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Déconfinement et reprise des parloirs : au-delà de 100 kilomètres, le flou

La visite au parloir à un proche détenu constitue-t-il, ou non, un « motif familial impérieux » permettant de déroger à l’interdiction de déplacement au-delà de 100 kilomètres ? Plus de dix jours après la reprise des parloirs, les autorités n’ont toujours pas tranché la question, laissant des milliers de personnes dans le flou, et la proie à l’arbitraire. Madame B. en a fait les frais : contrôlée sur la route du parloir le 16 mai, elle a été verbalisée et a dû renoncer à voir son compagnon incarcéré.

Madame B. vit en région lyonnaise, à 480 kilomètres du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau où son mari est détenu. Depuis la mi-mars et la suspension de tous les parloirs, elle n’a pu lui rendre visite. Les parloirs ayant repris le 11 mai, Madame B. prend rendez-vous pour le samedi 16. Munie d’une attestation indiquant que son déplacement de plus de 100 kilomètres est justifié par un « motif familial impérieux », elle prend la route. Car si rien n’est précisé à ce sujet dans la note de l’administration pénitentiaire relative aux conditions du déconfinement en prison, interrogée sur la plateau de France Inter dix jours auparavant[1], la ministre de la Justice avait expliqué que la visite au parloir de proches incarcérés pourrait constituer une « dérogation » à la limite géographique des 100 kilomètres fixée par décret le 11 mai 2020.

Alors qu’elle a parcouru environ 200 kilomètres, Madame B. est contrôlée par la gendarmerie. Elle présente ses documents d’identité, son attestation, ainsi que le certificat de présence de son conjoint fourni par l’administration pénitentiaire. Les fonctionnaires en charge du contrôle estiment pourtant que ces justificatifs sont insuffisants, et que la rencontre avec son compagnon ne s’apparente pas à « un motif familial impérieux », ce dernier n’étant « pas en train de mourir ». Madame B. est alors contrainte de rebrousser chemin, et écope d’une amende de 135 euros. La direction de l’établissement pénitentiaire, qu’elle contacte le jour-même pour signaler les faits, lui confirme qu’en effet, l’évaluation de la crédibilité du motif est à la discrétion des personnes en charge du contrôle.

L’histoire de Madame B. n’est pas un cas isolé. Depuis l’annonce de la reprise des parloirs le 11 mai, l’OIP est quotidiennement saisi par des proches de personnes détenues qui n’arrivent pas à savoir si la limite de 100 kilomètres s’impose aux personnes dont le proche est incarcéré dans une prison hors de ce périmètre. Face à la place laissée à l’arbitraire des agents et aux risques de contravention, de nombreuses personnes renoncent aux parloirs – et les diffèrent à une date encore inconnue. Le droit au respect de la vie privée et familiale est pourtant un droit fondamental consacré par la loi pénitentiaire et la Convention européenne des droits de l’homme et reconnu comme « indispensable pour lutter contre les effets néfastes de l’emprisonnement »[2]. En 2017, une enquête publiée par l’Uframa[3] avait montré que 22 % des personnes ayant un proche détenu résident à plus de 100 kilomètres de la prison dans laquelle il est incarcéré. « Une proportion encore plus importante dans les établissements pour peine : en centre de détention, plus d’une personne sur trois parcourt au moins 100 kilomètres pour rendre visite à son proche. En maison centrale, c’est une sur deux ; et pour une personne sur cinq, la distance dépasse même les 300 kilomètres. »[4]

Interpellée par l’OIP sur l’absence d’informations claires sur ce point, la direction de l’administration pénitentiaire avait, dans une réponse du 16 mai, renvoyé la balle au ministère de l’Intérieur, assurant l’avoir « saisi de cette question ». Sur la plateforme de tchat mise en place par la police nationale, on répond que, selon  la position officielle de la Direction générale de la police, les proches d’un détenu incarcéré hors département et à plus de 100 km peuvent aller le voir « après avoir pris attache avec l’établissement pénitentiaire pour s’assurer que les visites sont autorisées. La personne devra être en possession d’un permis de visite ». Et on indique que les personnes verbalisées ne doivent pas payer l’amende et en faire une contestation. Une position qui mériterait d’être officialisée auprès de l’ensemble des agents concernés, et largement communiquée aux proches et familles des personnes incarcérés.

Contact presse : François Bès · 06 64 94 47 05

[1] France Inter, 7 mai 2020, invitée de 8h20 : « Sur la question de la distance, dans la mesure où il s’agit d’un rapprochement familial singulier, il me semble qu’on pourra avoir là une dérogation. »

[2] Règles pénitentiaires européennes.

[3] Union nationale des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de proches de personnes incarcérées

[4] OIP-SF, « Des kilomètres d’usure », Dedans Dehors n° 102, décembre 2018 https://oip.org/analyse/des-kilometres-dusure/

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