Un mois après l’attaque mortelle d’un convoi pénitentiaire à Incarville, le ministère de la Justice avance au pas de charge vers la mise en place de mesures attentatoires aux droits des personnes détenues.
Jeudi 13 juin, un protocole d’accord signé entre le ministre de la Justice et l’intersyndicale de l’administration pénitentiaire est venu confirmer la trentaine de mesures convenues un mois plus tôt, dans l’émotion suscitée par l’attaque mortelle d’Incarville et alors que la plupart des prisons françaises étaient bloquées par un mouvement de protestation des agents. Ce protocole, non rendu public, affine les actions envisagées et leur calendrier. En dépit de l’effet d’annonce, nombre d’entre elles sont déjà mises en œuvre ou se trouvent à un stade d’élaboration avancé.
Dans une lettre ouverte adressée au garde des Sceaux le 5 juin – et restée sans réponse –, une dizaine d’organisations actrices du système pénal et pénitentiaire et d’associations de défense des droits humains, dont l’OIP, avaient alerté sur le risque de « surenchère sécuritaire ». Surtout, elles pressaient le ministre de « refuser toute prise de décision dans la précipitation et de rappeler […] que le respect des droits fondamentaux des personnes détenues ne saurait être considéré comme optionnel ». À l’opposé, le protocole d’accord concrétise bel et bien une « régression considérable en termes de respect des droits ».
Les travaux sont menés à un rythme effréné et sans aucune transparence. Pour la « [r]efonte des niveaux d’escortes et des compositions des équipes », des consignes ont d’ores et déjà été adressées aux directions interrégionales des services pénitentiaires, un groupe de travail sera mis en place cet été et ses conclusions rapidement déclinées, peut-on ainsi lire. En ce qui concerne le développement du recours à la visio-conférence et le déplacement des magistrats en prison pour limiter les extractions, le « [p]lein usage des possibilités offertes par le cadre juridique actuel » est encouragé, et une réflexion sur ses « marges d’évolution » enclenchée. La limitation des extractions médicales, elle aussi, fait déjà l’objet d’un travail interministériel, sans détail. En l’absence de concertation véritablement collective et alors même que le Parlement se trouve paralysé par la crise politique, le ministre semble déterminé à tout enjamber.
Aux côtés des encouragements à augmenter l’usage de la visio-conférence, il est un projet en particulier dont l’élaboration se poursuit dangereusement : l’élargissement des possibilités de fouilles à nu systématiques des personnes détenues. L’expertise juridique a d’ores et déjà été réalisée, nous apprend l’annexe sans développer son contenu. « En cas de modifications législatives », poursuit le document, « elles seront intégrées au PJL [projet de loi] de lutte contre la criminalité organisée prévu à l’automne 2024 ». Un commentaire – « contraintes fortes de constitutionnalité et de conventionnalité » – conforte l’inquiétude sur l’ampleur des atteintes aux droits auxquelles conduiraient les mesures envisagées. Dans l’attente, il s’agit de faire le « [p]lein usage des possibilités offertes par le cadre juridique actuel de fouilles intégrales ponctuelles, systématiques et sectorielles ». En 2018, le principe d’interdiction de la pratique éminemment humiliante des fouilles à nu avait en effet déjà été renversé, à l’occasion d’une loi autorisant la fouille intégrale systématique de toute personne entrant en détention après une période sans surveillance constante (extraction ou permission de sortir) ou « lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent ». En parallèle, l’annexe prévoit notamment que soit augmenté le rythme des fouilles, des rotations de cellule et de sécurité « des personnes détenues dont le profil et la dangerosité le justifient ».
Concernant la lutte contre la surpopulation carcérale, si le projet de concertation est confirmé, les leviers mentionnés restent désespérément les mêmes que ceux vainement mis en place depuis des dizaines d’années. À rebours des dernières conclusions du Conseil de l’Europe qui, il y a à peine trois mois, invitait « instamment » les autorités françaises à « reconsidérer leur stratégie de lutte contre la surpopulation, en s’attaquant à ses causes profondes » et à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation carcérale », le ministre ne semble entendre aucune idée neuve. Face à l’enjeu fondamental du respect des droits des personnes détenues, il acte ainsi son bilan, situé quelque part entre l’indifférence et l’impuissance.
Contact presse : Sophie Larouzée-Deschamps · 07 60 49 19 96 · sophie.larouzeedeschamps@oip.org