Les réformes de ces dernières années multiplient les possibilités de prononcer des aménagements de peine. De nouvelles voies s’ouvrent au placement à l’extérieur mais, rapides et concentrées sur les plus courtes détentions, elles sont semées d’embûches pour une mesure qui demande du temps.
Construire de nouvelles prisons, mais aussi tenter de limiter les courtes incarcérations et d’accélérer la sortie, sous le contrôle de la justice, des personnes détenues proches de la fin de leur peine : c’est ainsi que les autorités présentent leur plan de lutte contre la surpopulation carcérale – à défaut de s’attaquer à ses causes structurelles. Autant de nouvelles occasions, sur le papier, de prononcer davantage de placements à l’extérieur. Pourtant, leur nombre n’a augmenté que de 2 % en deux ans[1], contre 12% pour la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) et 31 % pour la semi-liberté. 21 % des placements à l’extérieur exécutés en 2022 ont malgré tout été prononcés dès le jugement (ab initio) ou sans mandat de dépôt[2], des procédures instaurées par les récentes réformes. Les nouvelles « libérations sous contrainte », en revanche, se font principalement sous forme de surveillance électronique et ne contribuent qu’à 8 % des placements à l’extérieur exécutés au 1er septembre 2023.
Comment expliquer ces résultats mitigés ? Au-delà du recours quasi-automatique au bracelet électronique par les juges, et des freins qui limitent le développement du placement à l’extérieur en général (voir p. 10), la rapidité des nouvelles voies procédurales et leur concentration sur les peines les plus courtes représentent de sérieux défis pour une mesure qui par nature demande du temps. L’ajustement des calendriers de la justice et de la structure d’accueil, la définition d’un projet individualisé et l’accompagnement de la personne suivie impliquent en effet des délais incompressibles, et parfois difficilement prévisibles. « Les récentes réformes pénales font sortir des condamnés avec de tout petits reliquats de peine, et très peu d’associations sont d’accord pour les prendre en placement à l’extérieur moins de quatre mois », constate Annabelle Bouchet, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation (Cpip) en milieu ouvert à Lyon et représentante du syndicat Snepap-FSU.
Le placement à l’extérieur est-il soluble dans le temps court ?
Du fait de la densité de l’accompagnement proposé en placement à l’extérieur, de nombreux professionnels y ont traditionnellement recours pour prendre en charge les personnes détenues les plus précaires et isolées, qui doivent affronter des problématiques nombreuses et complexes. Mais comment envisager des perspectives d’insertion durable, accéder à un logement, une formation, des soins ou un emploi en quelques mois ? D’autant que « beaucoup de choses se jouent au moment de la sortie de prison : c’est là que les tensions reviennent, que les tentations arrivent… Travailler sur tout cela demande du temps », souligne Églantine Bourgognon, Cpip en milieu ouvert à Meaux et représentante de la CGT Insertion-Probation. « Si le placement est trop court, les personnes n’ont pas le temps de créer un réseau, un tissu relationnel soutenant, qui est une des principales clés pour réussir sa réintégration dans la communauté », ajoute l’un de ses collègues. Pour les structures d’accueil, prendre en charge des mesures très courtes peut aussi entraîner la multiplication des temps de battement entre deux placements, non financés par l’administration pénitentiaire.
Certaines associations accueillent pourtant depuis longtemps des placements à l’extérieur de quelques mois, notamment lorsqu’elles opèrent sur le territoire d’une maison d’arrêt. « Dans ces cas-là, nous ne faisons pas le même travail, explique Élise Morienne, de l’association ESPÉRER95 dans le Val-d’Oise. C’est souvent frustrant, mais non dénué d’intérêt : nous avons au moins le temps de rassurer les personnes, de leur ouvrir des droits et d’activer des relais extérieurs pour qu’elles aient quelques repères au moment de quitter le dispositif. Sans nous, ce seraient des sorties sèches. » Et si le placement à l’extérieur n’a pas le temps de produire tous ses effets, du moins peut-il planter des graines qui mûriront peut-être plus tard, estime Nora Hannou, de l’association Apremis à Amiens : « Les résultats sont certes bien plus probants sur un placement probatoire d’un an qu’avec un jeune qui fait des allers-retours en maison d’arrêt, mais expérimenter un petit peu de cette mesure peut quand même le faire cheminer. »
Des « sorties sèches » de placement à l’extérieur
Cela dit, « le risque sur les très courtes peines, c’est que la sortie sèche ne soit pas assumée par la maison d’arrêt, mais qu’il revienne à l’association de gérer une sortie difficile », nuance Élise Morienne. Un comble, tant le placement à l’extérieur est généralement vu comme un sas de transition, aux antipodes de la sortie sèche. D’après de nombreux professionnels, le risque d’une fin de mesure prématurée est encore accentué par la réforme des réductions de peine entrée en vigueur début 2023 : plutôt que de s’échelonner progressivement, les réductions de peine se cumulent et tombent désormais de manière plus regroupée. « La personne apprend du jour au lendemain qu’elle est libérée, souffle Armelle Dubois, qui coordonne le développement des fermes d’insertion Emmaüs. Tant mieux pour elle, bien sûr, sauf que le travail d’accompagnement peut ne pas être terminé du tout, sans aucune solution en place pour la sortie. » La difficulté d’anticiper les délais, commune à tous les placements à l’extérieur, s’en trouve donc exacerbée.
« C’est très difficile à vivre pour tout le monde, et c’est un des facteurs qui peuvent décourager des associations, estime Margaux Schwindt, de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Au sein de notre réseau, certaines structures sont en capacité de poursuivre l’accompagnement après la fin de la mesure, mais d’autres n’en ont pas la possibilité. » De nombreuses associations permettent aux personnes suivies de rester un peu sur place en attendant de trouver une solution d’hébergement autonome, mais elles ne sont généralement pas financées pour cela. À moins de pouvoir les faire basculer sur des places d’hébergement d’urgence ou vers d’autres structures d’accueil.
Face à ces difficultés, plusieurs associations plaident pour le financement de services dédiés au maintien de l’accompagnement des personnes qui le nécessitent après la fin du placement à l’extérieur. Mais pour l’heure, la Direction de l’administration pénitentiaire (Dap) n’entend pas mettre la main à la poche : « Notre rôle prend fin dès lors que les personnes ne sont plus sous main de justice, sinon quand arrêterons-nous de les suivre ? écarte Romain Emelina, chef du département des parcours de peine. C’est aux autres ministères de jouer pleinement leur rôle. »
Promesses et difficultés du placement ab initio
Parmi les nouvelles possibilités ouvertes par les récentes réformes pénales, celle de prononcer des placements à l’extérieur sans passer par la case détention suscite un intérêt particulier : elle permet de proposer à de nouveaux publics l’accompagnement renforcé propre à la mesure, tout en évitant les ruptures liées à l’incarcération. « Cela peut avoir du sens de s’en saisir pour extraire un auteur de violences conjugales de son foyer et l’amener à travailler sur son comportement, tout en lui permettant de conserver son emploi et de continuer à payer le loyer de la victime », suggère par exemple Pierre Jourdin, secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines (Anjap).
L’aménagement d’une peine avant sa mise à exécution relève du juge de l’application des peines et intervient après le procès, ce qui laisse un peu de temps pour préparer la mesure, réunir les pièces nécessaires et trouver une structure d’accueil. Mais l’aménagement ab initio, en revanche, est prononcé par le juge correctionnel en même temps que la peine d’emprisonnement qu’il remplace, ce qui soulève de tout autres défis – à commencer par la méconnaissance du placement à l’extérieur à cette étape et le manque de temps pour le préparer. « Il nous appartient de faire de la pédagogie auprès des juges correctionnels et des procureurs, et de sensibiliser les avocats pour qu’ils plaident la mesure et rassemblent toute l’information nécessaire avant le jugement », estime Pierre Jourdin. Un travail effectivement engagé dans certaines juridictions, comme à Meaux, où les juges de correctionnelle ont visité les locaux de l’association Arile et disposent d’une ligne directe avec elle(4). Mais encore faut-il que la structure d’accueil puisse elle aussi faire preuve de souplesse et de réactivité : « Pour notre premier placement à l’extérieur ab initio, l’avocat nous a appelés en amont, si bien que nous avons pu échanger et donner notre accord de principe. Ma collègue s’est organisée pour rencontrer rapidement la personne, faire le point avec elle et lui réexpliquer la mesure en détail avant son arrivée », témoigne Élise Morienne.
Mais l’expérience tâtonne encore. En décembre 2022, l’association Arile rapportait que 14 des 24 placements à l’extérieur ab initio suivis en deux ans et demi avaient dû être révoqués. « Les attentes en termes de réinsertion n’ont pas toujours été pensées, le projet n’est pas forcément abouti puisque la peine prononcée à l’audience n’a pas eu le temps de faire sens dans l’esprit du condamné », constatait la psychologue d’Arile Valériane Caron. Notant « une adhésion difficile à l’accompagnement et aux soins proposés » ainsi que la prévalence de « problématiques psychiatriques et addictives souvent non prises en charge auparavant », elle soulignait que « les magistrats n’ont pas nécessairement toutes les cartes en main pour repérer des pathologies non diagnostiquées »(5). Des retours qui concordent avec ceux d’autres acteurs de la mesure. « Un accueil non préparé en amont peut devenir assez maltraitant, il faut faire attention. Quand le projet est co-construit avant l’arrivée, les personnes sont plus solides et plus sereines lorsqu’elles intègrent le dispositif. Et les objectifs sont clairs, c’est un gain de temps pour tout le monde », souligne Élise Morienne.
La perception de la contrainte inhérente au placement à l’extérieur n’est pas la même non plus selon que la personne arrive libre ou sort de détention. Parmi les personnes placées ab initio chez Arile, la mesure peut être « davantage perçue comme une contrainte que comme une béquille », regrettait Valériane Caron en décembre 2022. Une expérience qui, si elle n’est pas systématique, fait écho aux propos d’une travailleuse sociale en région parisienne : « Aucune des personnes que j’ai suivies en placement à l’extérieur sans mandat de dépôt n’a tenu, sauf à domicile. Parce qu’elles passaient malgré tout de la liberté à une forme d’enfermement : le contrôle horaire, les comptes à rendre… »
Resserrer les liens
À l’image de Pierre Jourdin, Stéphanie Lassalle, conseillère technique du réseau associatif Citoyens et Justice, ne désespère pas pour autant. Certaines formes de placement à l’extérieur, moins exigeantes en termes de préparation, peuvent d’après elle s’avérer particulièrement adaptées aux nouvelles voies de prononcé : c’est le cas du placement à domicile, que développe par exemple l’association Le Mas à Lyon. « Le placement à l’extérieur est souvent associé à l’hébergement, mais le cœur de la mesure est bien l’accompagnement, souligne-t-elle. Et là, pas de risque de remettre la personne à la rue : peu importe la durée de la mesure, tout temps accordé est du temps de gagné. »
Mais pour que le placement à l’extérieur puisse se frayer un chemin à travers les nouvelles voies procédurales malgré toutes les difficultés que cela comporte, Stéphanie Lassalle juge surtout prioritaire de faire connaître la mesure et de resserrer les liens entre tous ses acteurs dans chaque juridiction : « Cela doit nous inciter à optimiser les articulations entre les parquets, les juges correctionnels, les Jap [juges de l’application des peines], les Cpip, les associations, les avocats… Il faut identifier les moindres interstices qui nous permettent de travailler ensemble, de façon très pratique et sans que ce soit trop lourd. » Un appel qui coïncide en partie avec les objectifs de la nouvelle plateforme PE360, progressivement mise en service courant 2023. Le temps dira si cela permet de développer le recours au placement à l’extérieur, tout en évitant qu’il soit dénaturé au passage.
par Johann Bihr
Pour aller plus loin :
- A l’air libre, documentaire de Nicolas Ferran et Samule Gautier. La parole est aux résidents de la ferme de Moyembrie, en Picardie – la première à s’être ouverte à des placements à l’extérieur. Entre le maraîchage, l’élevage et l’expérience d’une vie communautaire, des personnes en fin de peine posent les premiers jalons d’une nouvelle vie.
- Extramuros, une peine sans murs, un documentaire de Catherine Réchard. Plongée dans le quotidien de Marie, salariée du Mars une association de Reims qui héberge et accompagne des personnes placées à l’extérieur. En suivant leur cheminement et leur confrontation à l’empreinte de la prison, le film restitue toute la complexité de cette « peine sans murs ».
- Entre taule et terre de Sarah Dindo. Retour sur les premiers pas de la ferme Emmaüs de Lespinassière, inspirée de celle de Moyembrie, qui a lancé « l’essaimage » de ces structures à travers la France. Le récit entrecroise de multiples témoignages et portraits avec une réflexion sur les défis du passage « de l’utopie au réel ».
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°120 – Octobre 2023 : Placement extérieur, une alternative à la peine
[1] Ce qui masque une hausse de 16 % du placement à l’extérieur non hébergé et une baisse de 29% du placement à l’extérieur hébergé, entre le 1er septembre 2021 et le 1er septembre 2023 (Source : Dap, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, septembre 2023).
[2] Source : Dap/EX3