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Prix des cantines : un pas en avant dans le public

Progressivement mis en place depuis début 2012, un accord-cadre réduit fortement les prix des produits les plus couramment achetés en cantine dans les 132 prisons en gestion publique. Une avancée très concrète, dont restent néanmoins privées les quelque 49 % des personnes détenues qui se trouvent dans une prison « semi-privée », où la situation semble bloquée par les contrats passés. Les explications de François Korber, dont l’association Robin des lois défend depuis plusieurs années une telle réforme.

François Korber, secrétaire général de l’association Robin des lois, a lancé en 2010 une campagne contre « le scandale des prix des cantines »

Pouvez-vous expliquer le nouveau système de régulation des prix des produits vendus en cantine dans les établissements en gestion publique ?

La gestion des cantines, comme celle des téléviseurs, a été sévèrement épinglée par la Cour des comptes en 2006. Robin des lois et d’autres ont mené des campagnes d’information sur ce scandale. Il faut souligner leur rôle, car sans ces campagnes, rien n’aurait bougé. Après avoir annoncé en octobre 2010 l’harmonisation à 8 euros du prix de location des téléviseurs, l’ancien garde des Sceaux a demandé à la Direction de l’administration pénitentiaire d’engager la réforme des cantines. La DAP a rassemblé et étudié les prix pratiqués dans les différents établissements, et décidé d’organiser au niveau national la contractualisation de l’approvisionnement des cantines. Un cahier des charges national a été élaboré début 2011, et des appels d’offres publiés au Bulletin officiel des marchés publics le 1er mars 2011 pour chacun des six lots de produits (épicerie, produits frais, bazar, fruits et légumes, petits équipements et produits culturels…). Un avis d’attribution a été publié le 10 janvier 2012, pour cinq lots, aucun attributaire n’ayant été trouvé pour les fruits et légumes. La mise en place s’est faite progressivement à partir de février-mars, DISP (direction interrégionale) par DISP. L’Ile-de-France et le Nord sont les deux dernières DISP dans lesquelles le système se met en place, mais tout devrait être terminé au cours du dernier trimestre 2012. La DAP a objectivement très bien négocié – la fourniture de 150 prisons représente des volumes considérables – et a obtenu des remises très importantes sur de nombreux produits : 15 % sur la plupart des produits, parfois même 20 %. Dans la mesure où la DAP n’a pas juridiquement le droit de faire des bénéfices sur les cantines, ces remises sont naturellement répercutées sur les prix proposés aux consommateurs détenus.

La DAP a objectivement très bien négocié et a obtenu des remises très importantes sur de nombreux produits.

Dans un tract du 1er août 2012, le bureau local de l’UFAP à la maison d’arrêt de Strasbourg affirme que « l’Administration pénitentiaire achète les produits fournis en cantine à un fournisseur unique, plus cher qu’en grande surface et les revend aux détenus, moins cher que dans un hard discount. La différence est prise sur le budget, c’est-à-dire payée par les impôts ». Qu’en est-il réellement ?

Lorsqu’un produit est vendu par un détaillant, supermarché ou autre, celui-ci ajoute une marge au prix qu’il a payé à son fournisseur pour ce produit. Ce que ne fait pas la DAP. Ce n’est donc pas parce que le prix du produit est moins cher en cantine qu’au supermarché que la DAP – donc le contribuable – y est de sa poche. Par ailleurs, certains produits sont effectivement vendus en cantine moins cher que le prix payé par l’administration et fixé dans les contrats. D’après les explications données par la DAP, elle a tenu à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation de coût pour les 200 produits les plus commandés. Elle a donc fixé le prix de vente de ces produits en fonction des prix les plus bas auparavant pratiqués dans les établissements. Un prix parfois inférieur à celui qu’elle a pu obtenir dans le cadre des marchés. Dans ce cas seulement, il s’agit effectivement d’une vente à perte, mais qui s’avère compensée par de légères marges bénéficiaires imputées sur d’autres produits. L’exercice que réalise la DAP est d’arriver à l’équilibre global de la ligne « cantines » de son budget. Ce n’est donc pas le contribuable qui paye : il va falloir rapidement casser ce mythe. En revanche, il peut être reproché à la DAP un manque de communication, comme d’habitude, auprès des détenus et des personnels, ce qui a créé beaucoup d’incompréhension. Je me mets à la place du surveillant qui prend connaissance de ces tarifs, sans avoir reçu aucune explication. Pour autant, des propos abjects tels que ceux tenus par FO restent inexcusables : « On baisse le froc pour la racaille », « nos prisons sont devenues des Fouquet’s carcéraux », ont-ils osé écrire.

Dans certains établissements, il semble que les nouveaux tarifs aient conduit à des commandes massives de certains produits par des détenus. Avez- vous eu des informations à ce sujet, et quelle a été la réponse de l’administration pénitentiaire ?

Là encore, le manque d’information est en cause. Les détenus ont cru que ces nouveaux prix n’allaient pas durer et certains ont commandé des quantités massives. Cela posait des problèmes d’hygiène et de sécurité, les surveillants ne pouvant plus fouiller certaines cellules en raison des quantités de produits stockés. Ces situations se sont néanmoins produites de façon assez marginale, dans les premières prisons où le dispositif a été appliqué. On a également attrapé quelques gars qui essayaient de faire passer à leurs familles des produits dans les sacs de linge sale qui sortent au parloir. Mais ce n’était rien de plus. Tout le monde sait qu’il n’est pas possible pour un détenu de faire sortir des colis. Toute cette agitation s’est maintenant calmée. Dans certains établissements, la direction a limité les quantités qui peuvent être achetées – alors qu’à mon sens, il su sait d’expliquer. Ce n’est pas prévu par les textes, et les seuils autorisés changent d’une prison à l’autre.

Les établissements dans lesquels les cantines sont gérées par un opérateur privé sont pour l’instant exclus du dispositif, en raison du coût que représenterait la rupture des contrats. Qu’a prévu l’administration pénitentiaire pour remédier à cette situation, et quelles sont les échéances ?

Les sociétés privées gagnent de l’argent sur les cantines, en achetant à très bas prix des produits bas de gamme qu’elles revendent très cher. Avec cette réforme, le fossé entre établissements en gestion publique et en gestion privée se creuse davantage. Le différentiel est choquant, et ne sera pas tenable. Il a été annoncé que cette question serait renégociée dans le cadre des contrats arrivant à échéance en 2017, mais il semblerait que le ministère soit déjà en train de chercher des solutions plus rapides avec Eurest. La renégociation des contrats supposera un effort budgétaire, ce qui n’est pas simple en ce moment. Cela dit, la DAP a aussi des moyens de pression vis-à-vis de ces sociétés et pourrait exiger un effort de leur part, malgré les contrats en cours.

Avec cette réforme, le fossé entre établissements en gestion publique et ceux en gestion privée se creuse davantage. Le différentiel est choquant, et ne sera pas tenable.

L’association Robin des lois, que vous dirigez, se bat depuis des années contre les abus et les disparités constatés, d’abord dans le prix des locations des téléviseurs puis des produits proposés en cantine. Ce combat est-il gagné ?

Depuis le 1er janvier 2012, la télévision coûte 8 euros par mois dans les établissements en gestion publique. Il en sera de même au 1er janvier 2013 pour les établissements en gestion déléguée. Cela couvre les abonnements, l’entretien et le renouvellement du parc de téléviseurs. Ce résultat nous satisfait. Nous demandions, pour les cantines, un panier de 200 produits vendus aux tarifs du supermarché de proximité. Ce qui est mis en place dépasse largement nos espérances.

Cela va bien au delà également de ce qu’exigeait la Cour des comptes: une meilleure gestion et une harmonisation entre les établissements. Cette réforme n’a fait l’objet d’aucune décision formelle, matérialisée par une note de la DAP. Il a fallu retrouver les appels d’offres pour reconstituer le processus. On peut toutefois considérer que la situation dans les établissements publics est aujourd’hui tout à fait satisfaisante, à l’exception des fruits et légumes, pour lesquels on reste pour l’instant en système D, et dont les prix auraient explosé dans certains établissements – j’ai notamment eu des remontées de Fresnes. Reste la question cruciale, qui concerne presque la moitié des détenus, des établissements gérés par le secteur privé. Il nous reste deux dossiers pour considérer ce combat comme gagné : l’harmonisation des tarifs de location et d’achat des réfrigérateurs, ainsi que la fin de la « location forcée » induite par l’interdiction d’acheter l’appareil, toujours en vigueur dans certains établissements ; et la question des « achats extérieurs » (vente par correspondance), soumis à des surcoûts inexplicables, notamment parce que les personnes détenues ne bénéficient jamais des remises consenties aux autres clients.

Propos recueillis par Barbara Liaras


Évidemment, les détenus ont fait des commandes importantes…

Depuis la mise en place des nouvelles cantines en début d’année, le choix est plus important et le prix a baissé. Évidemment, les détenus ont fait des commandes importantes. Exemple : un détenu a commandé 80 paquets de pâtes d’un seul coup. Des boissons dans les mêmes proportions. Un autre, 75 paquets de céréales chocapic, il a été libéré et a emmené chez lui sa marchandise, les surveillants ont essayé qu’il ne parte pas avec, ce qui met toujours de la tension. La direction a décidé après plusieurs semaines de limiter chaque produit à cinq et les boissons à douze. Ce qui évite des commandes importantes sitôt les payes, et aussi l’encombrement des cellules. Mais les choses avaient très mal commencé : un magasin de stockage trop petit, un fournisseur qui ne livre pas ce qui lui est commandé, des commandes mal faites, une volonté de ne pas faire le travail de la part de certains personnels. En plus de ce cocktail détonnant, les jours d’ouverture n’ont pas été respectés.

Témoignage d’une personne détenue au Centre de détention de Mauzac, 17 août 2012

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