Le 10 août 2011, une nouvelle loi réformant la justice des mineurs a été promulguée1 : la sixième en dix ans. Invoquant des jeunes de plus en plus délinquants, confortés dans leur « sentiment d’impunité » par le « laxisme des juges », les parlementaires ont rapproché encore un peu plus la justice des mineurs de celle des majeurs, notamment par la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs et l’instauration d’une procédure de jugement accélérée. La déconstruction de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante se poursuit.
A en croire le garde des Sceaux Michel Mercier, qui reprend là l’antienne de ses prédécesseurs, les jeunes d’aujourd’hui « ne sont plus les mêmes qu’hier ». Leur délinquance a triplé en trente ans, affirme le député Christian Estrosi lors de la présentation du texte à l’Assemblée nationale le 22 juin. Peu importe que ces chiffres soient régulièrement relativisés ou même démentis par les chercheurs et acteurs concernés.
Contre-vérités sur la délinquance des mineurs
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme remet les pendules à l’heure : les données relatives à la délinquance des mineurs « correspondent à des statistiques d’activité des services de police et de justice, et la seule conclusion dont on est certain est celle de l’augmentation de l’efficacité et de la réactivité de ces services »2. Laquelle répond à une volonté gouvernementale d’apporter une réponse systématique à « tout acte de délinquance commis par un enfant ou un adolescent ». Légende aussi que celle des magistrats laxistes : la justice des mineurs affiche un taux de réponse pénale (poursuites devant les tribunaux, alternatives aux poursuites ou composition pénale) de 93,9 % en 20103, chiffre en progression constante depuis plus de dix ans.
Le chercheur Laurent Mucchielli rapporte de son côté que les enquêtes de victimisation et de délinquance auto-reportées montrent une baisse tendancielle des infractions commises par les mineurs depuis le début des années 19904. Et les chiffres apportent un démenti catégorique à l’idée selon laquelle ils commettraient de plus en plus jeunes des actes de plus en plus violents. Analysant les statistiques du ministère de la Justice, L. Mucchielli souligne qu’« en 2009, la justice française a condamné 1 870 mineurs de moins de 13 ans pour des infractions pénales (essentiellement du vandalisme, des bagarres et des petits vols), ce qui ne représente que 3,4 % des mineurs condamnés et seulement 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées »5. Enfin, « si la délinquance des jeunes est un phénomène qui persiste, ceux-ci persistent rarement dans la délinquance » note le sociologue Nicolas Bourgoin. En « la concevant avant tout comme une inadaptation temporaire pouvant être corrigée par des mesures éducatives », le législateur de l’ordonnance du 2 février 1945 a, selon lui, vu juste6. Les Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile rappellent en ce sens que « le comportement ou la conduite d’un jeune qui n’est pas conforme aux normes et valeurs sociales générales relève souvent du processus de maturation et de croissance et tend à disparaître spontanément chez la plupart des individus avec le passage à l’âge adulte ». Et mettent en garde contre la tentation de « qualifier un jeune de “déviant”, de “délinquant” ou de “pré délinquant” », attitude qui « contribue souvent au développement chez ce dernier d’un comportement systématiquement répréhensible »7.
Juge des enfants, juge mineur
La loi du 10 août 2011 s’inscrit à l’inverse de tels principe en créant les tribunaux correctionnels des mineurs (TCM) qui, dès janvier 2012, seront chargés de tous les dossiers dans lesquels la peine encourue par un mineur récidiviste de plus de 16 ans est supérieure ou égale à trois ans – ce qui englobe de fait une très grande majorité des dossiers. Dans la perspective de l’ordonnance de 1945, un enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, qu’il convient de protéger et d’accompagner par des mesures prioritairement éducatives. C’est le rôle du juge pour enfants, qui assure la continuité de l’action judiciaire entre éducatif et répressif et garantit un accompagnement au long cours. L’enfant connaît « son » juge, et vice-versa8. Le tribunal correctionnel pour mineurs (TCM), par sa composition, enterre cette spécificité. Son président restera certes un juge des enfants, mais pas nécessairement celui qui a suivi le mineur qui comparait. Il sera entouré de deux assesseurs, qui peuvent être aussi bien des magistrats que des personnes issues de la société civile – ni formées, ni spécialisées. Les tribunaux pour enfants se trouvent ainsi dessaisis « des situations les plus complexes qui requièrent pourtant une adaptation réfléchie, concertée et souple de la réponse judiciaire »9.
Toujours plus rapide, toujours plus répressive
Entretenant la confusion entre la nécessité d’apporter une réponse rapide à un adolescent en dérive, et celle d’un jugement à bref délai, la loi introduit la possibilité de convoquer un mineur devant le tribunal, dès l’âge de 13 ans, directement par un officier de police judiciaire, sur instruction du procureur de la République, sans passage préalable devant le juge des enfants. Il faut pour cela que des investigations sur les faits ne soient pas nécessaires, et qu’une enquête de personnalité ait été effectuée au cours des douze derniers mois. Cette procédure de jugement accélérée, applicable y compris aux primo-délinquants, supprime la phase pré-sententielle, « pourtant extrêmement fructueuse pour engager un travail sur la prise de conscience, la mobilisation de l’environnement, l’élaboration d’un projet éducatif »10. Enfin, la lutte contre la récidive nécessitant, aux yeux du législateur, le recours accru à « une action éducative en milieu plus contraint »11, la loi du 10 août ouvre la porte à un fort accroissement des placements en Centres éducatifs fermés (CEF), en élargissant les conditions du contrôle judiciaire des mineurs de plus de 13 ans. « Cette modification » lit-on dans l’exposé des motifs, « permettra de placer [le mineur] dans un centre éducatif fermé », y compris s’il est primo-délinquant. Possibilité que le ministre de la Justice entend bien voir utilisée dans sa pleine mesure. Une circulaire du 2 décembre 201112 adressée à tous les procureurs leur demande « s’agissant des mineurs âgés de 13 à 16 ans pour lesquels la détention provisoire n’est pas possible […] de requérir leur placement sous contrôle judiciaire avec obligation de respecter les conditions d’un placement dans un centre éducatif fermé et ce, même si le mineur n’est pas connu des services de police ou de justice ». Le placement en CEF est aussi préconisé « lorsque sera envisagée une remise en liberté du mineur avec placement sous contrôle judiciaire, […] et ce, quand bien même l’intéressé ne serait ni réitérant ni récidiviste. » De quoi largement remplir les 20 nouveaux CEF prévus dans le projet de loi de programmation sur l’exécution des peines qui sera soumis au débat parlementaire en janvier 2012. En pâtira notamment la diversité des modalités de prise en charge des mineurs concernés, puisque « dans un souci d’optimisation des moyens existants », peut-on lire dans l’annexe du texte, « ces vingt centres éducatifs fermés supplémentaires seront créés par transformation de foyers d’hébergement existants ».
Claire Mangeard et Barbara Liaras
1. Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
2. CNCDH, avis sur la réforme de la justice pénale des mineurs, adopté le 23 juin 2011.
3. Ministère de la Justice, Les chiffres clés de la Justice, 2011.
4. Laurent Mucchielli, L’invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits, Librairie Arthème Fayard, 2011.
5. Laurent Mucchielli, Les mineurs délinquants menacent-ils la société française ?, 20 avril 2011.
6. Nicolas Bourgoin, La délinquance des mineurs : vrai enjeu politique, faux problème social, 6 décembre 2011.
7. Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile, points 5-e et 5-f., adoptés et proclamés par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990.
8. Le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision du 8 juillet 2011 que ce dispositif portait atteinte au principe d’impartialité des juridictions, et demandé une mise en conformité d’ici au 1er janvier 2013.
9. Association des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), Avis sur le projet de loi sur la participation des citoyens à la justice pénale et le jugement des mineurs… ou comment faire échapper l’enfant à son juge, juin 2011.
10. AMJF, op. cit., juin 2011.
11. Exposé des motifs de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011.
12. Circulaire relative aux mesures de contrainte visant à prévenir la réitération d’actes graves par des mineurs, 2 décembre 2011.
EPM : l’utopie disciplinaire
« L’EPM réaliserait-il, par une ruse de l’histoire, l’utopie disciplinaire ? » Une étude portant sur les établissements pour mineurs met en évidence le « formidable système de contrainte » auquel sont soumis les mineurs qui y sont détenus. La qualité de la « prise en charge globale » du mineur, fondée sur la volonté de prendre en compte la complexité des parcours délinquants, de ne pas réduire un jeune à son statut de détenu, devient dans ces établissements dépendante de la connaissance et de la maîtrise de « l’ensemble des faits et gestes, des pensées et projets des détenus ». Impliquant l’administration pénitentiaire, la Protection judiciaire de la jeunesse, l’Éducation nationale et l’hôpital public, ce processus aboutirait à une forme de « re totalitarisation » selon les auteurs. Le jeune, confronté à des « logiques d’action hétérogènes » de la part des différentes institutions intervenantes, est constamment soumis à surveillance, objet d’observations consignées dans un cahier électronique de liaison et sur-sollicité. Là où, dans les quartiers mineurs, « l’impératif sécuritaire est prépondérant et omniprésent », et « réduit de nombreux jeunes à une situation d’abandon », les mineurs en EMP sont exposés à une forme de « suractivité », qui découle notamment des attentes des différents protagonistes. Il n’empêche, « il en va de l’EPM comme de la prison en général: structurellement, dans un tel microcosme, le faux-semblant est roi et le pouvoir d’inculcation des normes sociales douteux ».
Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE), Les prisons pour mineurs, Controverses sociales, pratiques professionnelles, expériences de réclusion, étude dirigée par Gilles Chantraine, juillet 2011.