Il était violent envers vous ?
Oui, mais pas envers mon fils. C’était un homme qui avait connu les foyers, la prison, pas d’amour de sa mère… Il y a toujours des explications à tout. Il m’isolait de mes amis, de mon univers, même du boulot. Je croyais que c’était une relation normale avec un homme, que c’était ça l’amour. Je pensais aussi contrôler, mais en fait pas du tout. C’était le genre de mec à te dire « Il n’y a que moi qui t’ai aimé », il m’a complètement déstructurée. Finalement, je l’ai laissé tomber, et me je suis mise avec Christophe, un ami à lui dont j’étais déjà amoureuse avant. Christophe était alors en prison, sa fin de peine était fixée pour 2036. Je lui ai d’abord écrit, puis on a commencé à se parler au téléphone, je suis allée le voir au parloir. Il m’a fait reprendre confiance en moi, il n’était pas du tout dans le même mode de relation, pas du tout violent.
Vous n’avez jamais vécu ensemble ?
Non, nous ne nous sommes vus qu’au parloir. Mais bon, quand tu vis quelque chose de fort… J’y allais tous les week-ends, et parfois, je restais trois jours dans les environs quand il était en Centrale. Je ne vivais que pour mes parloirs avec Christophe. On s’écrivait beaucoup aussi. Là encore, je n’avais plus de vie sociale. En 2007, on a eu une petite fille. Mais à un moment, tu ne sais plus trop si la personne t’aime vraiment ou si elle a simplement besoin de toi, les rapports deviennent faussés. Et je n’en pouvais plus des parloirs. Il avait déjà cherché à s’évader en 2001, avec prise d’otage. Il ne pouvait plus rester en prison et je l’ai aidé en lui faisant passer du matériel en 2009. Le week-end de la St-Valentin, je vais le voir à Moulins-Yzeure, et il m’annonce que c’est pour maintenant. Il se fait la belle, et juste après le parloir, la police m’intercepte.
Comment avez-vous vécu votre arrestation ?
J’étais avec ma fille de dix-huit mois quand je suis sortie du parloir. Au début, ils m’ont laissée dans une pièce avec elle, ils étaient corrects, j’ai pensé que j’allais juste me faire interroger. Ils ont laissé mes parents venir chercher ma fille, de Paris à Clermont-Ferrand. Après, j’ai dû admettre certains faits et suis restée 96 heures en garde à vue pour « association de malfaiteurs ».
Est-ce que vous aviez pensé auparavant que cela pourrait vous arriver d’avoir affaire à la police, la justice, la prison ?
En prison, j’ai vu beaucoup de femmes incarcérées pour des délits mineurs. Cela m’a fait comprendre que j’étais souvent passée à travers les mailles du filet, peut-être du fait de ma condition, de ma couleur… Car je faisais moi aussi des bêtises, comme conduire sans permis. Je connaissais aussi beaucoup de personnes qui avaient fait de la prison. Mais c’est un peu comme la drogue, tant que tu ne l’as pas vécu toi-même, tu ne te rends pas compte. J’avais aussi connu la violence d’un homme. Or, tu ne rencontres en détention que des femmes qui ont subi de la violence, soit dans leur enfance, soit plus tard avec un homme. Il y a toujours des hommes violents autour des femmes détenues. Et elles viennent de tous les milieux.
Comment se passe votre arrivée en prison ?
J’ai été incarcérée à la maison d’arrêt de la Talaudière à Saint-Étienne le 21 février 2009. Je n’ai pas eu de choc carcéral quand on m’a jetée dans la cellule. Mais pendant dix mois, je n’ai presque pas mangé, je ne pensais qu’à mes enfants. Le courrier était apporté en même temps que la nourriture, seules les lettres m’intéressaient. Je suis restée à Saint-Etienne de février à mai 2009, puis j’ai été transférée à Valence, et enfin à Fleury-Mérogis en décembre, car j’ai demandé mon rapprochement familial. Toute ma famille était sur le 94, mes parents avaient récupéré mes deux enfants. Ma mère a alors pu m’amener ma fille au parloir toutes les semaines. Au départ, je devais sortir au bout d’un an, mais le parquet a mis son véto. Je suis finalement restée en détention provisoire pendant quatre ans et deux mois.
Comment avez-vous vécu cette détention ?
Je me suis mise en « stand by ». C’est comme si j’étais sous hypnose, je n’avais pas ma vraie personnalité là-bas. Et j’étais calme. En prison, ils ont tendance à écraser les gens. J’ai résisté en parlant, en réagissant, en faisant sortir des infos. J’étais toujours prête à dénoncer les agissements de la pénitentiaire, mais pas de façon frontale, sans m’énerver. J’avais du soutien à l’extérieur, j’écrivais tous les jours de 16 à 21 heures, cela me donnait l’impression d’être avec mes proches. La relation avec certaines détenues a été l’une des choses les plus difficiles. Vu les faits pour lesquels j’étais là, j’ai été qualifiée de dangereuse. Les autres détenues me considéraient comme une terroriste. Je n’ai jamais entendu autant d’inepties que de la bouche de détenues. J’avais une copine incarcérée pour avoir tué sa grand-mère. Quand les détenues l’ont su, elles lui ont jeté de la Javel. La pénitentiaire joue avec tout cela : en faisant courir des bruits, en diabolisant les filles. Quand une détenue était vue en train de parler aux Basques, les surveillantes lui disaient : « Vous savez à qui vous parlez? Vous savez ce qu’elles ont fait »? J’ai vu des filles aller éclater la gueule d’une détenue après avoir parlé au chef de détention. Et ce n’était pas la fille qui avait agressé qui allait ensuite au mitard, c’était l’autre.
Comment s’est passé le procès ?
J’ai été transférée à Corbas en janvier 2013, en vue de mon jugement à Lyon en avril. Quand je suis partie là-bas, je ne voyais plus ma fille toutes les semaines et à nouveau je n’ai plus réussi à manger. Je faisais 45 kg, alors qu’en entrant, j’en faisais 60. Le procureur avait demandé neuf ans pour moi, j’ai été condamnée à cinq. Je m’attendais à plus. Mais ils m’ont finalement dissociée de l’histoire de Christophe qui encourait trente ans. En principe, ayant déjà fait plus de quatre ans en détention provisoire, je pouvais sortir. Mais j’ai été ramenée à Fleury, de nouveau au quartier arrivants, sans pécule pour téléphoner, avec refus de parloir pour toute ma famille, sans information sur ma date de sortie. J’ai appris plus tard que l’un des autres accusés avait fait appel, mais sur le coup, personne ne m’a rien dit. Finalement, je suis sortie au bout de dix jours.
Dans quel état d’esprit ?
J’étais contente, et sans appréhension. Mais je suis devenue plus difficile à vivre pour mes proches, je ne supporte rien, aucune frustration, je m’énerve très vite. Depuis ma sortie il y a cinq mois, j’habite chez mes parents avec ma fille. Elle est restée là pendant quatre ans, je ne peux pas l’enlever de son contexte de vie du jour au lendemain. Pour elle et pour moi, c’est sécurisant. J’ai fait des démarches auprès de la Sécurité sociale, mais je ne suis toujours pas affiliée. Je préfère ne pas y retourner, parce qu’il est écrit que si l’on crie sur un fonctionnaire, c’est passible de 6 000 € d’amende, et vous pouvez aller en prison ! Je n’ai pas encore de projet d’activité, j’aimerais faire quelque chose pour les femmes incarcérées.
Où en sont vos relations avec vos proches, vos enfants ?
Ma fille me dit tout le temps : « Maman, tu ne fais pas de bêtises ». Je ne pourrais pas lui faire ça, je préfèrerais mourir que de retourner en prison. Mais c’est une angoisse de tout le monde autour de moi. Mon fils de dix-huit ans, c’est celui qui a le plus morflé. Il avait treize ans quand j’ai été incarcérée. Ma mère m’a dit, peu de temps avant que je sorte : « Quand tu es tombée, il avait pleurer tout le temps dans les toilettes ». A cette époque, il a arrêté l’école. Depuis, il fait du basket, heureusement, mais tout cela l’a affecté, un peu déconstruit. A ma sortie, il n’arrivait pas à me regarder, à parler avec moi. Dès que je parle de prison, il veut changer de sujet : « Mais tu n’en as pas marre ?! ».
Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle les femmes auraient une détention moins dure que les hommes : elles sont souvent plus stigmatisées et bien plus isolées.
Ce n’est pas possible pour moi d’occulter, je vois aujourd’hui beaucoup de filles que j’ai connues en détention. Je ne suis pas d’accord avec cette idée selon laquelle les femmes auraient une détention moins dure que les hommes : elles sont souvent plus stigmatisées et bien plus isolées. Aucun homme ne vient les voir, alors que les mecs détenus ont souvent une femme qui les attend. Les détenues, elles ne sont soutenues que par leurs mères et leurs sœurs. Elles sont encore plus montrées du doigt pour leur affaire, à cause de l’image de la femme. Alors qu’en fait, elles ont très souvent été victimes de violence à la base.
Il y en a peu qui arrivent à voir régulièrement leurs enfants pendant leur détention. Souvent, le père en profite pour récupérer la garde. Leur vie est bousillée, il faut faire quelque chose. C’est l’une de mes motivations pour continuer à participer à MARPPI, une association pour les proches des personnes incarcérées.
Et vous êtes toujours en lien avec Christophe ?
Nous ne sommes plus ensemble, il s’est marié. Quand il était lui aussi à Fleury, le juge ne voulait pas nous accorder de parloir, il avait peur qu’on fasse un bébé. Nous en avons obtenu un finalement avec ma fille : je faisais 42 kg et Christophe n’arrivait même pas à me regarder. Il avait plein de filles qui lui écrivaient. Ils ont des « fan club », contrairement à nous les filles. De toutes manières, je ne voudrais plus refaire les parloirs. J’aimerais y aller une fois, pour qu’on termine tout cela correctement. Et ma fille pourra aller le voir.
Recueilli par Sébastien Saetta