Durant sa détention à la centrale d’Arles, Sylvain Chatelet a pu observer les effets positifs d’une gestion particulière dans cet établissement, favorisant la consultation des détenus et leur participation à la vie collective. Il demande la généralisation de ce modèle, plaide aussi pour la réduction de l’échelle des peines et la suppression des périodes de sûreté, qui rendent vains les efforts de réinsertion des condamnés à de longues peines. Des sujets soulevés lors de la conférence de consensus et ignorés par le projet de réforme pénale. Suscitant chez les détenus « frustration et incompréhension ».
Sylvain Chatelet est en aménagement de peine depuis décembre 2013, après une dernière incarcération de douze ans. Il a présenté à la Conférence de consensus la contribution d’un groupe de personnes détenues à la maison centrale d’Arles.
Dans votre intervention devant la conférence de consensus, vous déploriez que l’on ne parle jamais des longues peines. Cette question est effectivement omise dans le projet de loi, qu’est-ce que cela vous inspire ?
La conférence de consensus a généré énormément d’espoir, après des années à subir des avalanches de lois pour matraquer les longues peines. Nous avions beaucoup d’attentes dans les centrales, notamment sur les périodes de sûreté. Et finalement, il n’y a rien. Cela génère beaucoup de frustration et d’incompréhension. On a le sentiment que les longues peines, c’est le sujet tabou, comme si elles n’existaient pas. Si on ne veut rien faire pour les longues peines, si la réinsertion n’est envisagée que pour les courtes peines, il faut le dire clairement : on a abandonné la peine de mort, on l’a remplacée par de très longues peines, voire la prison à vie, la mort à petit feu. Seules 2 500, 3 000 personnes sont concernées, mais elles ont besoin de savoir où elles vont. Beaucoup d’entre elles font des efforts. D’autres considèrent que ça ne sert à rien, car les échéances sont trop lointaines, ne permettent pas de se fixer d’objectifs accessibles. Je pense que c’est d’abord à nous de faire des efforts, mais il faut quelque chose en contrepartie, ne pas donner de l’espoir en vain.
Votre groupe pour la conférence de consensus demandait la suppression des très longues peines et une baisse du quantum des peines. En quoi est-ce important pour la prévention de la récidive ?
On a considéré un jour que la peine de mort était une sanction humainement inacceptable. On devrait considérer aujourd’hui que des peines de trente ans sont aussi inacceptables. Après autant de temps passé en prison, il est pratiquement impossible de retrouver une vie normale. Même pour des gens entourés comme moi, avec une famille en soutien et un logement, c’est très difficile. Or, la plupart n’ont plus rien. Ils ont perdu leur femme, leurs enfants leur en veulent, les parents sont décédés, ils n’ont pas de ressources financières ni de qualifications professionnelles. Les boulots qu’on leur a donnés en prison ne leur servent à rien, ils n’ont rien appris.
Ce qui est important à travers le quantum de la peine, c’est de ne pas tuer tout espoir. Si la peine est très longue, les condamnés pensent qu’ils sont foutus, que cela ne vaut pas le coup de travailler sur soi, de se mettre dans une dynamique de changement. Certains disent : « Moi j’ai pris trente ans, qu’on me foute la paix. J’ai cinquante ans, j’en aurai 70 en sortant, de toute façon ce sera les quatre planches de sapin ». Qu’est-ce que vous voulez leur répondre ?
Je rappelle aussi que la récidive des longues peines est proportionnellement faible, notamment pour une question d’âge. Ce n’est pas pareil de sortir à vingt ans ou à cinquante. On se dit : « bon, je me range ». Il n’empêche, les problèmes sont là, on est brisé. Je suis sorti il y a trois mois, en placement extérieur, après une dernière incarcération qui a duré douze ans. Je suis entré en prison la première fois à 22 ans, j’en ai 48. Je suis déconnecté, j’appartiens à un autre siècle. Je n’ai pas de passé, ou alors un passé pas glorieux qu’on n’a pas envie de raconter. Quand je rencontre des gens, ils ont un vécu. Le mien, ce sont les transferts, les différentes maisons d’arrêt et la centrale. Je ne vais pas leur raconter des histoires de cour de promenade. C’est un frein pour aller vers autrui et pour retrouver sa place dans la société.
Dans la contribution de votre groupe à la conférence de consensus, vous invitiez aussi à « revoir le fonctionnement d’une maison centrale », en questionnant l’objectif de tels établissements : « réinsérer ou non ? ». Pouvez-vous préciser ?
La loi devrait affirmer un droit à la réinsertion, dans tous les types d’établissements pénitentiaires. Qu’il soit clair que la fonction de la prison est de réinsérer les gens, pas de fermer la porte, prendre la clé et la jeter ! Dans la plupart des centrales, on vous donne une cellule et on vous dit de vous démerder, de ne pas ennuyer l’administration, de faire votre vie tranquille et ça ira très bien. Ce n’est pas un hasard si ce sont des détenus d’Arles qui ont été choisis pour participer à la conférence de consensus. Depuis la réouverture de la centrale en 2009, la direction a essayé de mettre en place un autre type de gestion. Par exemple, j’ai été à l’initiative, avec l’ancien directeur, de la mise en place des « détenus facilitateurs ». Leur rôle est d’être attentifs aux autres, d’intervenir en cas de difficulté pour atténuer les conflits entre détenus ou avec des surveillants. Souvent les détenus ont une attitude de rejet vis-à-vis de l’administration. Mais avec un autre détenu, ils parlent toujours. Je leur expliquais : « si tu as un problème, tu viens me voir, on boit un café, tu m’exposes ton problème et je verrai de quelle manière je peux intervenir pour toi ». Au début, certains ont pensé qu’il s’agissait de « prévôts ». Progressivement, notre rôle a été compris et accepté.
Quelles sont les autres spécificités à Arles ?
La direction organise des journées de formation animées par des intervenants extérieurs – sur la criminologie, les addictions, la réforme pénale, etc. On se retrouve en comité restreint, dont les facilitateurs, et parfois des personnels pénitentiaires acceptent de participer. Ces rencontres se déroulent dans une pièce à part et le repas est pris en commun. Certains détenus n’ont pas partagé un repas depuis dix ans, ils ont l’habitude de manger en cellule en 5 minutes. Il n’y a pas une seule journée de formation dont je n’ai vu des participants sortir sans être transformés. Je pèse bien le mot : un véritable changement s’effectue en eux, une dynamique se met en place, ils voient les choses autrement et ils se montrent tels qu’ils sont. A Arles, ils font aussi rentrer des chevaux. Le contact avec ces animaux, ça vous renvoie à ce que vous ressentez, votre façon d’être, on ne peut pas tricher.
On a considéré un jour que la peine de mort était une sanction humainement inacceptable. On doit considérer aujourd’hui que des peines de trente ans sont aussi inacceptables.
Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce qui est fait dans cette centrale. De manière générale, si vous coupez les gens de toute forme de rapports sociaux, vous en faites des animaux. Si vous essayez de garder le contact avec quelque chose qui se rapproche de l’extérieur, c’est plus facile ensuite de les remettre dans le monde réel. J’espère que ces actions importantes vont se répandre dans les autres centrales.
Le projet de loi instaure un examen de toutes les situations aux deux tiers de la peine en vue d’un éventuel aménagement de peine. Qu’en pensez-vous ?
Cela ne change rien pour les longues peines, tous les dossiers sont examinés. Un « primaire » peut demander une permission au tiers de peine, et sa conditionnelle à mi-peine. Les deux-tiers de la peine, c’est trop tard : pourquoi attendre aussi longtemps pour réinsérer les gens ? Je pense qu’il faudrait passer un contrat, dès l’arrivée en établissement pour peine, entre le condamné, la direction, le juge de l’application des peines (JAP) et le service d’insertion et de probation (SPIP). Tout le monde est réuni, il est demandé au condamné ce qu’il veut faire pour se réinsérer. Celui qui répond qu’il ne veut rien faire, on le laisse retourner en cellule. Celui qui veut reprendre ses études, accéder à telle formation, avoir un suivi psycho- logique et psychiatrique… des objectifs sont fixés avec lui – en termes de formation, de travail, d’implication dans la vie de l’établissement, de suivi psychologique… Cela nécessite de donner les moyens à la personne d’accéder à ces activités, d’où l’idée de « droit à la réinsertion ». Pour faire le point sur les objectifs, on se rencontre régulièrement, au moins une fois par an. Et quand la personne a rempli ses engagements, la conditionnelle est accordée.
Obligatoirement ?
Oui, chacun saurait que c’est de cette façon qu’on peut sortir de prison avant la fin de peine, pas autrement. On pourrait ainsi responsabiliser les personnes incarcérées. Et aussi éviter que l’accès à la conditionnelle soit une loterie, car il y a des différences énormes de pratiques d’un juge à l’autre. Certains JAP sont contre les aménagements de peine, et quoique vous fassiez, quels que soient vos efforts, rien n’y changera. Il faut dire aussi que durant les deux précédentes législatures, Sarkozy et Chirac, on n’a pas cessé de taper sur les magistrats. Si à chaque récidive, on leur tombe dessus et qu’ils risquent de finir mutés dans un sous-sol de palais miteux en rase campagne, ils vont faire le maximum pour s’éviter les ennuis. Donc, ne plus prendre de décision d’aménagement de peine : ceux qui sont en prison y resteront. Les propositions du projet de loi ne changent rien à ce problème, Aujourd’hui, les condamnés font leurs demandes d’affectation en établissement pour peine en fonction du JAP en poste. L’avis des personnels pénitentiaires est aussi très peu sollicité pour les aménagements, alors que nous restons 24 heures sur 24 avec eux. Ce sont eux qui nous connaissent le mieux : vous pouvez mentir quelques semaines, quelques mois, mais pas sur des années. Il faut revoir également les échéances. Si vous donnez une conditionnelle à quelqu’un au bout de 20 ans, il s’en fout. Il faudrait qu’un condamné à une peine de 20 ans ait la possibilité de sortir beaucoup plus tôt s’il atteint ses objectifs, au bout de 8 ans par exemple.
Que pensez-vous de la proposition d’une conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, sauf avis contraire du JAP ou du TAP ?
Même si le principe est bon, parce que l’accès à la conditionnelle dépend moins du JAP en place, il me semble qu’il intervient trop tard pour les longues peines, il faudrait que ce soit à mi peine. S’il s’agit d’une peine de cinq ans, la personne n’a pas trop perdu ses repères aux deux tiers. Mais sur une peine de 20 ans, la personne est déjà brisée et la réinsertion va être compliquée. Il faut mesurer l’angoisse du gars qui sort en permission pour la première fois au bout de 10 ou 15 ans de prison. Faire intervenir les aménagements plus tôt redonnerait de l’espoir et encouragerait les efforts. Même ceux qui font le plus les cadors vous prennent la main si vous la leur tendez. Il n’y en a pas un qui n’ait envie de changer de vie.
Il reste à faire comprendre à beaucoup de détenus qu’un aménagement de peine, ce n’est pas la liberté. C’est faire sa peine sous une autre forme. Il faut bien l’expliquer, d’où la nécessité d’avoir des services d’insertion et de probation renforcés et des moyens de contrôle bien plus avancés qu’aujourd’hui.
Même ceux qui font le plus les cadors vous prennent la main si vous la leur tendez. Il n’y en a pas un qui n’ait envie de changer de vie.
Vous aviez aussi pointé l’aspect contre-productif des périodes de sûreté « qui invalident l’objectif de réinsertion ». Elles ne sont pas non plus modifiées par le projet de loi. Pouvez-vous expliquer leur impact ?
Une personne condamnée à une peine de prison avec deux tiers de sûreté ne sortira pas avant cette échéance, quoi qu’elle fasse. Cela l’encourage à ne faire aucun effort, voire à des gestes désespérés et dangereux, pour soi-même ou pour autrui. Sans la période de sûreté, les efforts de réinsertion permettraient d’obtenir des réductions de peine supplémentaires, c’est incitatif.
L’accompagnement qui vous est proposé durant votre aménagement de peine en placement extérieur vous paraît-il adapté ?
J’ai des obligations à remplir : les parties civiles à rembourser, apporter la preuve que j’ai un travail. Une fois par mois, je rencontre mon conseiller d’insertion et de probation. Ses moyens sont limités, on sait bien qu’on manque de conseillers pour suivre les détenus qui sont sortis. Le premier soutien que j’ai trouvé autour de moi, à part ma famille, ce sont néanmoins des gens de l’administration pénitentiaire, aussi bizarre que cela puisse paraître à certains. Je suis sportif depuis toujours, et j’ai eu notamment d’excellentes relations avec les surveillants moniteurs de sport. Ils m’ont beaucoup aidé, comme d’autres personnes de l’administration, à des moments compliqués pour moi, quand j’ai perdu des personnes de ma famille.
En revanche, j’aimerais bien voir un psychologue. J’ai demandé à ma CPIP, elle m’a répondu que ce serait à moi de le trouver et de le payer, car nous n’avons pas de structure dans le coin. Avec la moitié de mon salaire qui part pour les parties civiles, la pension alimentaire et le loyer, je n’en ai pas les moyens. Pourquoi il n’y a pas de structures à l’extérieur, pourquoi ce n’est pas possible de voir un psy ? Ce qui m’aide, ce sont les contacts que j’ai gardés avec des personnes connues en détention, et qui m’apportent un soutien moral important.
Ça fait maintenant trois mois que je suis sorti. Et doucement, je vais retrouver ma vie. Je sais que ça prendra beaucoup de temps. Vous voyez, là, il est 16 h 05, l’heure à laquelle on sort du stade à la centrale d’Arles. Mes points de repère sont encore là-bas.
Recueilli par Barbara Liaras