Deux condamnations à six mois de prison avec sursis. Tel est le résultat, confirmé en appel le 4 septembre 2014, d’une dizaine de procédures engagées au pénal par des détenus de la maison d’arrêt de Valenciennes pour des violences et autres abus commis par des agents entre 2008 et 2009. Des pratiques confirmées par une inspection pénitentiaire. Sans suites disciplinaires.
La cour d’appel de Douai a confirmé en tous points le jugement du tribunal correctionnel de Valenciennes, qui avait condamné deux surveillants en juillet 2013. Une dizaine de détenus avaient porté plainte en mars 2009, donnant lieu à l’ouverture de sept informations judiciaires. Seuls quatre surveillants avaient finalement été poursuivis pour violences aggravées, faux et usage de faux, violences sans incapacité sur témoin et subornation de témoin. Contre l’avis du parquet, le tribunal n’a retenu que les faits de violences aggravées, ignorant les autres infractions perpétrées à la maison d’arrêt de Valenciennes entre 2008 et 2009.
Un chef de détention condamné pour usage abusif de gaz lacrymogène
La condamnation du chef de détention Mohamed A. est confirmée : six mois avec sursis pour violences volontaires aggravées avec arme sur le détenu Benoît H. Alors que celui-ci tambourinait à la porte de sa cellule pour obtenir des médicaments, plusieurs agents étaient intervenus sur son ordre. Le détenu se débattant, ils l’avaient plaqué au sol, menotté, transporté au quartier disciplinaire et dénudé. Le chef de détention lui avait ensuite aspergé le visage de gaz lacrymogène à travers la grille de la cellule disciplinaire. « Au vu des déclarations » de quatre surveillants ayant pris part à l’opération, l’usage de la bombe lacrymogène est intervenu alors que « la grille était déjà refermée » et n’était « absolument plus justifié […] au regard des règles relatives à l’usage de la force et des moyens de contrainte ». L’argument de la légitime défense avancé par le prévenu ne tient pas. Les autres éléments du traitement infligé à Benoît H. ont conduit la mise en examen de plusieurs surveillants, qui ont finalement bénéficié d’un non-lieu. Un certificat médical constate pourtant de multiples lésions : « œdème frontal » et « de la pommette gauche », « multiples ecchymoses du flanc gauche et des genoux » Pour le juge, « la rébellion dont [le détenu] avait témoigné avait rendu nécessaire un usage prolongé de [la] force, utilisée de façon proportionnée et légitime (1) ».
Un surveillant condamné pour des coups de pied et de poing
Dans la même affaire, la cour d’appel a confirmé la relaxe de Mohamed A. pour complicité de faux et usage de faux. Il avait demandé au surveillant Christophe L., n’ayant pas participé à l’intervention, d’en faire le compte rendu, ce qui n’est pas permis par la procédure disciplinaire. Le surveillant était poursuivi pour avoir « établi un compte rendu professionnel faisant état de faits matériellement inexacts et d’en avoir fait usage ». Il a été relaxé, le tribunal estimant que « la preuve du caractère inexact de l’attestation n’[était] pas établie » (2). Mohamed A. est relaxé, pour les mêmes motifs. Le surveillant Christophe L. est néanmoins condamné dans une autre affaire à six mois d’emprisonnement avec sursis, confirmés par la cour d’appel, pour violences aggravées sur Kamal B. Il avait asséné deux coups de poing au visage et un coup de pied à la jambe du détenu, qui demandait avec insistance à poster plusieurs courriers et à téléphoner à sa femme enceinte, dans l’après- midi du 22 janvier 2009. La Cour estime que les témoignages de trois détenus ainsi que les conclusions de l’Inspection des services pénitentiaires « permettent de contredire avec suffisamment de force probante la version donnée par le prévenu ». « En dépit de demandes réitérées », selon le jugement, le détenu n’a ensuite « pas eu l’autorisation de se rendre à l’infirmerie » pour faire constater les traces de coups et joindre un certificat médical à son dépôt de plainte. Le lendemain, il écrit au parquet avoir subi des menaces de mort de la part d’un autre surveillant, en raison de sa plainte. Il fait ensuite l’objet d’un compte rendu d’incident pour les faits du 22 janvier et à une sanction de 10 jours de quartier disciplinaire. Le surveillant en cause lui aurait également promis de « lui faire la misère et qu’il irait régulièrement au mitard ». Sous pression, Kamal B. retire sa plainte deux mois plus tard, ce qui incitera le parquet non pas à clore mais à poursuivre son enquête (3).
Brimades et pressions sur témoins
Christophe L. était également poursuivi avec un autre surveillant, Monsieur R., pour violence sans incapacité sur un témoin pour l’influencer ou par représailles. Et un troisième surveillant, Monsieur D., pour subornation de témoin. A partir « du moment où il [a] été entendu par l’administration pénitentiaire », le détenu Fabrice G. a eu « à subir des pressions et des brimades constantes » de la part des trois surveillants. Des incidents inhabituels s’accumulent. Un jour, le surveillant R., « qui était au portique de sécurité, [refuse] de lui ouvrir la porte, vraisemblablement pour qu’il soit en retard dans son travail d’auxiliaire et pour qu’il soit déclassé » ; un autre jour, il lui « interdit de prendre une douche après son travail ». Ou encore, Christophe L. lui propose de « remonter avec un sachet de pâtes de fruits qu’il savait volé ». Le tribunal a néanmoins prononcé une relaxe : « la matérialité de certains incidents n’est pas suffisamment établie » et « si la réalité des autres incidents – notamment le blocage à la grille de la détention et les menaces sur sa personne – n’est pas contestable », « il n’est pas établi que ces voies de faits ont causé à la victime une atteinte physique ou psychique ». Pour le juge pénal, les surveillants peuvent ainsi commettre des infractions tant que le dommage sur les détenus n’est pas important.
Nombreuses plaintes sans suite
Deux condamnations avec sursis pour dix plaintes déposées. Les surveillants s’en sortent particulièrement bien. Les pressions subies par les détenus et les difficultés matérielles d’apporter des preuves l’expliquent en partie. Parmi les plaintes classées sans suite, celle de Monsieur A., qui prétendait avoir « été placé en cellule de fouille » et « roué de coups par plusieurs surveillants ». Celle de Monsieur E. qui, après avoir tapé à la porte de sa cellule car il se sentait mal, dit avoir été « plaqué contre le mur, puis au sol » et « placé en cellule disciplinaire », où il aurait « été déshabillé et laissé nu » pendant sept heures. Celle de Monsieur I., alléguant qu’un surveillant « alcoolisé est entré dans sa cellule », aurait « ôté l’intégralité des couvertures », l’aurait « saisi violemment par l’épaule » et « fait tomber de son lit ».
Absence de suites disciplinaires
Ces plaintes ont déclenché une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP), mettant en évidence de nombreux dysfonctionnements dans un avis du 6 juillet 2009. Elle décrit « un contexte dans lequel des sanctions infra-disciplinaires étaient prises à l’encontre de détenus sans que leur soient accordées les garanties de la procédure disciplinaire » : privation de téléphone, de promenade ou de douche, ou encore mise en cellule d’attente non justifiée. L’ISP souligne que « ces dérives n’ont pu survenir et se perpétuer que du fait des relations très particulières entre un directeur très peu présent et son adjoint et un chef de détention ayant pris une place prépondérante dans la vie de l’établissement » (4). Pour autant, aucune poursuite disciplinaire n’a été engagée contre les agents en cause. Dans son avis du 9 juillet 2014, le Défenseur des droits « déplore vivement l’absence de suite donnée aux investigations menées par l’Inspection », et notamment l’absence de sanctions disciplinaires à l’encontre principalement du surveillant Christophe L. et du chef de détention Mohammed A. Il demande au garde des Sceaux de « bien vouloir lui indiquer si des mesures de contrôle […] ont été mises en œuvre afin de s’assurer que de telles pratiques ne se reproduisent pas ». Le Défenseur rend néanmoins son avis et demande des comptes au ministère cinq ans après sa saisine, le 13 mai 2009. Un délai qu’il explique par « le refus initial des autorités judiciaires compétentes de transmettre les pièces et informations nécessaires demandées » et derrière lequel il s’abrite pour justifier qu’il se soit trouvé « dans l’impossibilité de mener ses propres investigations » (5).
Anne Chereul, coordinatrice OIP régions Nord-Ouest
(1) Jugements du tribunal correctionnel de Valenciennes, 25 juillet 2013 (n °09000007728 et 09000002442).
(2) Jugements du tribunal correctionnel, op. cit.
(3 ) Jugements du tribunal correctionnel, op. cit.
(4) Avis de la CNDS du 9 juillet 2014 citant le rapport de l’Inspection des services pénitentiaires du 6 juillet 2009
(5) Avis de la CNDS du 9 juillet 2014