort du projet éducatif ». Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Laurence : C’est beau sur le papier ! Bon, mais ne soyons pas totalement injustes : on ne m’a jamais refusé de parloirs, je les ai eus aux heures où j’ai voulu, avec un accueil téléphonique agréable. On est arrivé à communiquer « relativement » bien par le biais des éducateurs. S’ils avaient quelque chose à me dire, ils me téléphonaient. Mais je tiens à préciser que le lien familial n’a été tenu que par notre propre volonté. C’était surtout très dur au début de son incarcération car on est restés deux semaines sans se voir, j’avais des nouvelles uniquement par les éducateurs auxquels je téléphonais. Lui par contre, n’a pas vu d’avocat, ne nous a pas vu et n’a pas reçu de courriers pendant cette période car les lettres mettaient un mois pour arriver à peu près. J’ai eu très peur du suicide parce que je me demandais ce que ça pouvait faire de se retrouver d’un coup coupé de tout. Je trouvais ça terrible.

Marvin : Pour moi ça allait en fait, les 10-15 premiers jours sont passés assez vite. Je faisais pas mal de pompes, je m’endormais vite le soir donc je n’ai pas trop eu le temps de réfléchir. Et puis après tu prends tellement le rythme des journées, elles passent assez vite finalement. Les parloirs cassaient un peu ce rythme. Je m’en servais comme de repères dans le temps. Dès que je suis arrivé à l’EPM, on m’a dit de ne pas trop rêver par rapport aux appels téléphoniques et que dans le meilleur des cas, on accepterait ma mère et mon père. C’était lié à mon affaire vraisemblablement. Du coup, je n’ai même pas fait la demande de téléphone. En plus, les appels téléphoniques de l’intérieur coûtent super cher. Quant aux courriers, comme ils sont lus, il faut faire gaffe. Les gens qui écrivent n’y pensent pas forcément donc parfois tu reçois un courrier et tu fais un peu la grimace car tu aurais préféré qu’ils n’écrivent pas ça…

Laurence : On s’écrivait surtout au début et un jour on a dit stop. Je l’ai même écrit dans un courrier pour qu’ils le lisent : j’ai dit stop parce que l’amour c’est intime, on n’a pas besoin de faire savoir à la justice ce qui se passe entre nous deux. Sans compter que l’écrit c’est dur. On écrit pour montrer qu’on est là, pour changer les idées, mais d’un autre côté on n’ose pas tout lui raconter pour ne pas trop remuer le couteau dans la plaie. Et puis c’est au moment où l’on se met à écrire que l’absence se fait ressentir, elle est encore plus palpable.

Est-ce que vous voyez les choses différemment après ce passage en prison ?

Marvin : Franchement ? La prison ne change rien. Maintenant que je suis sorti, les personnes qui étaient dans mon affaire peuvent se dire que je n’ai jamais balancé et que j’ai fait les choses sérieusement. A la limite, ça pourrait me relancer plus qu’autre chose.

Laurence : Oui, pour reprendre leur langage, on pourrait dire qu’il a pris du grade dans son réseau: il n’a pas parlé, il n’a pas dénoncé, il a plus de charisme… Du coup, on pourrait lui donner des responsabilités plus grandes. Par contre, il a peut- être vu les soucis causés à ses parents. Ce n’est pas la prison en tant que telle qui lui fait peur parce que je suis sûre qu’il se dit maintenant qu’il est capable de gérer, même s’il sait que ce n’est pas une vie. Je pense surtout qu’il aime suffisamment sa famille pour ne pas vouloir nous replonger là-dedans. Ce n’est pas lui qu’il protège mais nous.

Marvin : Oui c’est sûr. C’est la chose la plus dure qu’a fait la prison. Si j’étais orphelin, je serais déjà reparti à 200 %. C’est pas la détention qui m’empêche de replonger, c’est pour ma famille que je ne le fais pas.

Propos recueillis par Céline Reimeringer et Lionel Perrin

(1) Rue 89 Lyon, Les mineurs en prison sont ils au régime sec ?, 8 novembre 2011