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Dernières constructions : l’axe sécuritaire

Le nouveau programme immobilier (NPI) initié en 2011 s’inscrit dans la lignée de nouvelles prisons conçues à partir d’un cahier des charges tout orienté sur des préoccupations de sécurité défensive. En juin 2012, la garde des Sceaux a annoncé poursuivre ce programme en le limitant à la construction de cinq établissements, au lieu des 25 prévus. Mais aucune modification du cahier des charges de construction n’est annoncée.

Il suffit de s’atteler à la lecture du cahier des charges des établissements du dernier programme immobilier pour mesurer l’emprise de la contrainte sécuritaire et de l’approche coercitive dans la conception des nouvelles prisons. Dans le « programme générique fonctionnel » du Nouveau programme immobilier (NPI) élaboré par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), les « principes structurants de l’organisation spatiale » des futures prisons sont déterminés à l’aune de trois critères : « les risques », « la protection » et « la riposte aux divers incidents ». A l’exclusion de toute préoccupation de vie collective en détention, d’organisation du quotidien carcéral et plus largement d’un projet de réinsertion. Parmi les « risques », on retrouve « l’évasion », les « possibilités d’intrusion » de personnes extérieures, les « agressions », les « mouvements collectifs » (refus de réintégrer les cellules, mutineries), ou encore les « mouvements individuels de protestation » (« automutilation, tentative de suicide, grève de la faim », tentative de « monter sur les toits ») de « nature à favoriser les manifestations collectives ». Afin de prévenir ces risques, des grands principes de « sûreté » ont été édictés. Il s’agit de privilégier le « cloisonnement » par le biais d’une « sectorisation des zones », d’une séparation « des détenus en groupes de taille maîtrisable » et de la mise en place d’une « série d’obstacles physiques (barrières, sas, etc.) » pour étanchéifier chacun de ces espaces. Mais aussi d’organiser une « surveillance constante » afin de « savoir à tout instant où est chacun et ce qu’il fait ».

Cloisonnement et surveillance constante

Concrètement, cela se traduit par « une juxtaposition d’espaces cloisonnés » afin de « répartir et de localiser » les « groupes à l’intérieur de zones délimitées ». Les espaces d’hébergement des détenus sont divisés en quartiers (de 160 places), eux-mêmes subdivisés en unités (de 40 places) complètement hermétiques. Des « sas » contrôlés en délimitent l’accès pour empêcher les détenus de « se rendre d’une unité à l’autre ». Chaque quartier est conçu comme un « ensemble semi-autonome », dans lequel des locaux d’activités doivent être implantés afin de limiter au maximum les déplacements hors quartier. Pour contrôler les circulations, « l’entrée des locaux d’activités est munie d’un sas », de même que « l’accès à la cour de promenade ». Cette logique de confinement se double d’une logique de différenciation des régimes selon le « comportement » des détenus. Ainsi, les cahiers des charges intègrent désormais les « régimes différenciés » dès le stade de la conception des nouvelles prisons. Il est établi que les détenus considérés comme « dangereux » envers eux-mêmes, autrui « et/ou l’institution » ou incapables de « partager un espace commun avec d’autres personnes » et de « respecter les règles de vie en collectivité » sont placés dans des quartiers dits en « mode fermé ». Les autres doivent être affectés dans des quartiers en « mode ouvert » où ils ont la possibilité de circuler au sein de leur unité la journée et, à des horaires déterminés, dans les locaux communs de leur quartier. Dans les quartiers fermés, les détenus sont confinés en cellule, à l’exception des temps d’activité ou de promenade. Les déplacements sont accompagnés par un personnel de surveillance et « les parcours sont scandés en des séquences contrôlées » : « les horaires des activités sont définis de manière à éviter les déplacements simultanés de détenus et leur croisement dans le quartier ». Un « seul groupe entre à la fois dans la zone, le suivant ne pouvant entrer ou sortir que lorsque les détenus du premier groupe ont été installés dans leur salle de destination ». Les espaces de promenade sont également divisés en deux cours afin de permettre « une meilleure maîtrise des regroupements de la population pénale ».

De manière générale, pour éviter les évasions et les communications d’un espace à un autre, « toutes les ouvertures et fenêtres donnant sur l’extérieur des bâtiments ou sur les circulations intérieures sont barreaudées ». Dans les « locaux sensibles » (contenant du matériel estimé dangereux) ou dans « les cellules des quartiers en mode fermé », celles des quartiers d’isolement et disciplinaire, le barreaudage est renforcé par la pose de caillebotis : du treillis en acier ne laissant que quelques percées sur l’extérieur. Des principes de « non covisibilité » et de « non communicabilité » entre quartiers sont aussi prescrits. Selon le cahier des charges, les bâtiments doivent être conçus de sorte que les détenus des quartiers fermés ne puissent avoir vue sur les fenêtres des cellules ou les cours de promenade des autres quartiers. Aucun propos ne doit pouvoir être perçu de manière intelligible d’un bâtiment à un autre, « même à voix forcée ». Quant aux quartiers disciplinaire (QD) et d’isolement (QI), leur « implantation » doit être « étudiée de manière à empêcher les échanges par la parole entre détenus du même quartier, entre QI et QD, ou avec des détenus d’autres quartiers, et à empêcher strictement les contacts visuels avec la population détenue de tous les autres quartiers d’hébergement ».

Cette logique de ségrégation et d’isolement se retrouve dans la gestion des déplacements des détenus hors des zones d’hébergement, appréhendés comme l’un des « moments les plus délicats sur le plan de la sécurité ». Le cahier des charges recommande ainsi de les réduire au maximum. Afin d’empêcher les évasions et les déplacements des détenus en cas de mutinerie, il est par ailleurs demandé aux architectes de concevoir les zones de circulation comme un agrégat de grilles, de sas et de passages devant des postes de contrôle. Pour se rendre aux parloirs, un détenu devra franchir une multitude de grilles et passer par quatre sas sécurisés commandés par des surveillants postés dans des kiosques protégés : le premier à la sortie de l’unité d’hébergement, le second à la sortie du quartier, le troisième au niveau des zones d’activités communes à l’établissement et le dernier à l’entrée de la zone des parloirs. À chaque fois, un contrôle d’identité sera opéré. Ces kiosques, complètement fermés et rendus opaques par des vitres sans tain, doivent également servir à « la surveillance constante » des détenus. A cette fin, ils sont dotés d’écrans de vidéosurveillance, des caméras étant postées dans toutes les espaces de la détention.

Ma cellule est au premier étage, l’architecture empêche toute vision au loin. J’ai calculé que la distance de vision la plus grande est de moins de 10 mètres. Centre pénitentiaire de Réau, personne détenue au quartier maison centrale, 29 mars 2012

Déshumanisation et tensions

Le cahier des charges de ces futures prisons témoigne de la conception défensive de la sécurité dont font preuve l’administration pénitentiaire et l’APIJ. « Tout est fait pour séparer les détenus des uns des autres, pour les maintenir à une distance de protection, et les séparer des uns des autres (1) », expliquent des chercheurs. Il s’agit de « maintenir un rapport de force » qui permette « de garder le contrôle » en empêchant les détenus de se créer « un espace de parole et d’action en commun » et ainsi « de devenir une puissance d’action » pouvant déstabiliser l’institution. Poussée à l’extrême dans les nouveaux établissements – au niveau de l’organisation spatiale et du recours à des dispositifs automatisés de sécurité – cette approche aboutit à une forte diminution des contacts humains. Les établissements du programme « 13 200 places » mis en service à partir de 2007 ont été conçus sur un modèle similaire et les acteurs du monde carcéral ont pu d’ores-et-déjà en constater les effets. « La haute-technologie est présente partout, télévisions et caméras de surveillance s’invitant dans tous les recoins des prisons. L’univers carcéral se déshumanise complètement. Les structures sont bétonnées, ultra-sécurisées, sans aucune proximité. Les caméras et interphones amènent le personnel à limiter ses contacts avec les détenus. Chacun est de plus en plus isolé (2) », peut-on entendre du côté des personnels pénitentiaires. Même son de cloche du côté des détenus : « Tout est automatique. Vous ne voyez presque plus de surveillants. Vous passez devant des postes de contrôle aux vitres sans tain. Eux vous voient. Vous, vous ne les voyez pas. Il y a des interphones, ils ne se déplacent plus (3) », « on remplace les surveillants par un système de badges et de bips devant les portes. On a l’impression d’être parqués dans une cage… Beaucoup se sentent cassés par la structure (4) ».

De telles conceptions architecturales conçues pour accroître la sécurité semblent en réalité accroître les incidents. Ces établissements « génèrent des tensions, et donc des échecs multiples, incomparablement plus fréquents (5) » que dans d’autres, estime le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. « Il y a dans ces prisons une multiplication des frustrations, et par conséquent un accroissement inévitable de l’agressivité, engendrant violence contre soi et contre autrui (6) ». Le tout étant lié à la perte de « la relation humaine entre les surveillants et les détenus (7) ». De nombreux personnels pénitentiaires appuient ce constat : « L’humain, les contacts entre personnels et gardés, c’est ce qui nous a toujours permis » de « désamorcer les conflits naissants (8) ». Lorsqu’il y a moins de contacts et de possibilités de dialogue, les surveillants ne sont plus perçus par les détenus comme « des interlocuteurs, des personnes avec qui on a quelque chose à échanger » mais comme « des fonctionnaires qui évitent le contact ». « Devenant plus exceptionnelle que naturelle », la rencontre se fait « souvent dans un climat de tension », puisqu’elle n’intervient que consécutivement « à des crises ou à des dérangements ». Détenus et surveillants se posent ainsi un peu plus « en groupes étrangers l’un à l’autre. Méfiant, chacun réduit l’Autre à un rôle de perturbateur, à celui qui risque à tous moments de créer des désagréments ». Il en résulte « une tension permanente […] immédiatement perceptible dans les manières de s’interpeller ou de se répondre (9) ».

A rebours des recommandations européennes

Cette conception défensive de la sécurité à laquelle s’accrochent les autorités pénitentiaires françaises se situe exactement à rebours des recommandations du Conseil de l’Europe. Celui-ci promeut un modèle de sécurité « dynamique », reposant sur le principe que « le bon ordre dans tous ses aspects » n’a « des chances d’être obtenu » que « lorsqu’il existe des voies de communication claires entre toutes les parties (10) ». Dans ce schéma, la sécurité passe notamment par le fait d’aménager la vie en prison « de manière aussi proche que possible des réalités de la vie en société », d’offrir aux détenus des possibilités de « faire des choix personnels dans autant de domaines que possible de la vie quotidienne de la prison (11) » et de favoriser la communication avec le personnel pénitentiaire : « lorsque le personnel et les détenus ont des contacts réguliers, un membre du personnel vigilant et bien formé sera plus réceptif à des situations anormales pouvant constituer une menace pour la sécurité ». En d’autres termes, la prévention des tensions et incidents passe, pour le Conseil de l’Europe, par le développement de canaux d’expression et de marges d’autonomie pour les détenus.

Et des « expériences étrangères montrent que cela est possible (12) », soulignent les sociologues Antoinette Chauvenet et Françoise Orlic. Tel est le cas notamment de l’expérience menée en Écosse au sein la prison de Barlinnie à partir des années soixante-dix. Les détenus les plus violents et les moins « adaptés » sont sélectionnés pour être transférés dans une unité spéciale, conçue pour enrayer le cycle infernal rébellion/répression. Les décisions concernant les règles de vie en détention sont prises en commun par les surveillants et les détenus. Ils prennent leur repas ensemble et participent à des activités communes. Chaque détenu est impliqué dans le traitement de ses propres difficultés avec l’aide d’un psychologue, mais aussi dans celles de ses codétenus. Les cellules aménagées par leurs occupants sont ouvertes et chacun peut circuler librement au sein de l’unité. Grâce à ce régime, « la violence a diminué de façon spectaculaire (13) ». Une étude réalisée à partir des dossiers de 25 détenus de la prison souligne que si leur comportement « était demeuré inchangé », il « se serait produit 105 attaques dans l’unité ». Or, « il n’y en au eu que deux (14) ». De même au niveau des « incidents » (tentatives d’évasion, prises d’otage, vandalisme, mouvements collectifs…). Sans changement, « il aurait dû se produire 154 incidents. Or, il ne s’en est produit que neuf ». Pour l’auteur, cela montre que les « caractéristiques d’un régime peut jouer sur le niveau de la violence dans les prisons » et que « l’absence de communication entre le personnel et les détenus a une influence puissante sur le comportement de ces derniers ». L’unité spéciale fut néanmoins fermée en 1994, car « les autorités finirent par considérer que ce régime semblait offrir une prime aux comportements difficiles, puisque les détenus “difficiles” qui s’y retrouvaient jouissaient de meilleures conditions que les détenus “tranquilles” (15) ». Mais cette expérience montre que « d’autres moyens que le tout surveiller et la neutralisation au quotidien peuvent fonder la sécurité (16) ».

Marie Crétenot

(1) A. Chauvenet, F. Orlic, « Une structure sociale défensive et labile » in La violence carcérale en question, GIP, « Mission de Recherche Droit et Jus- tice », janvier 2005.

(2) C. Verzéletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, Le JDD, 27 juillet 2010.

(3) A. Cangina, ancien détenu à la MA de Lyon-Corbas, Libération, 24 février 2010.

(4) Témoignage d’un détenu du CP de Nancy-Maxéville, octobre 2012.

(5) Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), rapport d’ac- tivité 2010.

(6) CGLPL, Le Nouvel Observateur, 10 mars 2010.

(7) CGLPL, rapport d’activité 2010.

(8) E. Chambaud, délégué syndical UFAP à la MA de Lyon-Corbas, 20minutes. fr, 10 mars 2010.

(9) P. Pottier, « Approche de la violence en établissement 13 000 » in Violences en Prison, département de la Recherche, ENAP, octobre 2005.

(10) Conseil de l’Europe, commentaire de la Règle pénitentiaire européenne n°49, 2006.

(11) Conseil de l’Europe, Rec(2003)23.

(12) A. Chauvenet, F. Orlic, « Sens de la peine et contraintes en milieu ouvert et en prison », Déviance et Société, Vol. 26, n°4, 2002.

(13) Ibid.

(14) D. J. Cooke, « La violence dans les prisons : le cas de l’Écosse » in La violence dans les prisons, le suicide chez les détenus et l’automutilation, Re- cherche sur l’actualité correctionnelle, Vol.4, n°3, 1992.

(15) S. Snacken, Prisons en Europe. Pour une pénologie critique et humaniste, Larcier, coll. « Crimen », 2011.

(16) A. Chauvenet, F. Orlic, op.cit. 2002.


Les usines carcérales déshumanisent le prisonnier et le personnel pénitentiaire

« L’architecture possède sa grammaire ; elle a un but et une signification. Dans les prisons dites modernes, la préoccupation première des gouvernements est la sécurité dite passive : pas de place pour l’humanité! Les personnels sont isolés et enclavés à l’intersection de plusieurs couloirs fermés par des grilles. Pris au piège. Piège de l’isolement, de la folie, de la violence accentuée par cette architecture digne des geôles de l’état-prison que sont les États-Unis. Les plafonds sont bas, la luminosité artificielle agresse la rétine, les grillages cerclant les fenêtres des cellules sont immondes et ne laissent pas passer l’existence de l’autre. Vision parcellaire en schéma caillebotis. Sensations d’étouffement. Angoisses accentuées par le fait que les usines carcérales sont implantées soit dans des zones industrielles, soit isolées du reste du monde : en dehors de la vie. Structures monstrueuses de 700 ou 800 places. Détresses amplifiées et vertiges de l’anonymat. De plus, les déplacements sont ralentis par les systèmes de sécurité. Dimension hors norme du temps. Ce n’est pas pour rien que l’administration pénitentiaire a interdit la diffusion à la télévision du documentaire «Le déménagement». Celui-ci montre bien que nouveautés et avancées technologiques ne signifient pas forcément mieux être et progrès. […] Si les anciennes prisons situées en centre ville permettent aux détenus d’être encore dans la vie et dans le temps, leurs architectures autorisent les personnels à ne pas être isolés dans leur coursive. […] Les structures ont une taille humaine. […] Ces nouvelles prisons dites modernes, dégradent les conditions de travail des personnels et les conditions de détention des personnes incarcérées. Et c’est bien dans les usines carcérales qu’il y a le plus d’agressions, de suicides: elles déshumanisent l’être et accentuent sa condition d’objet. […] Dans la mesure où les nouvelles structures accentuent le mal-être, elles ne peuvent être la vitrine de la modernité et du progrès. »

Céline Verzéletti, secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, Libération, 27 janvier 2012.

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