Contrôler l’organisation du travail dans un univers où le droit du travail n’est pas reconnu : tel est le paradoxe auquel l’inspection du travail doit faire face en prison. Quels sont dès lors, le champ et les limites de son action ? Décryptage avec Caroline Mandy, docteur en droit public, chercheur en droit du travail.
La mission de l’inspecteur du travail s’exerce-t-elle de la même manière en prison qu’à l’extérieur ?
Ses prérogatives sont assez limitées en prison. D’abord, la mission de l’inspecteur du travail est circonscrite au seul champ des règles d’hygiène et de sécurité. Ensuite, la circulaire du 16 juillet 1999 place son intervention sur le terrain du conseil, plutôt que du contrôle. Il n’a aucun moyen d’injonction. Il adresse ses constats à la direction de l’établissement. Elle a ensuite deux mois pour répondre, quinze jours si l’inspecteur considère qu’il y a un danger grave et imminent pour les travailleurs. Clairement, le délai de deux mois est rarement respecté. En revanche, dans l’établissement que j’ai pu observer, les directeurs prenaient en compte les remarques et agissaient pour corriger les problèmes, exigeant par exemple de la part des concessionnaires que des machines jugées dangereuses soient condamnées ou réparées.
Et si ces remarques ne sont pas prises en compte, dispose-t-il de moyens de contrainte ?
L’inspecteur n’a pas toutes les armes dont il dispose habituellement, comme le procès-verbal, avec éventuellement risques de pénalité, des mises en demeure intimant de se mettre en conformité avec la loi… Si les suites proposées ne sont pas satisfaisantes, tout ce qu’il peut faire, c’est saisir la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, qui saisira elle-même la direction régionale des services pénitentiaires compétente. Pour les concessionnaires privés, il a un peu plus de prise et il peut tout à fait mettre un procès- verbal. Mais au final, l’inspecteur va surtout être dans la discussion et la négociation.
Sa marge de manœuvre est-elle aussi limitée lors de ses contrôles ? Concrètement, comment se déroulent ses visites dans cet univers contraint ?
Normalement, l’inspecteur du travail peut contrôler n’importe quelle entreprise sans prévenir et de façon complètement libre. En prison, ce n’est pas lui qui a la main. La circulaire de 1999 exige du directeur d’établissement qu’il saisisse l’inspection de manière « systématique et régulière », soit une fois par an. Elle est par contre silencieuse sur les possibilités d’auto-saisine, si le chef d’établissement oublie de l’inviter ou si des plaintes sont transmises à l’inspecteur. Et dans tous les cas, il a l’obligation de prévenir la direction de sa venue, ce qui, pour ce corps professionnel, est très étonnant. Ensuite, l’inspecteur ne peut pas avoir accès aux plans de la prison et a l’obligation d’être accompagné. Conséquence : ce sont les personnels pénitentiaires qui décident où ils l’emmènent, or, ils n’ont pas forcément en tête ce qui peut être inspecté – je pense notamment aux cellules-atelier ou aux cuisines, qu’ils considèrent plus comme un lieu de vie des détenus que comme un lieu de travail. Et s’ils ne veulent pas montrer un atelier, l’inspecteur n’a aucun moyen de savoir qu’il existe, et donc d’exiger de le voir.
Rencontre-t-il d’autres difficultés dans l’exercice de ses prérogatives ?
Je pense que malgré toutes ces limites, le principal obstacle au travail d’inspection, c’est la désinformation : beaucoup d’agents ne savent pas qu’ils peuvent aller faire des contrôles en prison. Autre difficulté : le travail de prévention exige de l’inspecteur qu’il demande au travailleur de s’astreindre à porter un équipement individuel. Et là, clairement, il y a des blocages : un détenu qui est déjà soumis à des contraintes en permanence ne supporte pas forcément qu’on vienne encore lui dire « tu es prié de mettre un masque, des lunettes ». C’est aussi un domaine sur lequel les surveillants transigent facilement : dans un contexte relationnel parfois tendu, certains ont du mal à asséner de nouvelles injonctions, alors qu’ils en ont déjà tant à imposer. L’inspecteur est alors face à un dilemme car, à un moment, la seule réponse qu’aurait l’administration pénitentiaire, ce serait de prendre une sanction à l’encontre du détenu récalcitrant et, par exemple, de le déclasser parce qu’il n’aura pas voulu porter son équipement.
Propos recueilli par Laure Anelli et Cécile Marcel