En décembre 2016, nous publiions un dossier(1) consacré à la justice restaurative. Cinq ans plus tard, Robert Cario, professeur émérite de criminologie et président fondateur de l’Institut français pour la justice restaurative, revient pour nous sur les possibilités offertes par cette forme de justice pensée comme un complément à la justice pénale. Dressant un état des lieux des différents dispositifs existants et à venir en France, il souligne les bienfaits de ces ateliers basés sur le dialogue.
Inspirée de pratiques traditionnelles de régulation des conflits, réactivée dans les pays anglo-saxons au milieu du siècle dernier, la justice restaurative a été expérimentée en France pour la première fois au début des années 2010, avec une première rencontre entre détenus et victimes à Poissy. Mais elle ne s’est réellement inscrite dans les pratiques françaises qu’après l’adoption de la Loi Taubira, en 2014, qui a prévu la généralisation du recours à la justice restaurative dans toute procédure pénale, à tous les stades de celle-ci, quelle que soit la nature de l’infraction commise, pour les majeurs comme pour les mineurs.
Regroupant diverses mesures, les ateliers restauratifs constituent des espaces inédits de dialogue entre les personnes concernées par l’infraction. Il ne s’agit pas d’actes de procédure mais de possibilités offertes aux participants d’échanger sur les répercussions qui perdurent pour chacun d’entre eux et qui sont souvent peu – voire pas du tout – prises en compte par le système pénal. Identifier et exprimer les souffrances subies par chacun, favoriser la compréhension mutuelle de ce qui s’est passé et rechercher ensemble des solutions pour y remédier : tel est l’objet de la justice restaurative.
Les principales mesures restauratives
Parmi les différents ateliers développés en France depuis le milieu des années 2010(2), ceux dits de « médiation restaurative » sont les plus fréquents. Cette médiation offre à la personne victime d’un délit grave ou d’un crime (ou à ses proches, si elle n’a pas survécu) et à la personne qui en est l’auteure l’opportunité d’une rencontre afin qu’elles échangent sur les répercussions du conflit pénal qui les oppose. Elle vise, avant tout, à favoriser le dialogue entre les personnes concernées, considérées comme étant les plus aptes à mesurer leurs propres attentes, à évaluer l’ampleur des répercussions qui les affectent toujours, à rechercher les solutions qu’elles pourraient mettre en œuvre pour y répondre. La première médiation restaurative s’est tenue en 2016 à Valence. Depuis, une soixantaine d’ateliers ont eu lieu dans une dizaine de départements. La conférence restaurative, inspirée des conférences du groupe familial maories, concerne les mineurs. Encore très peu développée dans notre pays, elle se distingue de la médiation par le nombre de participants (souvent proche de dix personnes) qu’elle rassemble. Personne infracteure et victime (ou l’un de ses proches si elle n’a pas survécu au crime subi) liées par la même affaire sont entourées d’un médiateur ainsi que de personnes ou institutions ayant intérêt à la régulation du conflit, mais uniquement dans une perspective de soutien et d’accompagnement des protagonistes : amis, personnes en qui chacun d’eux a une particulière confiance, référents de l’une ou l’autre des parties, représentants d’institutions judiciaires, sanitaires ou sociales.
Les rencontres détenus-victimes, expérimentées en Angleterre dès 1983 puis introduites au Canada en 1987, sont des « face à face de groupes » entre personnes infracteures incarcérées et victimes. Il s’agit ici de rencontres entre anonymes non liés par la même affaire, mais ayant commis ou subi des actes de nature proche. Ce partage des émotions entre personnes ayant été confrontées aux mêmes actes, des deux côtés du crime, vise à provoquer la « libération » des intéressés, parfois enserrés dans des postures d’incompréhension, de culpabilité, de haine, de dévalorisation, d’isolement affectif et social – de grande souffrance finalement. Sur le même modèle, les rencontres condamnés- victimes se déroulent en milieu ouvert lors de l’exécution de sanctions au sein de la communauté (sursis simple ou avec mise à l’épreuve, libération conditionnelle notamment). Ces deux types de rencontres ont été particulièrement privilégiés en France. De très nombreux programmes ont été mis en place partout sur le territoire. On observe néanmoins actuellement une certaine stagnation au profit de la médiation restaurative, en plein essor.
Les participants, investis dans une posture d’appropriation des dispositifs, témoignent d’un sentiment de reprise de pouvoir sur leur propre vie.
D’autres mesures, promues par les acteurs de la justice restaurative, pourraient être mises en œuvre en France. Parmi elles, les cercles restauratifs extra-judiciaires, imaginés par l’Institut français pour la justice restaurative pour les cas où l’action publique ne peut être introduite ou prospérer – parce que l’auteur des faits est inconnu ou décédé, parce que les faits sont prescrits, que les preuves sont insuffisantes pour engager des poursuites pénales ou qu’un non-lieu a été prononcé pour cause d’abolition du discernement. Dans tous ces cas de figure, aucune réponse n’est donnée aux personnes victimes et/ou à leurs proches, pas davantage aux membres de leurs communautés d’appartenance. Il en va de même pour les proches de l’auteur, voire pour l’auteur lui-même après une prise en charge psychiatrique de qualité. Il peut ainsi advenir que ces personnes souhaitent néanmoins se rencontrer pour échanger sur les circonstances du conflit, a priori infractionnel. Mais il ne s’agira d’évoquer que les répercussions du crime, non pas ses conséquences en termes de sanction ou d’indemnisation, par définition non avenues pénalement. L’organisation du cercle est calquée sur celle d’une conférence restaurative, en présence de deux animateurs. Ces ateliers devraient être expérimentés dès 2022.
Les bienfaits des ateliers restauratifs
« J’ai pu prendre la parole et dire ce que j’avais à dire, c’était fort en émotions et c’était bien, j’ai eu l’occasion de déverser le trop-plein que j’avais. » « Il y a une compréhension que l’on n’a pas ailleurs. On en sort libérée. » « Ça permet de comprendre les auteurs, de les humaniser. » « Au fil des rencontres, les condamnés ont pris conscience des conséquences d’une infraction. » « J’ai le sentiment qu’elles nous ont compris et qu’on n’est pas des monstres. » « Ça a été une libération, le soulagement d’un poids (…) car j’ai pu m’exprimer, laisser s’exprimer les victimes et comprendre leur souffrance ! » De manière générale, les retours d’expérience montrent que la justice restaurative semble bien répondre aux attentes et aux besoins des justiciables(3). Quel que soit le moment de sa mise en œuvre (avant ou après poursuites, après condamnation) et la forme des ateliers proposés, les personnes se sentent reconnues et sont plus satisfaites, au plan émotionnel principalement, que lors des prises en charge par la justice pénale. Les participants, investis dans une posture d’appropriation des dispositifs, témoignent d’un sentiment de reprise de pouvoir sur leur propre vie. En matière de médiation restaurative en particulier, ils soulignent l’importance de la préparation et l’utilité de la rencontre : se confronter à la personne infracteure redonne du pouvoir à la personne victime et/ou à ses proches qui, en évaluant la sincérité de ses réponses, envisagent, au fur et à mesure des rencontres, son humanité, quoi qu’elle ait commis. Le partage sincère des émotions élimine toute forme de vindicte, si souvent à l’œuvre dans le système pénal classique.
S’agissant des rencontres condamnés-détenus-victimes, les intéressés déclarent mieux comprendre le passage à l’acte pour les unes, mieux comprendre les personnes victimes et les souffrances endurées pour les autres. Par la rencontre avec des personnes condamnées ou détenues anonymes, l’agresseur redevient, pour les victimes, une personne, nettement individualisée. La confiance qu’elles peuvent à nouveau accorder aux autres, et au corps social en son entier, facilite leur retour à la vie sociale. Des « effets thérapeutiques » sont en outre observables sur les participants : diminution de la colère, de la peur, de la honte ou de la culpabilité, baisse des symptômes dépressifs, réduction des troubles du sommeil et de la consommation de produits toxiques ou médicamenteux, etc. Elle favorise, enfin, une meilleure responsabilisation des personnes impliquées, et en particulier de la personne infracteure. Permettant ainsi à chaque participant de retrouver son humanité, la justice restaurative apparaît comme « une utopie qui marche »(4). Pourtant, les juridictions pénales tardent encore à intégrer les possibilités offertes par la justice restaurative parmi les réponses au crime possibles. En cause, la sensibilisation très incomplète des magistrats lors de leur formation. Aussi, le turn over important des professionnels engagés tout au long de la chaîne pénale compromet encore trop souvent la pérennité des dispositifs mis en œuvre à l’échelle d’une juridiction.
Par Robert Cario
(1) Dedans Dehors n°94, décembre 2016.
(2) Depuis 2016, l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR) – l’un des principaux acteurs en la matière – a, pour sa part, accompagné environ 250 ateliers restauratifs.
(3) Voir notamment les « Enquêtes nationales sur la justice restaurative » (2018 à 2021) sur le site de l’IFJR.
(4) R. Cario et P. Mbanzoulou, La justice restaurative une utopie qui marche ?, L’Harmattan, 2010.