Comédien et musicien, Kemso est né et a vécu toute sa jeunesse en Île-de-France. Fleury-Mérogis, la Santé, Osny, Villepinte... La prison, il la connait depuis qu’il a vingt ans. Aujourd’hui âgé de trente-sept ans, il nous raconte son séjour au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly (Guyane) entre 2012 et 2015. Une détention rythmée par une violence omniprésente, mais durant laquelle il a renoué avec ses racines guyanaises.
« Du fourgon qui m’emmenait vers la prison, j’ai vu que ça commençait à être sauvage, des arbres, la forêt partout. Dès que la nuit tombe, les bruits, les cris des animaux, et des milliers d’oiseaux envahissent la prison. Les surveillants ayant pour consigne de leur tirer dessus, il y avait des cadavres d’oiseaux partout, et ça schlinguait vite avec la chaleur. À Rémire, les bâtiments et le personnel sont français, mais le mode de vie est sud-américain. C’est lié aux personnes qui y sont détenues, plus de la moitié sont des étrangers. C’est très violent, les gangs se font la guerre. À la sortie du dispatching, on parcourt un très long couloir, avec des cours de promenade de chaque côté. Je marchais avec mon paquetage, j’entendais des cris, des mots dans des langues que je ne comprenais pas. Premier jour dans cette prison et à peine entré, je sentais que je pourrais y mourir. En France, quand j’arrivais en prison, je cherchais tout de suite à savoir qui était là, des ennemis, des amis, mais là ça a été vite réglé, je ne connaissais personne. Pas d’amis, donc que des ennemis. Seul. Et si je pensais à la France, à mes enfants, à la mère de mes enfants, je devenais faible. J’ai grandi en regardant des films américains, des films de gangs, dont pas mal se passent en prison. Et là, j’y étais pour de bon. »
L’adaptation à Rémire
Pour survivre, il a fallu que je m’adapte très vite. En prison en France, tu contrôles tout avec le shit. Là-bas, je l’ai fait avec les clopes. Je n’avais pas de parloir, personne pour me ravitailler, mais j’avais des sous, et donc des clopes. On m’a proposé de me sucer, de baiser pour une cigarette, mais j’ai toujours refusé. Un truc m’a vraiment marqué : un mec peut être un vrai gangster, tuer un codétenu et à côté de ça il peut te sucer pour une clope. Et cinq minutes après, tu le vois prier avec la bible. Pour les clopes, je me faisais payer en nourriture, car manger la viande fournie par l’AP, c’est comme manger la semelle de mes groles. Je leur demandais de faire telle ou telle chose pour moi. À la fin j’avais une petite armée, on m’appelait Bader le français. Bad, Bader, le mauvais. J’ai réussi à avoir une cellule seul, j’avais ma radio, ma télé, mon ventilateur. Et des clopes. Tout le monde, surveillants compris, savait ce que je faisais. Je dérangeais, j’étais insolent avec les surveillants comme avec les détenus. Ils ne comprenaient pas qu’un mec qui arrive de huit mille kilomètres, qui ne parle pas le créole, arrive à contrôler des détenus alors qu’ils n’y arrivaient pas. J’étais tranquille car on me voyait soit comme une possibilité de business, soit comme une curiosité car je venais de France. Je m’asseyais avec les mecs et je leur demandais de me raconter la Guyane, le Suriname, le Guyana. Ils me parlaient dans leur langue, et je leur racontais Paris en français. Petit à petit j’ai appris de nouvelles langues, de nouvelles cultures.
Une violence omniprésente
Rémire, c’est ultra violent. Même les surveillants ont peur. Du côté des détenus il y a des morts tous les ans. J’ai tout de suite compris qu’il me fallait une arme pour me défendre. Physiquement et psychologiquement, il n’y a pas de répit, même la nuit. On ne choisit pas avec qui on est en cellule. La violence vient de partout, même de certains personnels. Un chef a été mis à pied pour violences sur un détenu. Entre détenus, l’essentiel se règle durant la promenade ou pendant la distribution de la gamelle. Les bonnes comme les mauvaises choses, le business comme les règlements de compte. La gamelle n’est pas distribuée en cellule : l’auxi * sert à manger en bas du bâtiment avec des grands bacs de riz, de viande et de légumes souvent mal cuits, posés sur un chariot. Ceux qui passent en dernier n’ont parfois rien. C’est une épreuve d’aller à la gamelle, mais il faut manger. Même ceux qui se cachent, qui ne vont pas en promenade, sont obligés de descendre. Et c’est le moment où les histoires se règlent. Si tu as des problèmes avec des mecs, tu es sûr de les croiser. Beaucoup y vont armés. Pour faire un sabre, Il faut casser la bordure du lit en métal, la plier, puis l’affuter. Avec mon codétenu, on a bloqué la porte de la cellule, puis on a retourné le lit. Il a fallu une matinée pour faire deux sabres et deux pics. Je sortais de la cellule torse nu, avec mes claquettes et ma serviette autour de la taille, pour aller à la douche. Je mettais le sabre sous la serviette en m’arrangeant pour qu’on en voie un bout. Les douches sont dans la cour de promenade. Je me lavais à poil, mon sabre posé sur le côté de la douche, face à la cour pour tout voir.
Le code de procédure pénale confisqué
Quand je signalais aux surveillants quelque chose qui n’allait pas, on me répondait souvent : « Tu n’es pas en France ici. » Alors je leur montrais un courrier de l’administration portant le drapeau bleu blanc rouge et la mention « République française ». Je pouvais être violent avec les détenus, mais avec les surveillants j’utilisais le droit : « Fais ton rapport, au prétoire il y aura mon avocat et on verra qui a raison ». Ça les énervait. Dans les rapports du Spip, on peut lire « meneur de gang », « toujours dans les échauffourées », « aucun effort de réinsertion », « prétentieux »… Avec la direction c’était différent, certains chefs étaient porteurs d’un peu d’humanité, d’espoir. Ils essayaient de faire quelque chose. Beaucoup de détenus viennent du Suriname, du Guyana, ou du Brésil. Pour eux, la vie à Rémire sera toujours meilleure que chez eux. Il y a à manger, la télé, on leur donne vingt euros pour l’indigence. Du coup, ils supportent un tas de choses qu’ils ne devraient pas subir. Ce qui doit changer en priorité à Rémire, c’est que la règlementation française devrait être appliquée par les personnels. Ils ne laissent pas les gars avoir accès à l’information sur leurs droits. Un jour, ils ont fouillé ma cellule et ont pris mon code de procédure pénale. Il y avait beaucoup d’autres choses dans ma cellule, des pics, du shit, mais on ne m’a pris que le code. Quand je l’ai réclamé, on m’a dit que je n’avais pas le droit de l’avoir en cellule. Pour la fouille à corps, je leur ai fait la guerre. On me demandait de me foutre à poil et de tousser, je refusais. Ils ont voulu me fouiller à quatre pattes, je n’ai pas accepté, on m’a amené au mitard mais je n’ai pas cédé. Le mitard est au dernier étage, il y fait au moins trente-cinq degrés et la nuit, ça caille. Rien à faire sauf une promenade d’une heure, dans une minuscule cour située sur le toit, remplie de merdes d’oiseaux.
Le manque d’activités et de perspectives
Depuis que je suis allé à Rémire, je parle ma langue. Je ne la parlais pas avant. J’étais le vrai petit Français. J’avais perdu mes origines. Mon séjour là-bas, je le prends comme une expérience de vie. J’y ai appris beaucoup de choses. J’ai appris ma culture. Il y a des mecs qui fabriquent de l’artisanat, des paniers par exemple, qu’ils ont appris à faire dans leur village. Il faudrait développer ce genre d’activités, c’est culturel. L’ornithologie aussi : la prison est au cœur de la forêt, on voit passer des oiseaux tous les jours. À force, on les connaît : on n’a tellement rien à faire que dès que possible on a les yeux rivés vers le ciel. On manque d’activités, de travail, de perspectives. J’ai voulu m’inscrire à l’école pour passer le temps, on me l’a refusé, parce que mon niveau était supérieur à ce qu’ils enseignaient. Ils n’avaient rien à me proposer.
Recueilli par François Bès
* « Auxiliaire » : détenu employé au service général de la prison.