En mai 2025, le site du ministère de la Justice publiait le rapport « de la mission d’urgence relative à l’exécution des peines »[1], demandé par l’ancien garde des Sceaux Didier Migaud en 2024. Ses préconisations visent notamment à garantir l’effectivité des sanctions pénales, leur exécution dans des plus brefs délais, et la maîtrise de la surpopulation carcérale. La section française de l’Observatoire international des prisons a apporté une contribution écrite dans le cadre de cette mission d’urgence.
Parmi les 25 recommandations du rapport, l’OIP revient sur certaines d’entre elles, concernant en particulier l’évocation d’un mécanisme de régulation carcérale, le rapprochement de la société civile aux réalités du système judiciaire, la question des courtes peines, et celle de l’instauration d’une peine unique et autonome de probation.
Une réponse à la surpopulation carcérale nécessite une décision politique assumée
La première observation du rapport souligne que les pays ayant réussi à maîtriser leur population carcérale l’ont fait en assumant pleinement le caractère politique de cette décision. « La diminution de la population détenue finlandaise est le résultat d’une stratégie politique bien consciente, méthodique et systémique engagée sur le long terme »[2], témoignait Tapio Lappi-Seppälä, directeur de l’institut national de criminologie et de politique juridique. Cela implique que la régulation du nombre de personnes incarcérées ne peut résulter uniquement de réformes techniques ou de mesures administratives ponctuelles. Une telle décision suppose d’assumer le débat public et les résistances potentielles, dans un contexte où l’opinion publique peut être sensible à une approche sécuritaire.
C’est aussi en considérant la surpopulation carcérale comme un véritable état d’urgence, au même titre que la crise sanitaire de 2020, que se positionne le groupe de travail. Il plaide ainsi pour la mise en place d’un dispositif exceptionnel qui permettrait de baisser rapidement la population carcérale sans passer par une appréciation individuelle des juges, afin de soulager immédiatement un système en surcharge. Ce dispositif renverrait à des mesures automatiques de réduction de peine, voire des mécanismes d’assignation à domicile, comme cela a été mis en place au plus fort de la pandémie. En ce sens, la mission s’appuie sur l’exemple concret de la période allant de mars à juin 2020, où les réductions de peine exceptionnelles et les assignations à domicile avaient permis une diminution de 3 600 personnes détenues en seulement trois mois, selon les données de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
Le groupe de travail insiste également sur la nécessité de ne pas se contenter d’une gestion de crise ponctuelle. Une fois la situation stabilisée, il s’agirait de mettre en place un dispositif pérenne de régulation carcérale. Cela pourrait prendre la forme d’un mécanisme institutionnalisé de plafonnement de la population carcérale, de libérations anticipées automatiques en cas de dépassement de seuils, ou encore de développement des alternatives à l’emprisonnement avec un encadrement renforcé. Cette réforme structurelle serait le seul moyen d’éviter que la situation d’urgence actuelle ne se reproduise de manière cyclique.
Un besoin de pédagogie autour de la peine pour déconstruire les idées reçues
Le rapport souligne la nécessité de rapprocher l’opinion publique des réalités du système judiciaire, en communiquant notamment sur les effets constatés et documentés des peines d’emprisonnement, en particulier dans leurs conditions actuelles d’exécution et en matière de prévention de la récidive. Ou comment convaincre de leur inefficacité dans un certain nombre de situations. Un fait d’ailleurs mis en exergue dès 2013 par Zakia Belmokhtar et Abdellatif Benzakri, statisticiens à la sous-direction de la statistique et des études de la Chancellerie : « Les prises de position des Français sur la prison sont très liées à leur connaissance du milieu carcéral : les plus concernés ou les plus informés sont les plus critiques[3] ».
Courtes peines : le constat de sanctions inefficaces clairement énoncé
Le groupe de travail remet en question l’efficacité des courtes peines, qui sont à la fois coûteuses, peu utiles et souvent contre-productives. Il souligne que ces peines sont très majoritairement exécutées dans des établissements surpeuplés, où aucun accompagnement réel n’est possible. Dans ces conditions, elles ne remplissent ni un objectif de réinsertion, ni celui de prévention de la récidive.
Il est ainsi recommandé de maintenir l’interdiction de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois[4], jugées inefficaces et potentiellement désocialisantes (perte d’un emploi ou d’un logement, deux facteurs directement liés au risque de récidive). Cette position renforce l’idée que la peine doit avoir du sens, et ne pas simplement répondre à une logique symbolique ou punitive de court terme. Une recommandation qui semble être largement ignorée à l’heure où une proposition de loi « visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme » est en discussion à l’Assemblée nationale et prévoit notamment de rendre possible le prononcé des peines d’emprisonnement inférieures à un mois[5].
Sans peur de se contredire, la mission a pour autant envisagé la possibilité de recourir à des peines d’emprisonnement très courtes, d’une durée maximale de 15 jours, à condition qu’elles soient strictement encadrées. Considérant que pour être pertinentes, elles « devraient être très courtes, non désocialisantes, inscrites dans un continuum de prise en charge et permettant d’initier des évaluations auprès d’un public réceptif dans des quartiers ou établissements adaptés, et dénués de toute problématique de surpopulation[6] ».L’objectif serait, selon le groupe de travail, de conserver un effet de rupture ou de sanction immédiate, sans pour autant briser les liens sociaux ou risquer la perte d’un emploi de la personne condamnée. La mission estime toutefois que l’administration pénitentiaire ne serait pas en capacité actuellement de mettre à exécution des peines de ce type.
Une proposition néanmoins à bannir qui ne laisserait aucun moyen à l’accompagnement des personnes condamnées, et viderait de son sens toute ambition de réinsertion. La mise en œuvre de très courtes peines ne permettrait ni un suivi sérieux, ni un travail de fond avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation. En se concentrant exclusivement sur la sanction, une telle proposition ne ferait qu’accentuer par ailleurs une approche punitive et répressive de la justice pénale, au détriment d’un accompagnement individualisé.
Création d’une peine unique et autonome de probation
Le rapport mentionne par ailleurs, tout en la critiquant en partie, la proposition soutenue par plusieurs acteurs du milieu prison-justice, et que l’OIP avait défendue dans sa contribution écrite, d’instaurer une peine de probation unique et autonome, c’est-à-dire détachée de toute référence à la prison.
Cette peine de probation regrouperait l’ensemble des peines alternatives existantes, sauf l’amende. En pratique, l’OIP proposait ainsi que son application conduise à une césure du procès pénal ; le juge de l’application des peines déterminant dans un second temps les modalités de sa mise en œuvre, afin de garantir l’adéquation entre le profil de la personne condamnée et le type de peine de probation décidée.
C’est une recommandation que prône notamment le Conseil de l’Europe depuis les années 2000 en considérant la probation « en tant que sanction indépendante imposée sans que soit prononcée une peine d’emprisonnement[7] ».
Par Albane Lefebvre
Cet article est paru dans la revue de l’Observatoire international des prisons – DEDANS DEHORS n°127 – Une société qui s’enferme : la répression comme seul horizon
[1] Rapport de la mission d’urgence relative à l’exécution des peines, IGJ, Mars 2025.
[2] « Scandinavie – Leçon de décroissance carcérale », OIP, 21 novembre 2016.
[3] « Les Français et la prison », Zakia Belmokhtar et Abdellatif Benzakri, Infostat Justice, n°122, Juin 2013.
[4] Premier alinéa de l’article 132-19 du code pénal.
[5] Article 1er de la PPL visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, modifiée et adoptée par le Sénat en première lecture.
[6] Rapport de la mission d’urgence relative à l’exécution des peines, p.34.
[7] Conseil de l’Europe, Annexe 2 à la recommandation Rec (2000) 22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, 29 novembre 2000.
