27 février 2019, 9 h : le député Insoumis Ugo Bernalicis se présente à la porte de la prison de Paris-La Santé. La visite parlementaire, annoncée la veille, intervient un mois après sa réouverture. Téléphone fixe en cellule, gymnase et unité sanitaire flambant neuve… Après quatre ans de travaux, la prison est présentée comme un modèle de confort offert aux détenus. Mais lorsque le député demande à ouvrir une cellule, choisie au hasard, le tableau s’assombrit. Alors qu’il interroge son occupant sur ses conditions de détention, ce dernier s’adresse aussitôt à la directrice : « Madame, on a faim, il n’y a pas assez à manger ». Un peu gêné, l’homme d’une quarantaine d’années explique être « indigent » et donc sans possibilité de cantiner pour améliorer l’ordinaire de la gamelle. Il ajoute que d’autres détenus se plaignent des faibles quantités de nourriture. Un récit qui fait écho à d’autres témoignages reçus par l’OIP depuis la réouverture de l’établissement. De février à début juin 2019, plusieurs personnes incarcérées à la Santé ont en effet rapporté manquer de nourriture. Pendant la même période, des membres de l’équipe médicale ont reçu des alertes similaires. « Le sujet principal, quand on discute avec les patients, c’est la gamelle : ils crèvent tous la dalle », témoigne un soignant. Certains praticiens, présents lors de la distribution de repas, auraient eux-mêmes été surpris par les portions « congrues » des gamelles, désormais servies à la louche (le système de bacs gastronormes ayant remplacé celui de barquettes). Depuis la réouverture de la prison, le service de restauration, que l’administration a délégué(1) à la société Gepsa, a été sous-traité à un autre prestataire : Eurest. En réaction à plusieurs témoignages de personnes se plaignant de rations insuffisantes, l’équipe du Contrôle général des lieux de privation de liberté a saisi la direction de La Santé – mais n’a pas reçu de réponse à ce jour.
Le sujet principal, quand on discute avec les patients, c’est la gamelle : ils crèvent tous la dalle.
Détenus et soignants rapportent aussi des problèmes dans le système de cantines(2) : en raison d’un fonctionnement complexe, de nombreuses personnes rencontreraient des difficultés à passer commande. Les non-francophones, rarement aidés par des traductions et souvent très précaires, seraient les plus touchés. Certaines personnes détenues évoquent aussi des produits reçus avec du retard, ou des commandes payées en totalité qui arriveraient incomplètes. Contactée à plusieurs reprises, la direction de l’établissement n’a pas répondu officiellement aux questions de l’OIP. Tout au plus a-t-on appris qu’un « audit surprise » du service de restauration aurait été mené par la direction interrégionale des services pénitentiaires. Malgré nos demandes, les résultats de cet audit ne nous ont pas été communiqués.
par Sarah Bosquet
(1) Dans le cadre d’un contrat de gestion déléguée.
(2) La cantine désigne la possibilité pour un détenu d’acheter des produits de la vie courante, dont de la nourriture en complément de celle fournie par l’administration pénitentiaire.