Un mois avant l’action contentieuse de l’association Robin des Lois (1) qui a lancé depuis 2009 un combat pour l’installation d’urnes en détention, Nicolas B. a écrit à l’OIP pour décrire les obstacles (plus ou moins visibles) au vote des « citoyens incarcérés ». Défaut d’information, délais d‘inscription, système de procuration inadapté… A l’approche de l’élection présidentielle, il dénonce le désintérêt persistant (2) des pouvoirs publics pour ces problèmes.
Le manque d’information me semble être le premier frein [à l’exercice du droit de vote]. En effet, là où je suis incarcéré, les seules informations fournies à la population pénale le sont par voie d’affichage et se résument à deux pages A4. Le premier imprimé détaille la procédure relative à l’inscription sur les listes électorales, le second informe des deux modes d’exercice du droit de vote en détention. Ces deux imprimés, intitulés « Le savez-vous ? », sont affichés dans divers lieux de l’établissement, normalement à chaque étage du bâtiment de détention. Or en maison d’arrêt, les détenus ne sont pas censés pouvoir stationner dans les coursives de leurs étages respectifs, c’est-à-dire là où sont justement affichées les informations relatives au vote. Donc si une personne détenue en maison d’arrêt ne se rend que très rarement, voire jamais, dans des locaux où sont également présentes ces affichettes (unité locale d’enseignement, service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), unité sanitaire…), elle n’aura pratiquement aucune possibilité d’être informée. Avec cet unique mode de diffusion, je me demande aussi comment peuvent s’informer les citoyens incarcérés qui ne savent pas lire, ou bien avec grande difficulté. […]
Par ailleurs, même le détenu informé peut se heurter à des obstacles, parfois infranchissables. Ces derniers sont inhérents à la nécessité d’être inscrit préalablement sur les listes électorales et de faire établir une procuration – tout comme le citoyen libre. Mais afin de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, le citoyen détenu doit remplir un formulaire délivré par le SPIP ou le greffe de l’établissement. Il doit ensuite le transmettre, accompagné des pièces justificatives nécessaires, à la mairie de la commune à laquelle son domicile est rattaché. Un détenu peut aussi demander à être domicilié au sein de l’établissement s’il y est incarcéré depuis six mois au moins, ou s’il n’a aucun domicile. La plus grande difficulté après l’inscription, c’est de parvenir à trouver un mandataire qui pourra et acceptera de voter à la place du citoyen empêché. Il faut en effet que mandataire et mandant soient inscrits sur les listes électorales de la même commune. Comment un détenu n’ayant aucun lien avec une personne de l’extérieur peut-il réussir à désigner un mandataire ? Certes cela peut être un intervenant extérieur (membre du GENEPI par exemple), encore faut-il que celui-ci soit inscrit sur la même liste électorale et qu’il accepte.
Incarcéré depuis octobre 2012, j’ai pu exercer mon droit de vote à chaque scrutin : lors des élections municipales (mars 2014), européennes (mai 2014), départementales (mars 2015) et régionales (décembre 2015). Etant prévenu, et privé d’éventuelles permissions de sortir, j’ai dû faire établir une procuration pour chacune de ces échéances électorales. Cela a été rendu possible par le fait que j’étais inscrit sur les mêmes listes électorales que mes parents avant mon incarcération. Mais si ce lien avait été rompu, quel mandataire de confiance aurais-je pu désigner alors que je suis incarcéré au CP de Saint-Quentin Fallavier (38) et inscrit sur les listes électorales à Clermont-Ferrand (63) ?
Enfin, l’élection présidentielle ayant lieu dans quelques mois, comment connaître précisément les idées des candidats ? Aux difficultés citées s’ajoute en effet un véritable problème d’accès aux programmes des candidats à une élection. Car la seule et unique source d’information à disposition des citoyens détenus est la télévision (le quotidien papier Le Dauphiné Libéré n’étant par ailleurs plus distribué aux détenus du CP de Saint-Quentin Fallavier). Or ce média ne développe évidemment pas l’intégralité du programme de chaque candidat. C’est sur internet que se trouve la majorité des propositions détaillées des personnes pour qui nous allons voter, mais nous n’y avons pas accès.
Au vu de ces nombreuses difficultés, je me demande pourquoi rien n’est fait pour davantage inciter au vote des détenus. Des intervenants extérieurs pourraient par exemple leur fournir les programmes des candidats au format papier. L’installation de bureaux de vote en détention pourrait aussi faciliter l’exercice de ce droit, grâce à une visibilité accrue. Je suis convaincu que cette visibilité impliquerait davantage les citoyens et les encouragerait à voter. Un vote électronique me paraît également une option intéressante, notamment pour éviter les éventuels problèmes liés à la confidentialité du dépouillement des bulletins au sein de l’établissement pénitentiaire.
La réinsertion des détenus prônée par l’autorité judiciaire et par les responsables politiques eux-mêmes ne passe-t-elle pas, aussi, par cette (ré)insertion « civique » ?
Nicolas B.
- L’association avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris pour obtenir l’installation d’urnes en prison – et permettre aux détenus de voter lors de l’élection présidentielle. La requête de l’association a été déboutée le 21 mars 2017.
- Un constat dressé à chaque échéance électorale. En 2012, le rapport Borvo-Lecerf, qui dresse un « Bilan de l’application de la loi pénitentiaire » préconise déjà l’installation de bureaux de vote en prison.