65 % des personnes en visite interrogées par l’OIP se sont vu refuser au moins une fois l’accès au parloir de Villefranche-sur-Saône pour avoir sonné au passage du portique. Alors que les textes prévoient qu’en cas de sonnerie, le surveillant pénitentiaire doit passer le détecteur manuel de métaux pour repérer l’objet en cause, l’usage dans cette maison d’arrêt est de renvoyer tout bonnement les visiteurs après trois sonneries.
C’est le grand jour. Marine après avoir vérifié méthodiquement son portefeuille (autorisation écrite : OK, carte d’identité : OK, N° d’écrou : OK) prend la route direction Villefranche-sur-Saône. Elle a été prévenue, « là-bas, c’est pas des rigolos », « ils ne laissent rien passer ». Marine n’est pas une habituée des parloirs, mais elle a bien pris en note tout ce qui lui a été énuméré : pas de barrette dans les cheveux, pas de jean avec boutons métallisés, pas de chaussures avec semelles comportant du fer… Bref, pas de métal. Elle le sait, atteindre le parloir de cette prison s’annonce périlleux.
Villefranche-sur-Saône, c’est cette maison d’arrêt du Rhône qui fêtera ses 25 ans en novembre prochain. C’est aussi une prison qui jouit d’une mauvaise réputation parmi les détenus et leurs familles. Le temps d’attente dans le local d’accueil donne libre cours aux reproches sur l’extrême rigueur des personnels. « Ils ne sont pas agréables, ils sont agressifs », « on dirait qu’on est des troupeaux, comme si c’était nous qui étions en prison ». Le sas de sécurité (comprenant le portique, le tunnel à rayons X, puis le détecteur manuel) a la même fonction que dans tout lieu de sécurisation importante : vérifier que les visiteurs n’introduisent pas d’objets dangereux et/ou interdits (couteaux, armes…). La sensibilité des détecteurs de métaux peut varier et sonner pour des objets non dangereux, mais néanmoins composés de métal. Si les soutiens-gorge et les ceintures sont souvent à l’origine du déclenchement des sonneries à l’aéroport, il en est de même pour les prisons. Mais, alors que l’hôte aéroportuaire s’assurera de la non-dangerosité de l’objet concerné et laissera ensuite passer la personne, le surveillant de Villefranche-sur-Saône se réfèrera uniquement à la décision du portique et ne laissera pas entrer le visiteur tant qu’une sonnerie se fera entendre. Trois passages sous le portique sont autorisés. Si le dernier ne s’avère toujours pas concluant, le visiteur est invité à quitter les lieux.
À la différence des autres prisons, dans celle de Villefranche, le recours au détecteur manuel est peu fréquent. Sur les quarante- cinq personnes rencontrées aux abords de la maison d’arrêt, plus des trois-quarts n’ont pas bénéficié – voire se sont vu refuser – le passage du détecteur manuel après que le portique a sonné. Le portique peut dès lors biper à plusieurs reprises, sans jamais que l’usager ne soit informé des causes de cette alerte. Si bien qu’il retire un vêtement et tente un nouveau passage, sans garantie de succès. Les trois sonneries sont vite arrivées. Le visiteur est alors invité à retenter sa chance la semaine suivante.
Une hypersensibilité au soutien-gorge
Près de neuf personnes sur dix interrogées ont déjà sonné au moins une fois lors d’un passage sous le portique. Quand le déclencheur de la sonnerie est identifié, il s’avère souvent que le soutien-gorge soit en cause. Une expertise ordonnée par le tribunal administratif de Lyon en novembre 2008 indiquait déjà que « lors de […] tests complémentaires du 12 janvier 2009, [le portique] a présenté une grande sensibilité à la présence de soutiens-gorge féminins, et en particulier à leurs agrafes et boucles métalliques. » Certaines mères, sœurs, conjointes ou amies ont désormais opté pour des visites sans soutien-gorge. Plus largement, ce dispositif contraint les visiteurs à ne porter aucun bijou ni vêtement comportant du métal (fermeture éclair, ceinture, bouton…). Au final, franchir les portes de Villefranche-sur-Saône impose de s’accoutrer de vêtements élastiques. « On doit être habillés en survêt’ et en baskets, on ne peut pas aller joliment au parloir », témoigne la conjointe d’un détenu. Un autre proche de détenu s’indigne : « Il y a des gens qui viennent d’Italie, de Paris, vous vous rendez compte s’ils ne rentrent pas à cause de trucs comme ça, parce qu’ils ne savent pas qu’il fallait enlever le soutien-gorge ? ! » Sans compter que le fait de respecter à la lettre ce code vestimentaire n’offre aucune garantie. 48 % des personnes rencontrées déclarent avoir déjà sonné avec des tenues défaites de tout ajout métallique. Les discussions au sein de la maison d’accueil des familles s’ouvrent souvent sur les stratégies de chacun face à ce portique ennemi. Une dame porte toujours le même soutien-gorge qui n’a, pour l’instant, jamais sonné, une autre lave systématiquement son jogging pour le samedi… Lorsqu’une stratégie qui avait fonctionné se met soudainement à défaillir, les familles peuvent être confrontées à des explications fumeuses. Telle cette conjointe de détenu qui, lors de son premier refus de parloir, pourtant vêtue de sa tenue habituelle, s’est vue répondre « qu’un lave-linge ou le séchage sur un radiateur peut laisser des traces de fer, matière non appréciée par le portique ». De guerre lasse, il arrive que certains visiteurs protestent, après avoir sonné plusieurs fois, en retirant l’ensemble de leurs vêtements.
Anaïs L’hévéder, pour la coordination OIP sud-est
Une circulaire du 20 février 2012 [1] prévoit bien qu’un « signal sonore persistant [du portique ou du détecteur manuel] entraîne l’impossibilité d’entrer dans l’établissement ». Elle précise cependant qu’en « cas de déclenchement répété de l’alarme du portique, et avec le consentement du visiteur, le personnel doit soumettre le visiteur à un contrôle par détecteur manuel ».
[1] Circulaire n°0179 PMJ4 du 20 février 2012, relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues par les visites et l’envoi ou la réception d’objets (NOR : JUSK1140029C)