Le budget de l'administration pénitentiaire pour 2024 du nouveau projet de loi de finances, voté par l’Assemblée nationale et dont les débats au Sénat débuteront fin novembre, traduit une nouvelle fois la place centrale de la peine d’emprisonnement et de son volet punitif dans notre politique pénale. Il ne présage, malheureusement, aucun changement de paradigme.
Cinq milliards. C’est le cap que passera en 2024 la dette générée par la construction de nouvelles places de prison. Sur la seule année prochaine, plus de 630 millions d’euros y seront consacrés[1]. Le nouveau budget de l’administration pénitentiaire marque ainsi la poursuite d’une politique tout aussi effrénée qu’inefficace. Présentée comme la solution principale pour mettre fin aux fléaux de la surpopulation carcérale et l’indignité des conditions de détention, cette politique de construction – encore renforcée avec le vote récent d’une augmentation du plan immobilier[2] – va droit dans le mur.
Plus on construit, plus on enferme, de manière décorrélée de la croissance démographique ou de la soi-disant hausse de la délinquance Alors que 14 176 nouvelles places ont été créées entre 1993 et 2023, 21 831 personnes supplémentaires sont aujourd’hui enfermées dans les prisons françaises, une augmentation. Résultat, au 1er octobre, le taux moyen d’occupation dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérées près de 50 000 personnes détenues, était de 146,3 %. Les conditions de détention n’en sont pas davantage améliorées. A ce jour, au moins 47 prisons françaises – dont certaines récemment construites – ont ainsi été condamnées pour leurs conditions indignes de détention ; parmi elles, seules quatre ont depuis été fermées ou rénovées.
Au-delà de son inefficacité, cette politique aggrave les maux qu’elle prétend résorber. Car c’est autant de budget qui n’est pas investi dans les outils qui permettraient véritablement de lutter contre les conditions indignes de détention et la surpopulation carcérale. Le montant dédié à l’entretien lourd des prisons existantes, de 57 millions d’euros, accuse une baisse d’un tiers en seulement une année, une diminution dramatique au vu de la vétusté et de l’insalubrité des établissements pénitentiaires français. Il est désormais plus de dix fois inférieur à celui de la construction. Le budget prévu pour les aménagements de peine et alternatives à l’incarcération subit également une baisse par rapport à 2023 et demeure le plus faible, avec 52 millions d’euros. Il concerne de plus toujours très majoritairement la surveillance électronique (73%), mesure centrée sur le contrôle plutôt que sur l’accompagnement. Pour ce qui est de l’enveloppe dévolue à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous-main de justice, elle stagne à 123 millions d’euros[3] pendant que le nombre de personnes concernées, lui, ne cesse de croître. Aucune création d’emploi n’est pas ailleurs prévue pour renforcer les métiers du social, de l’insertion et de l’éducatif dans les prisons existantes.
Le budget consacré à la sécurisation des établissements pénitentiaires, de 103 millions d’euros[4], continue quant à lui d’être particulièrement conséquent, et augmente doucement mais sûrement, dans la droite ligne de la généralisation récemment votée des caméras piétons pour les surveillants pénitentiaires. Dans ce budget, les brouilleurs d’ondes continuent de coûter chaque année environ 30 millions d’euros, alors que de nombreuses voix se lèvent pour dénoncer les conséquences de l’interdiction d’accéder à Internet entre les murs. L’achat d’équipements de sécurité comme les armes ou les protèges-lames est, lui, quasiment multiplié par dix, avec une hausse de près de 13 millions d’euros par rapport à l’année précédente.
Cette répartition budgétaire traduit une nouvelle fois la place centrale de la peine d’emprisonnement et de son volet punitif dans notre politique pénale. Elle ne présage, malheureusement, aucun changement de paradigme.
[1] Somme des nouveaux investissements immobiliers (524 millions d’euros en autorisations d’engagement) et du remboursement (partiel) des dettes accumulées par le passé (109 millions d’euros en crédits de paiement).
[2] Avec la nouvelle loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, votée par le Parlement le 11 octobre, l’actuel plan de construction de 15 000 nouvelles places de prison est passé à 18 000.
[3] Somme du poste budgétaire « Prévention de la récidive et réinsertion des personnes placées sous main de justice » (107,4 millions d’euros en crédits de paiement) et des dépenses d’intervention dédiées à la lutte contre la pauvreté et aux subventions aux associations (15,8 millions d’euros en crédits de paiement).
[4] Somme des postes budgétaires « Sécurisation passive » et « Sécurisation active », et de dépenses réparties dans d’autres catégories budgétaires (ERIS, centres sécuritaires, renseignement pénitentiaire et lutte contre la radicalisation violente).