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Budget 2015 : encore et toujours l’immobilier

La hausse du budget devait permettre la mise en œuvre de la réforme pénale. Mais une fois de plus, l’accroissement du parc carcéral absorbe l’essentiel du programme Justice, adopté dans le cadre du projet de loi de finances 2015. Au détriment de l’essor des alternatives et des aménagements de peine. Le respect de l’encellulement individuel est quant à lui reporté à 2019.

L’objectif devait être de se doter des moyens nécessaires pour « appliquer la réforme pénale »(1). Mais on peine à le retrouver dans le budget 2015 de l’administration pénitentiaire. En augmentation de 5,2 % par rapport à 2014, et atteignant 3,39 milliards d’euros, le budget prévoit bien la création de 300 postes supplémentaires dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Et la progression de 10 % de leurs crédits de fonctionnement (+ 2,1 millions). Mais ces investissements ne suffisent pas à rattraper le retard et à assurer la mise en œuvre de nouvelles mesures (contrainte pénale et libération sous contrainte), nécessitant plus de ressources humaines. Et l’objectif de 40 dossiers par conseiller d’insertion et de probation, que s’était fixé le Gouvernement (2), n’est pas prêt d’être atteint. Par ailleurs, les crédits dévolus aux aménagements de peine ne décollent pas. Les fonds pour le placement à l’extérieur (PE), mesure particulièrement adaptée aux profils les plus désocialisés, n’augmentent que de 1 %, passant de 8,6 à 8,7 millions d’euros. Alors que les moyens manquent cruellement aux structures qui assurent hébergement, accompagnement social et professionnel de fonctionner, entraînant dépôts de bilan ou places non pourvues. Telle la ferme de Moyembrie (Picardie), qui accueille des personnes en PE sur des chantiers d’élevage et de maraîchage, et a dû faire face cette année à un arrêt des crédits du SPIP de l’Aisne dès le mois d’avril. Puis du SPIP de l’Oise deux mois plus tard, si bien que la ferme s’est trouvée dans l’impossibilité d’accueillir de nouvelles personnes à compter de juin, alors que des places étaient disponibles. Une situation qui est loin d’être un cas isolé. Le nombre de PE accordés chaque année ne cesse d’ailleurs de baisser : 3 339 en 2000, 2 651 en 2010, 2 176 en 20133…

Nouvel accroissement du parc pénitentiaire

En réalité, la majeure partie du budget reste axée sur l’immobilier et l’accroissement du parc carcéral : construction de nouvelles prisons, rénovations/extensions et paiement des loyers des établissements déjà livrés en partenariats public privé (PPP). Hormis la rémunération des personnels, qui représente 62,3 % du budget (2,1 milliards), le développement du parc constitue la première ligne de dépense : 359,2 millions d’euros. Sur ces fonds, 149 millions (+ 18 % par rapport à 2014) sont dévolus au paiement des loyers des treize prisons construites en PPP: remboursement des coûts d’investissement, intérêts, frais d’entretien et de maintenance… Les 210,2 millions restant sont alloués à l’achèvement du programme « 13 200 places » initié en 2004 et à la réalisation du programme « 6 500 places » lancé en décembre 2012 par la garde des Sceaux, en remplacement des 24000 annoncées par la droite. Un milliard supplémentaire va en outre être engagé d’ici 2017 pour la réalisation d’un nouveau programme de 3200 places, visant à porter la capacité du parc à 66 700 places à l’horizon 2022 (ce qui correspond à quelques centaines près au nombre actuel de détenus).

L’État s’endette et la surpopulation prospère

Cette dernière décennie, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de construire. Plus de 3,2 milliards d’euros ont d’ores et déjà été consacrés à l’accroissement du parc depuis 2004, dont plus de la moitié en PPP. Une procédure qui permet d’investir sans débloquer de fonds immédiatement, mais qui endette l’État sur de longues années : 30 ans pour les sept premiers établissements construits dans ce cadre 4, 27 ans pour les trois suivants 5, 25 ans pour les trois derniers 6 lancés fin 2012 et appelés à ouvrir en 2015. Avec les intérêts, la somme restant à rembourser d’ici l’échéance des contrats en 2040 s’élève à plus d’1,4 milliards d’euros. Elle atteint même 5,3 milliards si l’on englobe les fonds à verser pour la maintenance. Cette politique qui grève le budget pénitentiaire n’a de surcroît pas enrayé la surpopulation. Car parallèlement, on a assisté à un « allongement des peines prononcées » (durée moyenne de 8,6 mois en 2006, 11,5 mois en 2013). Ainsi qu’à un « recours important à l’incarcération » pour des « infractions concernant les stupéfiants, les violences et les vols » (7). Depuis l’ouverture des premiers établissements du programme «13 200» en juin 2007, la capacité opérationnelle du parc a augmenté de 15,3 %, mais le nombre de détenus a aussi progressé de 9,2 %. Si bien qu’en octobre2014, les prisons comptaient 66494 détenus pour 58 054 places et 49 681 cellules.

Nouveau moratoire sur l’encellulement individuel

Depuis 2012, les budgets restent marqués par le poids de l’immobilier au détriment du développement des peines alternatives et aménagements de peine, en dépit d’une volonté affichée de réorienter la politique pénale. Il y a eu certes renoncement partiel au projet d’extension à 80000 places envisagé par le gouvernement précédent, qui aurait porté la dette à 21,8 milliards, mais pas d’augmentation substantielle des crédits alloués au milieu ouvert. Il n’est en effet pas vraiment attendu d’impact sur le nombre de détenus de la réforme pénale d’août 2014, puisque l’administration pénitentiaire table sur « 66 200 détenus au 1er janvier 2017 », (8) « 68 000 à l’horizon 2018 » . Une perspective qui ne laisse pas non plus entrevoir la possibilité de respecter le droit fondamental à l’encellulement individuel. Après celui de 2000, de 2003 et de 2009, un nouveau moratoire gelant l’application de ce principe jusqu’au 31 décembre 2019 a ainsi été inséré le 3 décembre dans le projet de loi de finances (PLF) rectificative pour 2014, afin d’éviter « les contentieux de détenus qui se plaindraient de l’inapplication de la loi (9) ».

Cette fois, le Parlement, s’est opposé à un amendement du Gouvernement prorogeant de nouveau le moratoire jusqu’au 31 décembre 2017 sans calendrier ni plan d’action pour respecter l’encellulement individuel à cette échéance(10). Cependant, il a vite revu ses ambitions à la baisse, en adoptant quelques semaines plus tard un amendement quasi-similaire, reportant l’échéance à 2019 et ne prévoyant qu’un bilan intermédiaire, sans autres obligations : « au deuxième trimestre de l’année 2016, puis au dernier trimestre de l’année 2019 », le Gouvernement devra remettre au Parlement un « rapport sur l’encellulement individuel» comprenant «une information financière et budgétaire » sur « l’exécution des programmes immobiliers pénitentiaires»(11). En clair, le respect du principe reste conditionné pour le Parlement et le Gouverne- ment à l’augmentation du nombre de places de prison, et non à la baisse du nombre de personnes incarcérées. Et une fois encore, la tardiveté avec laquelle sont émises et adoptées ces modifications législatives interroge, quelques jours après la fin du moratoire fixé en… 2009.

Le développement massif des aménagements de peine à la trappe

Les orientations du budget 2015 témoignent d’une acceptation du taux de détention actuel (101,9 pour 100000 habitants au 1er janvier 2014, contre 85,8 en 2000, 96,8 en 2009), puisque les programmes immobiliers visent à adapter le nombre de places à celui des détenus. Pourtant, le taux de détention s’explique notamment par une forte augmentation du nombre de personnes incarcérées pour une peine de moins d’un an (+ 18,5 % entre 2009 et 2014). Or, si les près de 20 000 personnes qui exécutent une courte peine bénéficiaient d’un aménagement de peine, comme la loi le permet et la logique de prévention de la récidive le requiert, on compterait un peu de moins de 26 000 détenus en maison d’arrêt. Soit moins que le nombre de cellules existant aujourd’hui dans ces établissements (27 129). Les pouvoirs publics ne se sont pas non plus penchés sur la sous-utilisation des places de semi-liberté et des centres pour peines aménagées (CPA), occupées respectivement à 79 % et 64 % en moyenne (au 1er octobre 2014), avec de fortes disparités sur le territoire. 10,5 % pour le quartier de semi-liberté de Mont-de-Marsan, contre 120,9 % à Melun. 22 % au CPA de Poitiers contre 100 % à Meaux. Alors que la décision d’affectation dans un CPA relève de l’administration pénitentiaire, et non d’une décision des juridictions d’application des peines comme pour la semi- liberté. Une situation qui devrait interroger un Gouvernement prônant l’aménagement des courtes peines, alors que les CPA ont justement été créés pour « favoriser les mesures d’aménagement (12) » pour les condamnés à moins d’un an de prison. Finalement, comme le sénateur Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis du budget pénitentiaire, on peut s’interroger sur « la réelle détermination » du Gouvernement « à mettre en œuvre sa réforme »(13) pénale.

Marie Crétenot

(1) Ministère de la Justice, Présentation du budget 2015, octobre 2014.

(2) J-M. Ayrault, Europe 1, 9 octobre 2013.

(3) Question n° 12 152, Journal Officiel, 25 novembre 2014.

(4) CP Béziers, Le Havre, Le Mans, Nancy, Vivonne; MA Lyon-Corbas et CD Roanne (2009-2010).

(5) CP Annoeullin, Réau et Nantes (2010-2011). 6 CP Beauvais, Valence et Riom.

(7) F. de Bruyn, A. Kensey, « Durées de détention plus longues, personnes détenues en plus grand nombre », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°40, septembre 2014.

(8) C. Giusti, directeur-adjoint de l’administration pénitentiaire, Assemblée nationale, 13 novembre 2014.

(9) D. Raimbourg, Assemblée nationale, 2e séance du 3 décembre 2014.

(10) Amendement n°II-173 (Rect), retiré par le Gouvernement.

(11) Amendement n°573, adopté dans le PLF rectificatif pour 2014.

(12) Note DAP du 8 juillet 2008 relative aux missions et fonctionnement des centres pour peines aménagées.

(13) J-R. Lecerf, Avis n°114 sur le projet de loi de finances pour 2015, Sénat, 20 novembre 2014.


Objectif : 3 heures d’activités par jour pour les détenus

Le Gouvernement a prévu une augmentation de 1,5 millions d’euros des fonds alloués aux activités en prison (hors activités professionnelles dont les crédits baissent légèrement). Objectif : passer à l’horizon 2017 à trois heures d’activités quotidiennes, contre 1h30 en moyenne aujourd’hui. Le Conseil de l’Europe recommande « au moins huit heures par jour » (commentaire des règles pénitentiaires européennes).


La mission Raimbourg

Chargé d’une mission « express » de 20 jours (du 10 au 30 novembre), le député Dominique Raimbourg a suggéré de proroger le moratoire sur l’encellulement individuel jusqu’en 2022, mais de l’accompagner d’un plan d’actions en plusieurs étapes. D’ici juin 2016, il faudrait disposer d’un « outil » permettant de « recenser le nombre de cellules », leur « surface » et « la qualité offerte » (w.-c. cloisonnés ou non, eau chaude ou pas…) (1). Et élaborer un plan de restructuration visant à substituer aux cellules multiples (plus de deux places) des cellules individuelles, pour parvenir à l’issue du dernier programme de construction à un ratio de 80 % de cellules individuelles, 20 % de cellules doubles, pour laisser la possibilité à ceux qui le souhaitent de ne pas être seuls. En juin2019, «un point d’avancement» devrait être effectué, dans la perspective d’un « respect de l’encellulement individuel » à échéance.

Dès à présent, il a aussi préconisé de donner à la conférence semestrielle sur l’exécution des peines au sein de chaque cour d’appel « une mission de suivi de la surpopulation ». Et de mettre en place dans chaque tribunal une commission réunissant tous les deux mois magistrats et autorités pénitentiaires pour « essayer de réguler au mieux les condamnations ». Le but étant de tenter d’uniformiser les pratiques des magistrats et de favoriser la prise en compte des conditions d’exécution des peines de prison. En ce sens, il a suggéré de définir des « critères d’alerte en matière de surpopulation » à partir desquels les parquets devront inviter les JAP à prononcer plus d’aménagements de peine. Pour « faciliter » le prononcé de ces mesures avant l’incarcération, le député s’est également prononcé en faveur de « petites modifications législatives». Comme l’extension des délais d’examen du juge de l’application des peines en cas de condamnation à une peine de prison de moins de deux ans prononcée sans mandat de dépôt (passage de 4 à 6 mois). Ou la possibilité de convertir des peines de moins de six mois de prison ferme en sursis avec mise à l’épreuve. Des préconisations que le Gouvernement dit « étudie [r] »2.

(1) D. Raimbourg, Encellulement individuel, faire de la prison un outil de justice, rapport remis à la garde des Sceaux, 2 décembre 2014.

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