Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait, dans l’arrêt J.M.B. et autres contre France, condamné la France pour l’état de ses prisons. Saisie par 32 personnes détenues dans six établissements pénitentiaires, elle avait en effet jugé que les conditions de détention qui leur avaient été imposées relevaient de traitements inhumains et dégradants. Mais surtout, la Cour avait considéré que « les taux d’occupation des prisons concernées révél[ai]ent l’existence d’un problème structurel » et recommandé à la France « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention », ainsi que la mise en place d’« un recours préventif permettant aux détenus, de manière effective, de redresser la situation dont ils sont victimes ».
Réuni du 14 au 16 septembre dernier, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, instance chargée notamment d’examiner le suivi par les États membres des arrêts de la Cour, s’est penché pour la première fois sur la mise en œuvre par la France de cette décision. Et il semble loin d’en être satisfait.
En ce qui concerne l’évolution de la population carcérale, les délégués des ministres expriment « leur préoccupation face aux derniers chiffres qui attestent de son augmentation, à nouveau, rapide et importante » après une baisse conséquente à la faveur de la crise sanitaire. Ils « invitent dès lors les autorités, à la lumière notamment des recommandations du Comité européen de prévention de la torture (CPT) » à adopter rapidement « une stratégie cohérente à long terme pour réduire le taux d’occupation des prisons ». Dans le rapport de sa visite de 2019, le CPT avait appelé les autorités à « tirer les leçons de l’inefficacité des mesures prises depuis trente ans » : « Malgré l’augmentation constante de la capacité pénitentiaire et l’adoption de nombreuses mesures et législations, la population carcérale n’a cessé de croître à un rythme toujours plus soutenu », avait-il notamment taclé. Sous-entendant à son tour que l’accroissement du parc carcéral envisagé par le gouvernement n’est pas une solution satisfaisante, le Comité des ministres invite les autorités « à privilégier et renforcer les moyens nécessaires au développement des mesures non privatives de liberté comme à accroître davantage la sensibilisation de la magistrature aux objectifs de réduction carcérale […], tout en envisageant rapidement de nouvelles mesures législatives qui réguleraient, de manière plus contraignante, la population carcérale ». Une recommandation qui fait écho aux observations que l’OIP avait fait parvenir au Comité en amont de l’examen de la situation de la France : au côté d’autres organisations, l’association avait préconisé l’instauration d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale qui s’inscrirait dans une politique plus large de réductionnisme pénal. Les délégués des ministres invitent par ailleurs les autorités « à leur fournir des informations sur les mesures adoptées et/ou envisagées pour augmenter les activités hors cellule et concernant la refonte du mode de calcul de la capacité des prisons, suggérée par la Cour ». Dans son arrêt, la CEDH préconisait en effet de repenser le mode de calcul actuel pour tenir compte d’autres critères que l’espace ou les mètres carrés dont disposent les détenus. Elle proposait entre autres de prendre en considération le temps passé en cellule et, de façon plus générale, les conditions de prise en charge des détenus, notamment en termes de dotation en personnel et d’activités motivantes axées sur la réinsertion. À ce jour, aucune mesure ne semble avoir été prise par le ministère de la Justice dans ce sens.
En ce qui concerne le deuxième volet de la condamnation européenne, à savoir la mise en place d’un recours préventif, les délégués des ministres « notent avec grand intérêt la réactivité de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel ». Saisies par l’OIP, ces juridictions avaient en effet tiré les enseignements des injonctions européennes et contraint le législateur à s’emparer de cette question. Une loi promulguée le 8 avril 2021 avait ainsi ouvert une voie de recours permettant aux personnes détenues de contester leurs conditions indignes de détention. Dans ses observations au Comité des ministres, l’OIP avait cependant pointé les limites de cette loi : il regrettait, outre la complexité de la procédure, un mécanisme visant à restreindre au maximum les perspectives de libérations en privilégiant les transferts, ainsi que la place prépondérante donnée à l’administration pénitentiaire dans le traitement des requêtes, au détriment du juge judiciaire. Des critiques qui semblent avoir été entendues par le Comité. Il invite les autorités à se prononcer au sujet de ces préoccupations, « en particulier sur les délais d’examen en pratique du recours et la place conférée à l’administration et aux “transferts” qu’elle pourrait décider, sans vérification par le juge des nouvelles conditions de détention et, de surcroît, dans un contexte structurel de surpopulation ».
À l’issue de sa réunion, le Comité des ministres a fixé un nouveau rendez-vous à la France : en 2022, il examinera à nouveau les mesures qui auront été prises en application de ses recommandations et de celles de la Cour.
par Cécile Marcel