Au premier rang des facteurs qui contribuent à l’accès dégradé aux soins spécialisés en détention figure la pénurie de praticiens exerçant en prison. Celle-ci s’explique d’abord par l’inadéquation des effectifs budgétés avec les besoins de la population carcérale, mais également par un fort taux de vacance de postes.
« Les budgets permettant le fonctionnement des unités sanitaires n’ont pas été réévalués depuis 2007 », relevait Béatrice Carton, présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (Apsep), à l’occasion d’une récente audition parlementaire(1). L’inadéquation des moyens humains avec les besoins de soins est renforcée par le mode de calcul des budgets alloués aux unités sanitaires, fondé sur la capacité théorique des établissements pénitentiaires et non sur le nombre réel de personnes qui y sont détenues. Étant donné la suroccupation massive des prisons françaises, la part des besoins non pris en compte est parfois énorme. En outre, alors que les effectifs budgétés sont déjà souvent insuffisants, certains postes peinent à trouver preneurs. En 2015, un rapport évaluait à 22% la proportion de postes de spécialistes budgétés non pourvus, avec une concentration des sous-effectifs dans certaines unités sanitaires et dans certaines spécialités, kinésithérapie, psychiatrie et dentisterie en tête(2). Depuis, la situation n’a pas fait l’objet d’une réévaluation nationale, mais les éléments recueillis par l’OIP semblent indiquer que ce constat est toujours d’actualité. Pour ne prendre que le cas des dentistes, sur les vingt unités sanitaires pour lesquelles nous connaissons à la fois le nombre de postes occupés et le nombre budgété, huit ont un effectif réel inférieur de plus de la moitié à l’effectif budgété, voire nul. Les vacances de postes touchent aussi d’autres spécialités, parfois depuis des années : au centre pénitentiaire de Riom par exemple, le poste de kinésithérapeute n’a jamais été occupé depuis l’ouverture du service en 2016.
Ces manques reflètent parfois la pénurie de praticiens qui affecte certaines spécialités (kinésithérapeutes et gynécologues étant déficitaires à l’échelle nationale) ou certains territoires : à la maison d’arrêt d’Auxerre, dans l’Yonne, département considéré comme un désert médical, aucune consultation spécialisée n’a lieu depuis plusieurs mois, et le centre hospitalier a recours à des intérimaires pour assurer les consultations de médecine générale(3). Les difficultés de recrutement en unité sanitaire sont renforcées par la faible attractivité des postes proposés en détention, les rémunérations et statuts étant largement défavorables, notamment pour les kinésithérapeutes. S’y greffent des obstacles d’ordre pratique, comme l’éloignement des prisons des centres hospitaliers de rattachement, mais aussi « la crainte liée à l’insécurité »(4).
Outre ces problèmes humains, la taille et la configuration des locaux, tout comme la disponibilité du matériel médical, très variables d’une unité sanitaire à l’autre, sont souvent dissuasifs pour les éventuels candidats. Surtout, ils restreignent parfois considérablement l’offre de soins. Au centre de détention de Bapaume, un même bureau sert pour le dermatologue, le radiologue, l’opticien et l’addictologue, et le seul bureau équipé d’une webcam, utilisé pour les téléconsultations en addictologie, sert aussi de salle de consultation pour la kinésithérapie et la PMI(5).
Responsables de l’organisation des soins en détention, les centres hospitaliers de rattachement jouent un rôle clef dans l’équilibrage des ressources humaines. Mais ils ne se donnent pas toujours les moyens de pourvoir les postes vacants, quand ils ne vont pas jusqu’à puiser dans les budgets pour combler des besoins ailleurs, l’organisation des soins en détention apparaissant souvent comme secondaire dans les priorités hospitalières. Les situations locales dépendent également de la plus ou moins grande mobilisation des Agences régionales de santé (ARS). Sur un échantillon de vingt unités sanitaires, neuf sur les dix ayant un effectif de dentistes complet se situent dans les régions Grand-Est et Hauts-de-France, dans lesquelles une politique volontariste a permis de doter l’ensemble des établissements de personnel. L’ARS Grand Est a également débloqué des fonds pour remplacer les fauteuils dentaires de l’ensemble des unités sanitaires de la région et financé l’achat de matériel pour mettre fin à des pratiques systématiques d’extractions dentaires, inévitables en l’absence d’outils adaptés. Cet investissement a permis d’améliorer la qualité des soins dispensés en détention et d’augmenter le recours au soin des personnes détenues.
Par Odile Macchi et Laure Anelli
(1) P. Benassaya, C. Abadie, 2022, Rapport fait au nom de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, Assemblée nationale.
(2) IGAS, IGSJ, 2015, Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010- 2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice.
(3) Rapport de visite du CGLPL à la maison d’arrêt d’Auxerre, 2021.
(4) P. Benassaya, C. Abadie, op.cit.
(5) Rapport d’activité de l’USMP du centre de détention de Bapaume, 2020.
Publié dans Dedans Dehors n°115, juin 2022.