La quatrième Unité d’hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) a été inaugurée à Fleury-les-Aubrais/Orléans le 13 février 2013. Ces unités psychiatriques pénitentiaires en milieu hospitalier ont soulevé d’importantes controverses : coûteuses, elles mobilisent pour un nombre limité de patients des moyens faisant défaut aux services « de droit commun » et créent une filière de soins ségrégative pour les personnes détenues. L’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) demande une évaluation du programme avant sa poursuite. Le point avec son président, le Dr Michel David.
Le Dr Michel David est président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire.
La première tranche de constructions d’UHSA, prévoyant l’ouverture de neuf unités (440 places), n’est pas terminée. L’ASPMP demande néanmoins une évaluation globale du programme. Pourquoi ?
Il a toujours été prévu que cette évaluation ait lieu, notamment dans la circulaire interministérielle du 18 mars 2011 relative à l’ouverture et au fonctionnement des UHSA. L’évaluation est une démarche généralisée dans la société pour apprécier l’opportunité de décisions ou d’actions en cours, l’Etat devrait également s’y plier. D’autant plus que les UHSA vont à l’encontre des tendances politiques actuelles, notamment celles exprimées lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, visant à réduire la population carcérale en développant les peines dans la communauté. Il apparaît en ce sens légitime d’envisager un renforcement des prises en charge par le secteur de psychiatrie générale, qui pourraient éventuellement permettre d’éviter des engrenages amenant jusqu’à l’incarcération, plutôt qu’une mobilisation de moyens considérables pour des unités réservées aux patients une fois détenus. Le programme des UHSA s’avère coûteux, il nous semble donc raisonnable de l’évaluer avant de décider de sa poursuite éventuelle.
Quels sont pour vous les points sur lesquels l’évaluation devrait porter une attention particulière ?
Nous sommes confrontés avec les UHSA à des questions d’ordre philosophique et éthique, qu’il importe de prendre en compte dans l’évaluation : que représentent les UHSA dans le paysage sanitaire psychiatrique français ? Leur fondement même repose largement sur les difficultés du secteur de psychiatrie générale depuis des années à prendre en charge les personnes détenues qui devaient recevoir des soins en milieu hospitalier, et en amont les patients qui peuvent à un moment ou un autre commettre des infractions pénales. Leur dénomination d’« hôpitaux-prison » traduit la création d’une filière de soin ghettoïsée pour les personnes détenues, celles-ci ne relevant dès lors plus du droit commun.
Implantées sur une emprise foncière hospitalière, leur sécurité périmétrique est assurée par l’Administration pénitentiaire qui non seulement « colonise » les hôpitaux mais, qui de surcroît, du fait du dispositif sécuritaire, « encercle » le soin. La communauté soignante dans sa grande majorité a accepté sans sourciller ce concept. La création d’une filière « à part » instaure, pour les soignants, une coupure progressive du secteur de psychiatrie générale. Or, le contexte pénitentiaire a tendance à brouiller les esprits: il est difficile d’être vigilant sur tout, les médecins doivent souvent transiger, se montrer un peu équilibristes… et certains peuvent malheureusement finir par accepter beaucoup de choses, notamment en matière d’indépendance professionnelle et de respect du secret médical.
L’évaluation devrait donc porter sur la pertinence de cet outil thérapeutique, son coût financier, ses difficultés de mise en place…
Il s’agit également d’évaluer les unités qui fonctionnent déjà : quels types de troubles mentaux sont traités en UHSA, comment s’articulent ces unités avec les 26 Services médico-psychiatriques régionaux (SMPR) et les établissements pénitentiaires n’étant pas siège d’un SMPR? Quelle est la durée moyenne des séjours en UHSA? Le parcours thérapeutique s’en est-il trouvé amélioré? Quels inconvénients a-t-on rencontré ? Les équipes ont-elles constaté des difficultés à gérer les urgences, ou lors d’éventuelles levées d’écrou durant le séjour, comment s’est organisée la continuité des soins avec l’extérieur ? La localisation et le nombre limité des unités fait également partie des points d’évaluation importants: certains établissements pénitentiaires se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres d’une UHSA: quelles en sont les conséquences pour les familles, pour les parloirs ?
Enfin, il manque aujourd’hui certaines données épidémiologiques. L’une des craintes relatives aux UHSA était que ces structures, qui sont des lieux d’hospitalisation presque « intra-pénitentiaires », encouragent les psychiatres experts sollicités en amont du procès à prononcer des « altérations » du discernement, n’exonérant pas le malade de sa peine, en estimant que les personnes allaient être « soignées en UHSA ou en SMPR », plutôt que des « abolitions » du discernement conduisant le tribunal à prononcer l’irresponsabilité pénale. Cette évolution a-t-elle eu lieu? Il serait intéressant de le savoir.
Depuis l’ouverture de la première UHSA en mai 2010 à Lyon, constatez-vous une amélioration de la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques ?
Les collègues des UHSA répondent positivement. Les conditions indignes d’hospitalisation en psychiatrie ont été un des arguments en faveur des UHSA, et l’amélioration sur ce point est indiscutable : les patients font moins d’allers-retours entre la prison et l’hôpital, ils ne sont pas placés en chambre d’isolement ni en contention. Néanmoins, peu de patients en bénéficient : 180 lits au total, dérisoires au regard des besoins des 68 000 détenus, dont on sait qu’une part importante est affectée de troubles d’ordre psychiatriques – Jean-Marie Delarue estime à 17 000 les personnes détenues relevant de la psychiatrie, et à au moins 10 000 celles qui devraient être hospitalisées. Les UHSA contribuent à cette situation en accréditant l’idée que les malades peuvent être soignés en prison. Forts de cette conviction, certains magistrats n’hésitent pas à infliger des peines d’emprisonnement à des personnes nécessitant avant tout des soins.
L’autre progrès notable, c’est la possibilité d’avoir des hospitalisations « libres », c’est-à-dire à la demande de la personne. La décision est alors purement médicale, il n’est plus nécessaire de solliciter le préfet, contrairement à l’hospitalisation sous contrainte (soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’État, SPDRE, ex hospitalisation d’office), qui était jusqu’alors la seule option pour hospitaliser un patient détenu.
Quelles orientations vous sembleraient souhaitables pour améliorer la prise en charge psychiatrique des personnes détenues ?
Je plaide de manière quelque peu provocatrice pour l’abolition du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, et pour le rattachement de toutes les unités au secteur de psychiatrie générale, à l’image de l’organisation des soins somatiques, afin d’avoir une meilleure intégration dans le droit commun. Les psychiatres restent toutefois assez partagés sur cette option.
Nous devons nous interroger sur l’essence même de la psychiatrie en milieu pénitentiaire : doit-elle être une psychiatrie à part entière, ou est-elle est entièrement à part ? Certes, des ajustements sont inévitables. Par exemple, nous n’arrivons pas à assurer la confidentialité de la consultation, non pas dans son contenu, mais dans son existence même, puisque le personnel pénitentiaire contrôle les circulations. Personne n’arrive à trouver de solution à ce problème soulevé par tous. Il faut néanmoins réduire au maximum les écarts pour se rapprocher de l’éthique du soin généraliste.
Trois points plus précis me paraissent devoir faire l’objet d’une évolution :
1. L’interprétation de la loi de 2002 sur la suspension de peine pour raison médicale, dont ont été écartées d’emblée les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique. Un groupe de travail Santé/Justice doit très prochainement se prononcer à ce sujet. Quelle que soit sa position, ce déni collectif sera intéressant à analyser ;
2. Le recours systématique aux soins sous contrainte de type SPDRE pour les patients détenus. Cela constitue un CV psychiatrique de suspicion de dangerosité qui marque péjorativement l’histoire d’une personne. Nous avons des situations pour lesquelles une telle mesure ne s’imposerait pas si la consultation avait lieu à l’extérieur.
3. La question de l’organisation sécuritaire des établissements de soins. La présence de forces de police ou de personnel pénitentiaire dans un lieu de soin psychiatriques me semble à éviter absolument. Une option possible consiste à créer des unités régionales ou départementales de soins intensifs psychiatriques, fermées et sécurisées, pour tous les patients ayant besoin d’un tel niveau de sécurité, pas uniquement les détenus. Cette question renvoie à toute une pensée de société qui doit assumer une forme de risques sans pour autant chercher à en rendre responsable l’infirmier, le médecin, le traitement, le directeur… Cela vaut évidemment pour les patients détenus.
Propos recueillis par François Bès