Un refus de libération conditionnelle (LC) malgré l’avis favorable du ministère public. Telle est la décision de la Cour d’appel de Paris, à l’encontre d’un détenu en voie de réinsertion ayant déjà passé 27 ans en prison. Une décision emblématique de pratiques judiciaires contre-productives, la LC étant reconnue comme la mesure la mieux à même de prévenir la récidive et favoriser la réinsertion des sortants de prison.
C’était le 13 novembre. La chambre d’application des peines de la Cour d’appel de Paris décide de rejeter la demande de libération conditionnelle avec placement extérieur probatoire de Stéphane T. détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et âgé de 54 ans, il a déjà passé plus de 27 ans en prison pour des vols et braquages, ainsi qu’une évasion. Pour motiver leur refus, les juges invoquent un incident survenu en juillet 2014 au cours de la semi-liberté obtenue par S.T. en novembre 2013. Au cours de ses huit mois de semi- liberté, il a pourtant « respecté ses obligations générales et particulières », reconnaît la Cour. Des obligations lui imposant de travailler en journée et de revenir en détention chaque soir avant 23 heures. Durant cette période, aucune permission ne lui a été accordée le week-end pour aller rejoindre son épouse domiciliée dans un autre département, si bien qu’ils n’ont pas pu partager un seul moment d’intimité – alors qu’ils le pouvaient en maison centrale dans le cadre de visites en Unité de vie familiale (UVF).
Réadaptation difficile après une longue peine
Dans un contexte de difficultés à supporter de telles contraintes et à se réadapter à l’extérieur après une très longue incarcération, S.T. a explosé lors d’une conversation téléphonique avec son épouse. Il venait d’obtenir de pouvoir être opéré d’une hernie à l’hôpital et de passer son mois de convalescence chez sa femme avec un bracelet électronique, au lieu d’un retour en détention. Alors qu’il devait libérer sa cellule du centre de semi-liberté, sa compagne lui répond qu’elle ne peut venir le chercher avec ses bagages, ce qui déclenche de sa part des insultes et menaces. Son épouse signalant au SPIP que suite à l’incident téléphonique, elle ne veut plus héberger S.T., la mesure d’aménagement est retirée le 7 juillet 2014 par le tribunal de l’application des peines d’Évry. Stéphane T. est réincarcéré. En appel de cette décision, la chambre de l’application des peines estime que S.T. « a compromis sa possibilité de stabilité familiale et conjugale » et ne « s’est pas comporté convenablement pour accéder à des mesures d’aménagement de peine programmées en plusieurs temps dans son intérêt ». Une seule explosion de colère n’est donc pas permise à un sortant de prison ayant accumulé frustrations, tensions et privation de liberté pendant 27 ans. Ce qui revient à dénier « les effets néfastes de l’emprisonnement de longue durée », pourtant démontrés par « quarante ans d’études et d’expériences de la prison » (1). Des effets rappelés par la sociologue Antoinette Chauvenet : « perte du contact avec les autres et par conséquent avec la réalité, déficit pragmatique, perte de la fonction du réel […]. S’y ajoute l’exposition à la dimension “paranoïaque” de la structure. Tout ceci ne peut pas ne pas avoir, à long terme, d’effet sur la structure psychique des individus (2). »
Conditionnelle exclue pour les longues peines ?
La Cour estime par ailleurs qu’il « apparaît absolument nécessaire de préparer sa fin de peine et son insertion sociale par un encadrement strict, [Stéphane T.] ayant été condamné à de très lourdes peines ». Le détenu présentait pourtant un projet solide, avec une nouvelle promesse d’embauche de l’employeur pour lequel il avait déjà travaillé sans incident pendant sa semi-liberté, ainsi qu’un hébergement en placement extérieur (probatoire à la LC) par l’association ARAPEJ 93, spécialisée dans l’accompagnement des sortants de prison. Les magistrats relèvent également « ses efforts de réadaptation et de réinsertion professionnelle, son inscription dans une démarche de réflexion, son suivi de formations, son élaboration d’un projet professionnel, ses versements volontaires en faveur des parties civiles, le suivi psychologique dont il a bénéficié depuis novembre 2012 ». Que peut-il faire de plus ? Si la Justice n’accorde pas de LC dans pareilles circonstances, autant dire que les condamnés à de longues peines ne sont plus accessibles à cette mesure. La conditionnelle est pour- tant reconnue comme l’une des mesures les « plus efficaces et [les] plus constructives pour prévenir la récidive et favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé », insiste le Conseil de l’Europe (3).
Un encadrement strict ?
Le projet d’insertion de S.T. ne présenterait pas un encadre- ment suffisant selon la Cour, au vu d’un « comportement inapproprié » en centre de semi-liberté qui « augure mal d’une attitude positive à l’ARAPEJ, où il sera moins encadré qu’en semi-liberté ». La Cour semble ignorer qu’un encadrement strict est au contraire susceptible d’être plus intenable après une très longue détention, et qu’un placement extérieur est bien plus soutenant aux plans de l’accompagnement social et humain que la semi-liberté. Il faut mesurer ce que représente le fait d’être obligé revenir de soi-même chaque soir en prison pour une personne qui a attendu la liberté pendant près de trente ans. Les conditions de la semi-liberté sont en pratique « très lourdes », explique le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, ce pourquoi cette mesure « ne peut durer de facto que pendant un temps limité (quelques mois). » (4) Après de longues années passées en détention, « ce n’est pas d’une mini-prison » dont les sortants ont besoin, mais d’« un espace où on apprend la liberté » ajoute Anne-Marie Péri, présidente de la ferme de Moyembrie qui accueille des placements extérieurs (5).
Du disciplinaire au… disciplinaire
Des dimensions ignorées par la Cour d’appel, qui se contente de mettre en cause un « comportement insolent et agressif [de S.T.]. envers le personnel pénitentiaire » du centre de semi-liberté, la version présentée par le détenu ne semblant pas avoir retenu son attention. Depuis qu’il a témoigné contre deux surveillants pour non assistance à personne en danger dans le cadre d’une grave agression entre détenus à Poissy en 2012, S.T. dit subir des pressions et abus de la part d’agents appartenant au même syndicat que ceux mis en cause. De sorte que «la détention devient insupportable pour lui», avait-il expliqué au tribunal qui devait révoquer sa semi-liberté. En appel, le ministère public a eu beau demander à la Cour « de faire droit à la proposition de placement extérieur » et celle-ci d’admettre que S.T. a montré de manière constante « une authentique volonté de se réinsérer et notamment de travailler », elle l’invite néanmoins à renouveler sa demande ultérieurement. Alors que « le tribunal de l’application des peines avait tout mis en place pour que le condamné puisse se faire opérer de sa hernie en milieu hospitalier et non pénitentiaire », la Cour relègue cette préoccupation derrière la nécessité de « se comporter convenablement ». Et l’« intervention rapide » dont a besoin Stéphane est « réalisable en milieu carcéral », même si attendue par le condamné depuis plus de six mois à Fleury-Mérogis.
Sarah Dindo
(1) Conseil de l’Europe, Rec(2003)23 et Conférence ad hoc des Directeurs d’administration pénitentiaire, novembre 2004.
(2) A. Chauvenet, Les longues peines : le “principe” de la peur, Séminaire GERN, 21 mars 2008.
(3) Recommandation Rec(2003)22.
(4) CGLPL, Avis du 26 septembre 2012 relatif à la semi-liberté. 5 Dedans-Dehors n° 81, octobre 2013.
(5) Dedans-Dehors n°81, octobre 2013