Pour les personnes détenues, l’interphonie en cellule est souvent le seul moyen de communiquer avec les surveillants, notamment durant la nuit. Mais on ne compte plus les défaillances de ce système, qu’elles soient d’origine technique ou humaine. Avec à la clé, des alertes sérieuses parfois inaudibles ou ignorées, et des détenus contraints au système D pour éviter le drame.
« Les appels à l’interphone restent sans réponse, ou bien on reçoit des réponses dénigrantes », témoigne une personne détenue à Fleury-Mérogis. « On sait qu’on ne peut compter sur personne en cas de problème, d’AVC, de crise cardiaque ou d’épilepsie, d’incendie, de bagarre entre les occupants… On a peur de mourir, et quelle mort de merde ! » Cette inquiétude est loin d’être isolée. Et pour cause : à Toulon, en 2022, une personne détenue a été tuée par son voisin de cellule, en dépit de multiples appels qui auraient été passés pour donner l’alerte[1].
Dans la majorité des prisons, c’est l’interphonie qui permet aux prisonniers d’échanger directement avec les surveillants depuis leurs cellules : les appels sont remontés au poste d’information et de contrôle (PIC) du bâtiment dans la journée, et au poste de centralisation de l’information (PCI) pendant la nuit. Entre 18h et 8h du matin, quand la prison fonctionne en régime restreint et que seuls les gradés ont les clés des cellules, c’est même la seule possibilité pour leurs occupants de communiquer avec les surveillants. Mais le système se révèle souvent défaillant, quand il n’est pas tout simplement absent – notamment dans les prisons les plus anciennes. « Je n’ai pas d’interphone dans ma cellule alors que je suis à risque d’AVC et que j’ai des pathologies cardiaques », s’inquiétait ainsi une personne détenue à la prison de Fresnes en 2022.
« Un sujet largement impensé »
Sur quarante-huit rapports de visite publiés par le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) entre début 2022 et fin février 2024, la moitié mentionnent des problèmes d’interphonie, et dix-huit s’attardent plus spécifiquement sur ses dysfonctionnements ou son absence. « La ligne est active, mais ne permet pas pour autant aux surveillants et aux détenus de s’entendre et de communiquer effectivement », décrit ainsi le CGLPL à la prison de Lorient[2]. Quant à Grenoble, Dijon, Perpignan et une dizaine d’autres prisons[3], elles sont entièrement ou partiellement dépourvues d’interphonie[4].
Que le système soit absent ou défectueux, les conséquences sont les mêmes : « La seule façon d’alerter, c’est le “drapeau” [voir encadré ci-dessous]. Et si c’est urgent, on frappe fort à la porte », témoigne une personne détenue à Bois-d’Arcy. En 2019 déjà, l’OIP relayait le témoignage d’une personne détenue à la prison de Grasse, témoin de la tentative de suicide médicamenteuse de son codétenu. L’interphone en cellule ne fonctionnant pas, il tente par différents moyens d’alerter les surveillants : « J’ai tapé à la porte, alerté mes voisins, fait brûler des papiers à la fenêtre pour être vu par le mirador, mais personne n’a répondu à mes appels. » Ce n’est qu’à la faveur de la ronde de nuit, une heure et demie plus tard, que son codétenu sera finalement pris en charge[5].
Dans la majorité des cas, le système d’interphonie, relativement sommaire, ne permet pas d’enregistrer les appels (voir encadré p. 44). Ces derniers sont tout au plus tracés via un horodatage permettant de savoir à quelle heure ils ont été émis, si quelqu’un a décroché et combien de temps ils ont duré – mais cela ne fonctionne pas systématiquement. À Tatutu de Papeari, Montauban ou encore au centre de semi-liberté de Lyon, le CGLPL regrette l’absence pure et simple de registre retraçant les appels.
Quant à leur transcription, elle repose le plus souvent sur la bonne volonté des surveillants, censés noter dans un registre le contenu de leurs échanges et les réponses apportées. Une mission trop souvent prise à la légère : à Nantes, le Contrôle relève qu’entre 2018 et 2022, seuls 78 appels ont été transcrits dans le registre[6] – un chiffre bien en-deçà du volume d’appels réel.
« L’interphonie reste un sujet largement impensé, alors que c’est quand même le seul moyen opposé par l’administration aux détenus de 18h à 8h du matin, résume un cadre de l’administration. Les surveillants s’y forment sur le tas, et c’est un système qui fonctionne très mal, avec une ergonomie catastrophique, des sonneries parfois inaudibles, des écrans minuscules, un horodatage souvent farfelu… Le privé, à qui c’est souvent délégué, ne suit pas ces questions, et ce n’est pas un point qui motive grand monde dans les réunions de contrôle des conditions d’exécution du marché », complète-t-il.
Appels intempestifs et brimades
Le système, comme sa traçabilité, ne permettent donc pas de prendre la mesure des abus de pouvoir, absences volontaires de réponse et autres brimades dont peuvent faire l’objet les personnes détenues via l’interphonie. Des incidents pourtant fréquents, si l’on en croit le volume de sollicitations reçues à l’OIP à ce sujet : 83 depuis début 2022. « La problématique est la même dans toutes les prisons : il y a des gens consciencieux et d’autres moins. Ça dépend des équipes », souligne Madame X., gradée exerçant en centre pénitentiaire.
« Les équipes de nuit ont horreur d’être dérangées par interphone, je l’ai vu. En même temps, c’est vrai qu’il y a des détenus qui s’amusent à jouer avec pour les ennuyer. Au milieu de tout cela, l’appel au secours a toutes les chances de ne pas être entendu », déplorait l’ancien Contrôleur général Jean-Marie Delarue en 2018[7]. « La majorité des appels aux interphones qu’on reçoit de nuit, ce sont des gens au QD qui appellent pour demander l’heure, d’autres qui le font par erreur parce qu’ils voulaient allumer la lumière, des gens qui ont envie de parler ou demandent du tabac. Sur 25 appels, on en a peut-être un seul qui est réellement nécessaire », poursuit Madame X.
Des personnes détenues témoignent quant à elles de moqueries et d’insultes reçues directement par interphone. « Ils nous appellent en nous tutoyant et en mimant des bruits sexuels », relate ainsi une personne incarcérée à Fleury-Mérogis. « Ils me traitent “d’homo”, de “PD” etc. à l’interphonie », explique une autre, détenue à Alençon.
« Non-assistance à personne en danger »
À Brest, Valenciennes, Nîmes, Bordeaux ou encore Tatutu, le CGLPL déplore une réactivité « variable » voire « aléatoire » des surveillants aux appels passés. « À Rennes, c’est quasiment impossible d’obtenir une réponse à l’interphone le soir ou la nuit, témoigne un prisonnier auprès de l’OIP. Un de mes codétenus a fait une crise, avec sueurs, vomissements, etc. On a dû appeler plusieurs fois avant de pouvoir parler à un surveillant, et ils ont mis 45 minutes à arriver. »
Plus nombreuses encore sont les personnes détenues qui témoignent d’interphones volontairement coupés, ou de surveillants qui raccrochent immédiatement : ces cas de figure représentent 38,5 % des signalements reçus à l’OIP sur le sujet depuis 2022. « J’avais des douleurs dentaires, j’avais tellement mal que je sonnais souvent à l’interphone. Les surveillants ont fini par le couper pour que je ne puisse plus les appeler », décrit ainsi une personne détenue à Mont-de-Marsan. À Beauvais, « un détenu vomissait du sang en cellule. On a appelé à l’aide à l’interphone, mais les surveillants ont dit qu’il simulait et qu’ils n’allaient pas l’aider, puis ils ont coupé l’interphonie », explique un autre prisonnier.
L’« absence de réponse à l’interphonie[8] » figure parmi les principaux points soulignés par le CGLPL à la suite de sa visite de la prison de Saint-Étienne en 2022. À Toulon, quelques jours après le décès d’une personne détenue début janvier, le Contrôle note aussi que « la gestion de l’interphonie est totalement défaillante. Aux dires des détenus et des personnels, de nombreux appels la nuit sont acquittés sans qu’il y ait eu un échange oral […][9]. »
Dysfonctionnements ou indifférence, les incidents impliquant l’interphonie laissent les personnes détenues démunies face à des situations potentiellement dramatiques – sauf à recourir au système D, à leurs risques et périls. À Montauban, le CGLPL indique ainsi que « le mois précédant la visite, un détenu a dû user un soir d’un téléphone portable pour faire appel aux pompiers face à un malaise d’un codétenu ». Il est en effet courant que les personnes détenues appellent directement les secours, via des téléphones obtenus de manière illégale – ce qui les expose à de potentielles sanctions disciplinaires.
Plus grave encore, à Draguignan, le CGLPL souligne qu’à « plusieurs reprises, la direction a été amenée à saisir le parquet et à engager une procédure disciplinaire à l’égard d’agents pénitentiaires, [entre autres] pour non-assistance à personne en danger à l’occasion d’un appel interphone d’une personne détenue en détresse médicale laissée sans réponse. »
Par Charline Becker
Cet article est paru dans la revue Dedans Dehors n°122 – mai 2024 : Isolement carcéral « je suis dans un tombeau »
[1] « Prison de Toulon : le corps d’un détenu découvert plus de vingt-quatre heures après sa mort », OIP, 22 novembre 2022.
[2] Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Lorient, CGLPL, mars-avril 2022.
[3] Entre 2022 et fin février 2024, le CGLPL a noté l’absence d’interphone dans tout ou partie des prisons suivantes : Grenoble-Varces, Saint-Malo, Dijon, Perpignan, Bordeaux, Blois, Faa’a Nuutania, Lorient, Angers, Nîmes, Tours, Limoges, et au centre de semi-liberté de Valenciennes
[4] Le quartier arrivants, le quartier disciplinaire et l’isolement peuvent souvent être équipés d’interphones, quand les ailes « classiques » de la détention ne le sont pas.
[5] « Quand les appels au secours se perdent dans la nuit », Dedans Dehors n° 105, octobre 2019.
[6] Rapport de deuxième visite du quartier centre de détention du centre pénitentiaire de Nantes, CGLPL, mars 2023.
[7] « S’intéresser à leur vie », Dedans Dehors n° 101, octobre 2018.
[8] Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de St-Etienne, CGLPL, 2022.
[9] Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Toulon-la-Farlède, CGLPL, février 2022.