La direction du centre de détention de Bapaume a retenu un courrier que l'Observatoire international des prisons (OIP) avait adressé à une vingtaine de personnes détenues. Ce courrier contenait des extraits d'un jugement du Tribunal de Lille du 19 février 2013 annulant une note qui avait institué dans cet établissement un régime de fouilles intégrales systématiques à l'issue des parloirs, ainsi qu'un questionnaire visant à faire connaître à l'OIP les pratiques actuelles en matière de contrôle des personnes détenues à la sortie des parloirs. Si la direction a finalement accepté, deux mois après la saisie du courrier, de communiquer le courrier aux détenus, elle retient encore à ce jour le questionnaire. Motivée par des raisons « liées au bon ordre de l'établissement », la rétention de ces courriers témoigne d'une volonté manifeste de l'administration pénitentiaire d'entraver l'accès des personnes détenues à la connaissance et à l'exercice de leurs droits. Elle vise également à empêcher l'OIP de contrôler que le jugement du Tribunal administratif de Lille est effectivement respecté par la direction de l'établissement.
Le 19 février 2013, le tribunal administratif de Lille a annulé à la demande de l’OIP une note du 23 mai 2011 par laquelle le directeur du centre de détention avait institué illégalement un régime de fouilles à nu systématiques notamment après les parloirs. Un jugement qui rappelle que « les mesures de fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs [prévus par la loi] » et que « les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique ».
Le 18 mars, soit un mois après cette décision, l’OIP a adressé à une vingtaine de détenus du centre de détention un communiqué de l’association résumant le jugement, ainsi qu’un article du journal La Voix du nord intitulé « La fouille à nu systématique à la prison de Bapaume jugée illégale ». Dans le même courrier, l’OIP s’est enquis auprès de ces mêmes détenus de la pratique actuelle en matière de fouilles corporelles via un questionnaire comportant des questions précises relatives à la fréquence et aux modalités des fouilles, aux lieux et aux circonstances dans lesquelles ces dernières sont pratiquées (hygiène, protection vis à vis du regard d’autrui, etc…), afin notamment de vérifier le respect par l’administration pénitentiaire de la décision de justice rendue par le Tribunal administratif de Lille.
La direction du centre de détention de Bapaume a cependant refusé de remettre ce courrier aux détenus qui en étaient destinataires. Quelques jours après l’envoi, ces derniers ont en effet été informés qu’une retenue de courrier était envisagée à leur égard. Sans que ne leur soit indiqué ni l’expéditeur, ni le contenu approximatif, ils ont été invités à formuler leurs observations selon les exigences de la procédure contradictoire requise en matière de retenue des courriers. L’OIP n’a quant à lui nullement été informé de cette retenue par la direction de l’établissement. Ce n’est que par recoupement qu’il a pu la déduire et interroger la direction de l’établissement sur les motifs de cette retenue. Un courrier resté à ce jour sans réponse.
Le 16 mai 2013, soit près de deux mois après l’envoi du courrier, la direction de Bapaume a finalement autorisé la distribution du courrier, du communiqué et de l’article de la Voix du Nord, mais pas du questionnaire. Les motifs de cette censure sont les suivants : « le caractère collectif de cette distribution peut s’apparenter à une action collective susceptible de provoquer un trouble au bon ordre ».
Une motivation très vague qui met en lumière l’important pouvoir discrétionnaire laissé aux directions d’établissements dans le contrôle de la correspondance par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, la rétention du courrier étant possible dès lors que « la correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité ». Et qui témoigne ici de la réticence de l’administration pénitentiaire à ce que les personnes détenues puissent prendre connaissance de leurs droits, être en mesure les faire valoir et se faire soutenir dans leurs démarches par des associations. L’OIP va saisir le Tribunal administratif de Lille pour que soit sanctionnée cette retenue de courriers qu’il juge abusive et illégale.
L’OIP rappelle :
– l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques » […] « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » ;
– l’article 40 de la loi pénitentiaire n°1436 du 24 novembre 2009 qui dispose : « Les personnes condamnées et, sous réserve que l’autorité judiciaire ne s’y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix. Le courrier adressé ou reçu par les personnes détenues peut être contrôlé et retenu par l’administration pénitentiaire lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité » ;
– la décision du Tribunal administratif de Caen en date du 29 janvier 2010, censurant la décision consistant à retenir la correspondance échangée entre un prisonnier et l’association de défense des intérêts des détenus « Ban Public ». La lettre avait été retenue au motif qu’elle contenait des images et textes contraires à l’ordre public. Le tribunal a estimé que ces faits « ne pouvaient être regardés comme portant par eux-mêmes atteinte à l’ordre public, y compris dans leur critique de la situation carcérale ; que le garde des Sceaux, ministre de la justice, ne se prévaut d’aucune circonstance particulière, liée au comportement de M. de V. ou à la situation du centre pénitentiaire de Caen, à la date de la décision attaquée, qui aurait été de nature à faire craindre des risques susceptibles de résulter, pour le bon ordre et la sécurité de l’établissement et la remise des documents en cause de ce détenu ».