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Surpopulation carcérale : La promiscuité

La surpopulation, c’est d’abord la cohabitation permanente avec des codétenu·es qu’on n’a pas choisi·es.

« Ça peut vite tourner au cauchemar »

Être à trois voire quatre dans une cellule, ça peut vite tourner au cauchemar, surtout si on ne s’entend pas. Des fumeurs avec des non-fumeurs. Une télé pour tous, difficile de se mettre d’accord sur le programme à regarder. Les odeurs des toilettes, ou même l’impossibilité de se cacher quand on y est. […] Aucune intimité pour téléphoner, impossible de parler à sa famille ou à son avocat… Bon, avec certains, être plusieurs dans la cellule permet de discuter, de faire des jeux de cartes, de s’entraider. — V. T.

« Chacun a un rythme de vie différent, certains dorment la journée et vivent la nuit… […] La surpopulation m’impose d’être une autre personne, plus méchante. »  – K. P.

Le gros sujet c’est la nudité

Le plus gros sujet qui est important à aborder avec ses codétenus, c’est la nudité. On demande à tout le monde si ça ne les dérange pas que l’on se change devant eux, ou qu’on se lave en leur présence quand il n’y a pas de douche en cellule. En général, ça ne pose pas trop de souci.

Si un codétenu souhaite regarder un film pornographique ou même se masturber, ce qui est normal, eh bien il doit faire en sorte de se cacher un maximum du regard des autres. Mais ce n’est pas facile, et ça peut aussi déclencher de gros conflits. — K. L.

C’est très fréquent que les gens se tapent dessus

La promiscuité, ce n’est pas un vain mot. Il y a des gens qui se lavent, des gens qui ne se lavent pas, des gens qui parlent tout seuls, des gens qui prient à longueur de journée, même la nuit… L’encadrement s’en fout. Quand on demande à changer de codétenu, il n’y a jamais de réponse. Mon codétenu actuel est presque mutique, mais on s’entend, il est beaucoup plus cool que moi. Seulement, il n’est jamais sorti de la cellule en quatre mois, à part pour la douche.

La surpopulation renforce les problèmes d’agressions, l’énervement, la rage. Un regard de travers, et c’est parti. […] C’est très fréquent que les gens se tapent dessus dans les cellules. […] On en a entendu tellement la nuit… Parfois ça appelle au secours pendant des heures, mais les surveillants ne viennent pas avant l’ouverture de 7h30. […]

Le point positif d’être plusieurs en cellule, quand on a de la chance, c’est des sourires, des échanges – mais ces échanges créent aussi beaucoup de tensions. Parce que tout ce qu’on se passe, tout ce qu’on se promet, fait qu’il y a tout le temps des dettes, des altercations, des « systèmes alternatifs de recouvrement ». […] Au début, je donnais des vêtements ou tout ce que je pouvais à d’autres personnes, parce que c’est mon éducation, mais très vite ça a créé des problèmes.

Avec la surpopulation, il y a aussi plus de vols. Bon, moi ça va, on m’a juste volé du chocolat, des biscuits, des trucs que j’avais ramené d’autres prisons… Tout le monde n’a pas de revenus et l’indigence(1) met du temps à se mettre en place, il faut tenir des mois sans rien avant de toucher les 30 € mensuels… Et avec 30 €, pour avoir du tabac par exemple, vous êtes obligé de voler vos codétenus. — L. V.

« Ça se passait souvent très mal avec mes codétenus. Si je sortais en promenade, je n’avais plus de tabac en rentrant… Une fois, on a essayé de m’égorger pendant que je dormais. J’ai senti la lame sur mon cou, je me suis réveillé direct. »  – G. F.

Non-fumeur en cellule fumer : c'est invivable

« Ça dépend des motifs d’incarcération, mais dans mon cas à moi, j’ai noué des liens très forts avec certains codétenus, jusqu’à les considérer comme mes petits frères. […] Je les protège un maximum contre certaines menaces ou personnes mal intentionnées. » – K. L.

Quand le courant passe bien

À l’époque, nous étions trois dans une petite cellule deux places. La promiscuité était pesante, car si l’un d’entre nous voulait être au calme pour lire, étudier, méditer, c’était compliqué, voire impossible. Nous arrivions cependant à nous organiser en allant à des activités à tour de rôle afin d’obtenir un peu de tranquillité […]. Mais après la fermeture à 17h30, cohabitation forcée ! Compliqué pour l’intimité (sexuelle, téléphonique, aux toilettes…) mais aussi pour les différences religieuses (cuisiner du porc en présence d’un musulman pratiquant), le choix du programme TV avec des goûts différents et une seule télé, le mélange entre fumeurs et non-fumeurs, ceux prenant des drogues et ceux voulant arrêter, ceux voulant un portable et ceux qui préfèrent suivre la règle, ceux voulant se coucher tôt et ceux qui ont besoin de la TV la nuit… J’étais étudiant en droit, et il me fallait un casque audio et un lecteur radio-CD pour réussir à m’isoler du bruit ambiant.

En outre, il était souvent impossible de choisir son/ses codétenu(s). Les gradés de bâtiment pouvaient accepter un changement de cellule, mais seulement si les deux cellules étaient d’accord et s’étaient « arrangées »… Sinon, codétenu(s) imposé(s) !

Points positifs cependant : quand le courant passe bien entre les trois, la cohabitation peut durer quelques mois sans soucis. L’important est d’accepter de faire quelques concessions, de bien se répartir les tâches ménagères (cuisine, ménage…), et il arrive que des liens se créent : je suis toujours en contact avec deux de mes 20 codétenus successifs. Le respect et l’éducation y sont pour beaucoup. J’ai par exemple eu des co qui fumaient à la fenêtre pour ne pas m’importuner (je suis non-fumeur). Nous baissions la télé quand l’un d’entre nous voulait faire une sieste, téléphoner et/ou prier. J’ai même fait le ramadan une année, pour soutenir un co qui le faisait par conviction religieuse ! Moi je suis non-croyant, mais c’est plus facile à deux. L’avantage d’une cohabitation qui se passe bien, c’est l’entraide : jamais à court de quoi que ce soit car un de nous pouvait toujours dépanner l’autre ! Puis c’est plutôt agréable de partager des repas, parties de jeux de société, et d’avoir un soutien « psy » en cas de baisse de moral.

— S. C.

Un quotidien assourdissant

Un quotidien assourdissant

« Avec la surpopulation, il y a un bruit incroyable quand on veut dormir. Ça crie toute la nuit, ça frappe aux portes, de la musique de partout, […] tout le monde est sous tension. Ça crée des bagarres, des insultes entre détenus et surveillants. » – P. A.

« Tapage et cris sont permanents. Je ne me sens bien que la nuit, vers minuit. À cette heure-là, seule ma télé est allumée et mon codétenu dort. Il ronfle, mais il ronfle en polonais, alors ça va ! » – J. G.

Aucun secret de l’instruction

Préparer son procès en cellule, c’est très compliqué : aucune intimité, et il faut en dire le moins possible, surtout pour les profils spécifiques car on est mélangé avec les autres. Pourtant, quand le greffe ou autre viennent vous faire signer des papiers confidentiels, ils vous le font faire à la porte de la cellule devant vos codétenus, en disant bien fort votre nom dans le couloir. C’est inadmissible : aucun secret de l’instruction, aucun respect du détenu. […] Des tensions sont toujours présentes dans des cellules à trois. Quand on en parle aux chefs de détention ou aux gradés, ils disent que ce n’est pas leur problème, qu’il faut s’adapter. Certains surveillants vous disent même : « On n’est pas venu te chercher. » — S. K.