Dans un récent rapport, le Comité anti-torture de l'Europe dresse un état des lieux alarmant des prisons françaises, pointant violences et mauvais traitements et invitant la France à « engager une réflexion vers une nouvelle politique pénale et pénitentiaire durable ». Morceaux choisis.
Du 15 au 27 novembre 2015, l’organe de prévention de la torture et les mauvais traitements du Conseil de l’Europe effectuait une visite en France pour y examiner la conformité des lieux privatifs de liberté français avec le respect des droits de l’homme. Côté prisons, la délégation visitait les maisons d’arrêt de Fresnes, Nîmes et Villepinte ainsi que le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Son rapport de visite avait été adopté en juillet 2016, mais le gouvernement français n’a accepté qu’il soit rendu public qu’en avril dernier[1]. Une publication intervenue alors que la France battait des records historiques d’incarcération et que plusieurs associations – dont l’OIP – saisissaient la justice pour dénoncer les atteintes particulièrement graves portées à la dignité des personnes incarcérées à la maison d’arrêt de Fresnes. Dans son rapport, le Comité enfonce le clou. Il considère que « les mauvaises conditions de détention en prison, notamment dans les maisons d’arrêt de Fresnes et de Nîmes, associées à la surpopulation et au manque d’activités pourraient être considérés comme un traitement inhumain et dégradant. » Il s’alarme par ailleurs du problème endémique de la surpopulation carcérale, sujet sur lequel il relève « avec préoccupation » que « plusieurs recommandations importantes, formulées de longue date, n’ont toujours pas été mises en œuvre ».
Quand conditions indignes de détention riment avec désœuvrement
Bien que les conditions matérielles de détention varient grandement d’un établissement à l’autre, reconnaît le CPT, celles des maisons d’arrêt visitées étaient extrêmement préoccupantes, marquées par la promiscuité et l’insalubrité. « Dans tous ces établissements, la plupart des cellules normalement prévues pour une personne, mesuraient moins de 10 m² (sanitaires compris) et accueillaient deux, voire trois détenus », s’alarme le comité. Conséquence : les détenus hébergés à trois dans ces cellules ne pouvaient disposer d’une table suffisamment grande et de chacun une chaise et étaient contraints de manger sur leur lit. Certains dormaient sur un matelas posé à même le sol ou sur une armoire couchée, contribuant ainsi à réduire encore l’espace disponible en cellule. « Dans nombre de cas, les détenus placés dans les cellules collectives disposaient de moins de 4m²chacun, le plus souvent de 3m², voire moins », précise encore le comité qui appelle les autorités françaises à garantir à chaque détenu un lit individuel ainsi qu’un minimum de 4m² d’espace de vie en cellule collective, hors sanitaires.
« La situation était particulièrement préoccupante dans les prisons de Fresnes et de Nîmes ou d’importants problèmes de chauffage (température de 15°), d’humidité (prolifération de moisissures) et de nuisibles (rats, cafards), s’ajoutaient à la surpopulation », relève le rapport. Ainsi, plusieurs des cellules visitées dans ces établissements « avaient un mur presque totalement recouvert de taches noires ». Une situation aggravée par la vétusté des infrastructures et des problèmes de ventilation, mais pas seulement. A Fresnes, le CPT pointe que les odeurs nauséabondes engendrées par la présence de rats et les projections empêchaient les détenus d’ouvrir la fenêtre et d’aérer. « La délégation a directement pu voir des rats circuler à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments et a noté dans les couloirs et les cours extérieurs un nombre considérable de déjections », précise-t-il.
Cette situation est d’autant plus intenable que les détenus passent souvent plus de 21 heures par jours enfermés en cellule. « La grande majorité des prévenus et un grand nombre de condamnés de ces établissements ne bénéficiaient d’aucune activité, hormis de quelques heures d’exercice en plein air et d’un peu de sport », note le rapport. Et encore, faute de place, l’accès à la salle de sport de Fresnes était limité et les détenus devaient attendre plusieurs mois pour être autorisés à s’y rendre durant une heure par semaine. « Le CPT reconnait que la capacité de l’administration pénitentiaire à offrir des activités motivantes, liées à un programme de détention individualisé, dépend pour une large part du problème du surpeuplement. Il ne faut, cependant, pas attendre que ce dernier s’améliore pour élargir les possibilités offertes aux détenus », notent les auteurs.
Brimades, violences et mauvais traitements
Autre source importante de préoccupation du Comité, les allégations de violences et mauvais traitements à l’encontre de personnes détenues de la part de surveillants. Si la délégation a recueilli des allégations d’usage excessif de la force et de propos insultants dans l’ensemble des prisons visitées, c’est à la maison d’arrêt des hommes de Fresnes que ces témoignages sont les plus massifs et concordants. Ainsi, elle relève « de nombreuses allégations crédibles d’insultes, notamment à caractère raciste, de comportements inadaptés (bousculades, rudoiement) et de recours excessif à la force », certains détenus rapportant avoir reçu des coups alors qu’ils étaient immobilisés au sol. « Des personnes travaillant dans l’établissement ont également corroboré les informations collectées. Ces incidents violents concernaient principalement des agents pénitentiaires, y compris des «gradés», de la division III », poursuivent les auteurs du rapport qui invitent le gouvernement à déclencher « des enquêtes promptes, indépendantes et approfondies » en cas de plainte de mauvais traitements.
A ces attitudes délibérées s’ajoute la persistance de pratiques qui relèvent de traitements inhumains ou dégradants, telles que le maintien des entraves pendant les transferts et soins en milieu hospitalier, les réveils nocturnes « susceptibles d’entraîner des troubles psychologiques chez certains détenus ou d’aggraver des problèmes existants », ou encore la pratique des fouilles à nu systématiques. A propos de cette dernière, le comité « regrette vivement » la modification législative apportée par la loi antiterroriste du 3 juin 2016 qui permet d’ordonner des fouilles à nu « non plus sur le fondement d’un risque individuel, mais sur la base de soupçons collectifs ».
Fresnes : la justice sera-t-elle à la hauteur de la situation ?
Le tableau accablant dressé par le comité européen concernant les conditions de détention à la maison d’arrêt des hommes de Fresnes est venu corroborer un constat ancien et répété, dressé tant par les associations que par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). A l’issue de sa visite de l’établissement en novembre 2016, cette dernière délivrait des recommandations en urgence, pointant « un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
En octobre, l’OIP avait déjà saisi la justice sur la présence de rats, puces et punaises de lit dans l’établissement. Face à l’attentisme de l’administration devant ce constat alarmant, l’OIP et une dizaine de barreaux et syndicats d’avocats ont saisi, en avril, le tribunal administratif de Melun. Ils demandaient un plan d’urgence et que soient prises des mesures concernant tant les conditions matérielles de détention que le climat de violence dans lequel se trouvent les personnes détenues, le manque d’activités ou encore le défaut de prise en charge et de préparation à la sortie. Dans une décision du 28 avril 2017, le juge a admis que les conditions de détention soumettaient les personnes incarcérées dans l’établissement à des traitements inhumains et dégradants et ordonné la mise en œuvre de mesures immédiates. Mais il a rejeté les demandes qui visaient à remédier aux problèmes structurels de surpopulation et de vétusté, seuls à même d’améliorer durablement la situation. Les organisations ont fait appel de cette décision devant le Conseil d’État.
La haute juridiction saura-t-elle entendre les nombreuses voies qui s’élèvent et être à la hauteur de sa mission de gardien du respect des droits et libertés fondamentaux ?
Par Cécile Marcel
[1] Les rapports sont rendus publics à la demande des États.