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Violences conjugales : « Depuis 2017, j’ai eu cinq incarcérations pour cette histoire »

Sébastien* a été condamné pour des violences conjugales en 2017 après une énième dispute sur fond d’alcool. Lorsqu’il sort de détention une première fois, rien n’est résolu. Il enchaîne alors les allers-retours en prison, en restant le plus souvent en contact avec sa compagne. Depuis sa sortie en février dernier, il est suivi par un centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales.

« J’ai eu un passé judiciaire avant de rencontrer ma femme. J’ai été incarcéré, j’avais pris cinq ans. C’était de la violence, mais jamais contre les femmes, jamais.

J’ai eu un passé compliqué, elle aussi. Mon père je ne m’en souviens pas, j’étais trop jeune, je crois que j’avais cinq ans quand il est parti. Ma mère m’a toujours dit qu’elle ne voulait pas m’avoir. J’ai commencé à travailler à 14 ans, et ma mère et mon beau-père m’ont tout volé. C’est moi qui ai travaillé quand ils ne travaillaient plus. Pour qu’on mange, pour sortir, pour les chaussures de mes sœurs… c’est moi qui ramenais l’argent. La dernière fois que je les ai vus, c’était en 2017 avec ma femme, à une fête chez eux. Je voulais la leur présenter, tout le monde était défoncé, personne ne nous a parlé. Je n’y suis jamais retourné.

Avec ma femme, je pense qu’on est tous les deux un peu trop réservés, repliés sur nous-mêmes. Un peu trop d’amour exclusif, possessif aussi, de jalousie. Je ne pouvais pas aller travailler où je voulais, sinon elle appelait direct la boîte d’intérim pour dire que ça n’était pas possible que je travaille avec une femme. C’est ça qui me faisait péter les plombs tout le temps – je ne me place pas en victime, attention. Elle avait tout le temps peur que je la trompe, même en prison ! Pourtant, je n’ai jamais trompé une femme. On m’a dit “pars”. Je disais “non, on ne part pas comme ça, on s’aime”.

Je travaillais beaucoup, et elle ne travaillait plus. On voulait avoir un enfant. Il y a eu des fausses couches. Et puis une fois, c’était fin 2017, le mauvais coup est parti. On s’est reproché des choses qu’il ne fallait pas, on a bu alors qu’il n’aurait pas fallu et, ce soir-là, je ne me reconnaissais plus – d’ailleurs elle me l’a dit, “tu avais les yeux tellement noirs, je ne t’ai jamais vu comme ça, tu avais la haine”…

J’ai d’abord pris neuf mois. Nous, avec ma femme, on s’aimait tout du long, on s’écrivait deux ou trois courriers par semaine, elle venait me voir tous les samedis. Mais un soir, le directeur me demande si ça se passe bien avec ma compagne, je lui dis qu’on se téléphone tous les soirs et il m’annonce que c’est terminé. “Vous n’aurez plus de parloir, plus de téléphone, plus de courrier.” Il n’y a pas eu d’incident, rien. Il me dit : “C’est moi qui décide. Violences conjugales, on a le droit de le faire.” J’ai écrit à toutes les institutions de défense, ils m’ont tous répondu la même chose, “en effet, même si le juge n’a pas prononcé d’interdiction de contact, le directeur de prison est en droit de faire ce qu’il veut de vous”. Donc en fait on est jugé deux fois. Et finalement on nous interdit de nous voir alors qu’on ne cherche qu’une chose, c’est se reconstruire.

En prison, la première fois, on t’accorde pas mal de choses, du moment que tu te bouges. J’ai travaillé en maintenance, je suis sorti au bout de huit mois. J’étais suivi par une cpip [conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation], mais ils ne servent à rien. On a même reçu un dépliant en prison qui nous expliquait qu’ils ne faisaient plus aucune démarche, qu’ils donnaient seulement les renseignements ! Sinon, en prison, rien. La détention, c’est la détention. Le psy, tout ça, il n’y a que dans un pays de bisounours ou à la télé qu’on voit ça. Le psy, si tu vas le voir c’est pour qu’il te donne des cachets qui font dormir toute la journée pour que tu ne fasses pas chier les surveillants. Moi, ils m’ont foutu dedans avec leurs traitements et leur Subutex à la con. C’est à vie, tu peux pas t’arrêter.

Depuis 2017, j’ai dû avoir cinq incarcérations. Pour avoir levé la main une fois, une seule, au début. Comment ça se passe ? Elle me fait péter les plombs, je m’énerve, elle a peur et elle appelle les flics. Donc les flics viennent, et voilà. Même si après elle dit que c’était rien, qu’on dit qu’on s’aime, ils poursuivent. À chaque fois, je suis jugé en comparution immédiate. À chaque fois, je suis condamné. En tout et pour tout, j’ai dû faire quatre ans et demi de prison pour cette histoire.

En mai 2022, ils nous ont mis une interdiction de contact. Quand je suis sorti le 21 juillet 2022, j’ai juste envoyé des SMS à ma compagne pour lui dire « je suis sorti, est-ce que ça va ? », rien de plus. Retenue judiciaire le 22 juillet et hop, retour prison, quatre mois. Quand je suis sorti le 25 octobre, j’avais un CDI qui commençait la semaine d’après, j’avais tout fait, la banque, tout. Ma femme m’avait annoncé qu’elle viendrait me chercher. À chaque fois j’ai des appréhensions, mais je retombe dedans, parce que je l’aime. Je n’arrive pas à l’oublier. Donc j’appréhendais un peu, d’autant qu’on ne s’était pas vu depuis plusieurs mois. Mais elle est venue me chercher, et tout le monde le savait : la détention, le spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation], la juge… Je suis sorti avec un suivi, donc je suis allé voir le spip avec elle à peine sorti et c’est eux qui nous ont dit d’écrire au juge pour faire lever l’interdiction de contact. On a écrit, ma femme et moi, chacun un courrier au juge pour lui dire qu’on voulait se remettre ensemble, qu’on s’aimait. Et je ne sais pas pourquoi, le 10 novembre, quand je suis rentré du travail, elle a complètement pété un plomb, elle avait bu, elle était haineuse. Elle a appelé les flics et leur a dit qu’elle ne savait pas pourquoi j’étais là, chez elle, alors que ça faisait trois semaines que j’étais là. Les flics ont débarqué à la maison, j’ai été réincarcéré, puis finalement j’ai appris, le 6 décembre, que l’interdiction était en fait levée. Alors qu’est-ce que je foutais en prison ?

Je suis sorti en février, et depuis je suis ici, dans cet appartement que me prête le CPCA [centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales, lire page 28]. On me l’avait déjà proposé à ma sortie en octobre, mais comme Madame avait annoncé qu’elle venait me chercher, j’avais refusé. J’ai eu un entretien avec un psy du CPCA, en détention, deux ou trois semaines avant ma fin de peine. Et puis je n’ai plus eu de nouvelles jusqu’à ma sortie, où quelqu’un du CPCA m’attendait.

Ici, j’ai des entretiens avec la travailleuse sociale pour tout l’administratif – la banque, le travail, Pôle emploi, etc. – et des groupes de parole si je veux, mais non. Moi, ce dont j’ai besoin, c’est juste que Madame reconnaisse aussi ses torts. Mais maintenant je crois qu’on ne pourra plus être ensemble.

Moi, ici, j’ai l’impression d’être encore en prison. Je ne peux pas rester en appartement. Mes cinq chiens me manquent. Avant, je ne concevais pas de passer une journée sans voir personne mais maintenant, je n’aime plus les gens. Je préfère les chiens. »

*Le prénom a été changé

Propos recueillis par Laure Anelli

Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ? 

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