Le 20 février dernier, neuf détenus du centre pénitentiaire de Ducos soutenus par l’OIP saisissaient la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Devant la haute juridiction européenne, ils réclament de l’Etat français la mobilisation de moyens matériels et financiers pour faire cesser immédiatement les traitements inhumains et dégradants auxquels les soumettent leurs conditions de détention dans cet établissement surpeuplé. Le centre pénitentiaire de Ducos, unique prison de Martinique, se place parmi les plus saturés de France avec 944 détenus pour 569 places opérationnelles.
La surpopulation est structurelle dans ce centre pénitentiaire qui a ouvert en 1996 et dont le taux d’occupation approche aujourd’hui les 230% pour le quartier maison d’arrêt. Cette surpopulation endémique conduit à une situation sanitaire catastrophique. Des rapports successifs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de l’agence régionale de santé, en 2009 et 2011 pointaient des cellules étroites, peu ventilées et investies par les nuisibles. Dans certaines, on dénombre jusqu’à six détenus pour moins 10m2 d’espace.
En 2013, les informations recueillies par l’OIP auprès des détenus faisaient état de 130 matelas à terre et de la présence de rats, de cafards et de scolopendres dans les cellules. Lors de son passage à Ducos, les détenus interpellent le Contrôleur, désignant la saleté sur les murs de leurs cellules et les réparations de fortune qu’ils effectuent eux-mêmes. Dans un tel contexte, les services d’insertion et de probation sont débordés, le suivi des personnes incarcérées est inexistant ou réduit à son strict minimum et seuls 80 détenus sont inscrits à l’école. Les autres attendent, confinés dans leurs cellules 22 heures sur 24. Ducos réserve un cocktail détonnant : une promiscuité alarmante et une inactivité constante font régner un climat de violence pesant et perturbant pour les détenus comme pour les personnels.
Depuis plusieurs années, l’OIP n’a de cesse d’alerter sur cette situation explosive. Les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Ducos elles-mêmes se sont engagées, à plusieurs reprises depuis 2010, dans des actions collectives pour dénoncer les terribles conditions de détention. En 2012, 136 détenus signent une pétition dans laquelle ils évoquent des « conditions de vie déplorables, plus qu’insupportables » et « une pression invivable » à Ducos. En janvier 2014, l’OIP reçoit un courrier collectif de 53 détenus qui donne de nouvelles précisions sur la situation dans cet établissement :
« C’est bien le surpeuplement de cette prison qui engendre des problèmes de violence et de rackets.(…). Ceux qui sont enfermés 23h sur 24 souffrent énormément de la forte chaleur (32 degrés) (…). Il faut aussi parler des nombreux rats morts qui tardent à être enlevés et qui dégagent des odeurs insupportables jour et nuit (…) Tout cela fait que la prison de Ducos est vécue pour la plupart comme un véritable enfer »
Saisi par l’OIP, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Fort-de-France reconnaît dans une décision du 17 octobre 2014 les atteintes graves portées aux droits fondamentaux des personnes détenues et prononce une série de prescriptions visant à l’amélioration des conditions de détention. Elles portent notamment sur de nécessaires opérations de dératisation et de désinsectisation immédiates et plus régulières, sur la distribution de sacs-poubelle, le lessivage des cellules et sur la réfection des cours de promenade embourbées. Des décisions d’urgence qui représentent un strict minimum. Le juge des référés n’a en effet pas retenu dans son prononcé des mesures importantes pour s’attaquer aux causes structurelles de la surpopulation. L’OIP réclamait la mise en œuvre de moyens pour réduire l’oisiveté des détenus et développer les peines alternatives afin de désengorger le centre de détention.
Très récemment, le 17 février 2015, c’est la Cour administrative de Bordeaux qui vient de prononcer trois décisions annulant les rejets d’indemnisations du TA de Fort-de-France pour des détenus de Ducos, invoquant notamment l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les détenus requérants recevront des compensations financières pour avoir subi des conditions de détention indignes.
Mais ces recours à posteriori devant les juridictions administratives nationales ne permettent pas de faire cesser les violations des droits fondamentaux des prisonniers ou d’améliorer effectivement leurs conditions de vie en détention. C’est là tout l’enjeu de la saisine collective de la CEDH. Pour cette juridiction en effet, l’octroi de dédommagements financiers aux détenus qui subissent des conditions de détention indignes est insuffisant. Selon la vision de la CEDH, les Etats sont tenus de créer un cadre juridique permettant d’éviter et de faire cesser les violations et d’agir sur les causes profondes de celles-ci, sans pouvoir faire valoir leurs contraintes budgétaires.
La CEDH a déjà prononcé des arrêts dits “pilotes” condamnant l’Italie, la Bulgarie, la Russie, la Pologne, la Roumanie et la Belgique qui s’attaque à la cause profonde des atteintes aux droits en détention : la surpopulation carcérale. Dans ces arrêts, elle enjoint les Etats à garantir des conditions de détention conformes à l’article 3. Elle leur demande en outre de permettre des recours internes aux détenus en cas de violation avérée de leurs droits dans le but de parvenir à une amélioration effective de leurs conditions de détention. Et c’est bien parce que les juridictions nationales ne peuvent agir que par la voie indemnitaire, sans conséquences sur les causes structurelles de la situation dégradée, que ce recours collectif a été mis en œuvre avec le soutien de l’OIP par les neuf détenus du centre pénitentiaire de Ducos.
Cette action devant la haute juridiction européenne dépasse donc le cadre de la situation spécifique et critique du centre pénitentiaire de Ducos mais vise à produire les conditions d’une mise en œuvre effective du droit des personnes détenues en France à vivre leur période de privation de liberté dans le respect de la dignité humaine.