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Sommeil d’enfant

Par Y. R.

À mon arrivée en prison, à la Santé, j’ai été placé en cellule avec trois autres types. À 21 ans, j’étais le plus jeune. Il y avait Nas, 31 ans, Jacinto, la quarantaine passée, et Mamad, un trentenaire. En arrivant, je me suis présenté tout en installant mes affaires sur le lit qui restait disponible. Nas préparait à manger pour l’ensemble de la cellule… Quelques heures plus tard, après avoir fait connaissance avec tous les membres de la cellule, le plus ancien d’entre eux s’aventure dans un discours moralisateur et maladroit à mon égard et conclut en disant : « T’inquiète, en prison on dort comme un bébé. » Cette phrase m’a marqué.

Des jours, des semaines, puis des mois passèrent. J’étais partie intégrante de la cellule. Nous avions chacun nos habitudes et nous connaissions celles des uns et des autres. Mamad aimait bien lire quelques passages religieux avant de s’endormir. Nas passait de longs moments à faire l’amoureux au téléphone avec une vedette de la chanson qu’il fréquentait et Jacinto, quant à lui, tentait désespérément de retenir sa femme, avec qui il avait des enfants, qui ne supportait plus l’incarcération de son mari et s’éloignait de plus en plus. Il m’arrivait de l’entendre sangloter en pleine nuit ; sûrement attendait-il que nous dormions tous.

Un beau jour, bien des mois plus tard, Mamad nous quitta. Il fût libéré, comme ça, alors qu’il ne s’y attendait pas du tout. Quelques heures plus tard, nous avons accueilli un nouveau détenu. Il s’appelait Ahmed et devait avoir 35 ans. Ahmed s’installa, Nas, notre cuistot attitré, nous prépara le repas. Lors du dîner, on questionna un peu Ahmed sur les raisons de son séjour en prison. Après avoir fait plus ample connaissance avec notre nouveau colocataire, Jacinto lui sortit : « Une fois qu’on est en prison, il ne peut rien nous arriver de pire, et c’est pour ça qu’en taule, tu dormiras comme un bébé. »

Oui mais voilà, ce que Jacinto oublia de dire, c’est que comme un bébé, en prison, tu te réveilles toutes les deux heures pour pleurer.

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