Le gouvernement a publié fin avril le premier texte d’application de la réforme du travail en prison. Si l’instauration d’un cadre juridique est en soi protecteur pour les travailleurs détenus, les nombreuses dérogations au droit du travail qu’il entérine confirment leur statut de main d’œuvre corvéable.
En décembre 2021, la loi dite pour la confiance dans l’institution judiciaire portait une réforme du travail en prison. Urgente face à la situation des quelque 20 000 travailleurs incarcérés privés de droits, elle consacre des avancées largement attendues : mesures de protection sociale et encadrement du travail entre les murs. Elle ne fait pour autant pas entrer le droit du travail en prison : les personnes détenues restent sous-payées, privées de tout droit collectif, de congés payés ou encore d’indemnisation en cas de maladie non-professionnelle ou de chômage technique. Et elle entérine un régime dérogatoire qui promeut la flexibilité maximale des travailleurs captifs au profit des donneurs d’ordre, que vient confirmer le décret publié le 1er mai relatif à l’organisation du travail des personnes détenues, premier pan de la réforme. Son deuxième pan concernera les droits sociaux, dont les modalités d’application doivent encore être déterminées par une ordonnance attendue d’ici octobre 2022.
(Dé)classement et (dés)affectation, une protection partielle
L’établissement d’un cadre juridique, concrétisé par ce décret, est en soi une avancée. L’inscription dans le droit d’un contrat d’emploi pénitentiaire, de procédures d’accès au travail et relatives à la suspension et à la résiliation de la relation de travail offre en effet une plus grande protection en favorisant l’uniformisation des pratiques et le respect des normes juridiques.
En termes d’accès au travail, la loi adoptée en décembre formalise un processus en deux étapes. La personne détenue doit d’abord demander une autorisation de travailler, en précisant éventuellement sous quel régime, par exemple au service général de la prison ou en atelier de production. Cette demande donne lieu à une « décision de classement » prise par le chef d’établissement, qui précise le ou les régimes selon lesquels le prisonnier peut être employé, et dont le refus ne peut être motivé que « pour des motifs liés au bon ordre et à la sécurité de l’établissement ». La personne détenue « classée » est alors placée sur la liste d’attente d’affectation de l’établissement et peut candidater à des offres. L’administration pénitentiaire organise ensuite des entretiens professionnels avec les donneurs d’ordre, par exemple l’administration pénitentiaire pour le service général, une entreprise privée pour un atelier de production. Ces derniers opèrent un choix, sur la base duquel le chef d’établissement prend, le cas échéant, une « décision d’affectation » sur le poste de travail sous réserve, là encore, du bon ordre et de la sécurité de l’établissement. Cette décision d’affectation, formalisée par la signature du contrat d’emploi pénitentiaire, constitue la véritable porte d’entrée dans le travail.
La précarité du travailleur détenu tient d’abord à l’absence de garantie quant à la pérennité de son emploi. En cause, la place centrale donnée au CDD et les importantes entorses à son encadrement.
Le décret publié le 1er mai reprend la possibilité, posée par la loi, de contester devant le juge une décision de refus de classement. Il étend par ailleurs cette possibilité aux cas où un chef d’établissement refuserait d’affecter à un poste de travail un candidat qui aurait été choisi par le donneur d’ordre à l’issue d’un entretien. Il est néanmoins regrettable que cette protection ne couvre pas les décisions de classement : la personne détenue qui serait, par exemple, classée uniquement en atelier de production alors qu’elle avait formulé le souhait de travailler au service général, n’a ainsi aucun levier pour le contester. Le texte réglementaire entérine également la possibilité de recours contre une décision de fin de classement établie par la jurisprudence du Conseil d’État en 2007(1), et étend ce cadre aux décisions de fin d’affectation. Là encore, l’extension est décevante : elle ne couvre pas la suspension d’affectation, qu’elle soit motivée par le maintien du bon ordre, la sécurité de l’établissement ou la prévention d’infractions, ou qu’elle résulte d’une suspension ou baisse temporaire de l’activité, par exemple sur des périodes estivales de fermeture des ateliers. Les conséquences sont pourtant lourdes pour le travailleur, qui se retrouve alors sans activité professionnelle et sans rémunération, et ce sans aucune limitation de durée, sauf en cas de baisse temporaire de l’activité où elle est de trois mois.
Les droits individuels des travailleurs détenus sont également moins protecteurs qu’à l’extérieur. Certes, des entretiens préalables devront être organisés dans la plupart des cas où le donneur d’ordre envisage de procéder à une résiliation du contrat(2). Mais, à la différence des salariés libres pour lesquels un délai minimum de cinq jours doit séparer la notification de la lettre de convocation de l’entretien, le délai n’est que de deux jours en détention. La différence est loin d’être insignifiante : ce délai, qui permet au travailleur de préparer son entretien, apparaît d’autant plus court que les contraintes carcérales ralentissent toute procédure éventuelle de prise de contact avec une assistance juridique, et que les prisonniers ne bénéficieront pas de la possibilité d’être accompagnés par un tiers lors de l’entretien. Cette possibilité est pourtant considérée, à l’extérieur, comme un droit individuel fondamental. Qu’il aurait été essentiel de transposer en prison, où il n’y a ni représentants du personnel ni syndicats et où la relation avec le donneur d’ordre est particulièrement déséquilibrée.
Une flexibilité poursuivie avec zèle
Le décret traite aussi largement de la relation de travail en elle-même. Mais le principe est surtout celui du régime dérogatoire. La loi avait donné le ton, mais le texte réglementaire poursuit la logique en forçant le trait. Objectif : une main d’œuvre la plus flexible possible. Au détriment du travailleur, enfermé dans un statut précaire, dépourvu de visibilité sur son planning de travail, et dont la rémunération reste incertaine.
La précarité du travailleur détenu tient d’abord à l’absence de garantie quant à la pérennité de son emploi. En cause, la place centrale donnée au contrat à durée déterminée et les importantes entorses à son encadrement. Si le décret reprend globalement les dispositions du droit commun concernant les cas dans lesquels il est autorisé ou interdit de conclure un tel contrat, il ne fixe, entre les murs, ni durée maximale, ni nombre maximal de renouvellements(3). L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip) justifie ces choix par « [le] fait que les détenus sont par essence en détention pour une durée limitée inférieure aux limites fixées dans le droit commun et n’ont pas vocation à intégrer définitivement l’entreprise. L’enjeu de sécurisation de la relation de travail en détention ne peut donc être pleinement assimilé à l’enjeu poursuivi par la réglementation d’encadrement du CDD par le droit commun ». Mais aussi parce que « la prise en compte de la réalité économique des entreprises implantées en détention » ne serait « à ce stade pas compatible avec la mise en place d’un modèle plein et entier de salariat ». Cette précarité se reflète également, que le contrat soit à durée déterminée ou indéterminée, par un délai particulièrement court pour prévenir de la fin d’une période d’essai : de vingt-quatre heures, il correspond au minimum existant hors les murs, où il ne s’applique qu’aux salariés dont l’ancienneté est inférieure à huit jours.
Par ailleurs, le décret renforce l’absence de visibilité du travailleur sur son planning de travail. Le donneur d’ordre peut en effet librement modifier la répartition de la durée du travail jusqu’à vingt-quatre heures avant. Il peut aussi, dans le même délai, modifier le nombre d’heures de travail : prévenu au moins vingt-quatre heures avant, le travailleur détenu ne peut refuser d’accomplir des heures complémentaires ; à l’extérieur, le délai est de trois jours. À la recherche d’une flexibilité maximale, le gouvernement abaisse d’un côté la durée minimale de travail hebdomadaire à dix heures – contre vingt-quatre dans le droit commun – et augmente de l’autre le nombre d’heures complémentaires que le donneur d’ordre peut imposer au travailleur – jusqu’à la moitié de la durée de travail prévue au contrat, contre 10% hors les murs. Cette large marge de manœuvre laissée au donneur d’ordre empêche toute anticipation de son planning pour la personne détenue, que ce soit pour programmer des parloirs, des rendez-vous médicaux ou d’autres activités. Et si le texte prévoit une liste de « motifs légitimes d’absence »(4) qui ne peuvent constituer des motifs de fin de contrat, ces absences entraînent cependant une perte de rémunération. Cette dernière apparaît d’autant plus injuste si elle est causée par une modification tardive des horaires de travail. Ces problématiques sont encore renforcées dans le cadre du régime dit « aménageable ». Ce régime « permet de s’adapter aux fluctuations de l’activité de l’entreprise »(5), qui peut fixer un volume horaire hebdomadaire moyen de travail tout en s’autorisant à le répartir librement sur une période de référence qu’elle détermine. En fixant à une année la durée maximale de cette période, le gouvernement pousse son objectif de flexibilité à son paroxysme. Un travailleur détenu dont le contrat d’emploi pénitentiaire établirait une durée hebdomadaire de travail de dix heures pourrait ainsi devoir effectuer vingt heures une semaine et se retrouver sans activité la semaine suivante. Il devra de plus attendre jusqu’à un an pour que ses éventuelles heures complémentaires ou supplémentaires soient comptabilisées, et donc payées.
Enfin, quelques dispositions échappent au régime dérogatoire posé par le décret. Calquées sur le droit commun du travail, elles sont rares mais néanmoins importantes. Parmi elles, les temps de pause et temps de repos, entrés en vigueur au 1er mai. Également, la durée du travail à temps complet (35 heures) et les durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail (respectivement 10 et 48 heures), qui n’entreront en vigueur qu’à une date ultérieure, au plus tard fin 2023. Mais la portée de tout cadre juridique réside dans son effectivité, qui elle-même dépend de l’existence d’une instance chargée de veiller à ce qu’il soit respecté. Hors les murs, ce rôle est joué par l’inspection du travail, qui détient une compétence générale sur la relation de travail. Elle aurait pu constituer l’instance de contrôle du respect du nouveau cadre juridique en prison. Mais, sur ce sujet, le décret entérine un statu quo, et l’inspection du travail reste enfermée dans les champs de l’hygiène et de la sécurité. Un espoir se loge néanmoins dans la loi elle-même, qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures dans l’optique « de confier aux agents de contrôle de l’inspection du travail des prérogatives et des moyens d’intervention au sein des établissements pénitentiaires afin de veiller à l’application des dispositions régissant le travail en détention »
Par Prune Missoffe
(1) Conseil d’État, Assemblée, 14 décembre 2007, Planchenault, n°290420.
(2) Pour insuffisance professionnelle ou en cas de non-respect (le cas échéant) de l’accompagnement socioprofessionnel, pour motif économique et pour un motif tenant aux besoins du service.
(3) En droit commun, le nombre de renouvellements est limité à deux, et sur une période qui ne peut excéder dix-huit mois.
(4) Notamment : convocations, entretiens, motifs disciplinaires, permissions de sortir, visites, rendez-vous médicaux.
(5) Ministère de la justice, Atigip, « FAQ – Réforme du travail pénitentiaire ».