Petits mondes en vase-clos caractérisés par la promiscuité, les prisons pouvaient vite se transformer en foyer épidémique. Les unités sanitaires, en première ligne pour éviter la catastrophe, ont dû mettre en œuvre des protocoles parfois difficilement applicables.
Fin février 2020, alors que l’épidémie semble s’installer en France et que le stade 1 est enclenché par le gouvernement, les directives du ministère de la Santé se font attendre, contraignant les unités sanitaires à naviguer à vue, parfois avec l’aide des agences régionales de santé. « Nous n’avons pas de consigne nationale, chacun bidouille dans son coin », déplore, le 2 mars, un médecin d’une maison d’arrêt d’Île-de-France. « Si le virus entre en détention, on va faire incubateur », s’inquiète-t-il.
Les premières consignes du ministère de la Santé aux unités sanitaires arriveront finalement le 5 mars, et concerneront les « personnes détenues passées par une zone de circulation active du virus »(1) ; à ce moment-là, il s’agit avant tout de se préparer à accueillir de nouveaux arrivants potentiellement contaminés. Dans cette note, il est notamment demandé aux unités sanitaires de commencer à constituer « un stock de matériel et d’équipements de protection ». Une mission impossible à remplir les premières semaines, la pénurie touchant les hôpitaux affectant de la même manière les unités sanitaires.
À partir du 17 mars, date du déclenchement du stade 3 de l’épidémie, le ministère de la Santé, prévoyant que « la survenue de cas de contamination à l’intérieur [des prisons] ne sera pas totalement inévitable »(2), renforce ses consignes aux unités sanitaires. Il faut dire que si « le caractère confiné de la prison par rapport au milieu extérieur a retardé l’apparition des premiers cas », certains commencent à être identifiés « dans une petite minorité des établissements pénitentiaires ». Les unités sanitaires sont alors priées de réorganiser leurs activités pour se concentrer sur « le repérage, le diagnostic, le confinement et la prise en charge des personnes infectées, avec une « vigilance renforcée » envers les arrivants(3). Parallèlement, mission leur est donnée « d’identifier et signaler les personnes à risque », et notamment celles qui pourraient être mises en liberté en raison de leur état de santé (lire l’encadré ci-dessous). Une demande qui nécessite un redéploiement de leurs activités et qui ne se fera pas sans difficultés, nombre d’unités sanitaires étant confrontées à une baisse de leurs effectifs. Et qui ne sera pas sans conséquences pour les personnes détenues, les activités médicales hors- Covid ayant été réduites à peau de chagrin (lire encadré ci-dessous).
Prévention et gestes barrières
Si les parloirs et les activités impliquant des personnes extérieures ont été suspendus, le risque de voir entrer le virus n’a pas disparu pour autant, que ce soit à la faveur de nouvelles incarcérations ou des entrées quotidiennes des personnels de surveillance et des soignants. Mais avec la pénurie de matériel, il est difficile, les premières semaines, de faire face au risque. La situation commence toutefois à s’améliorer à la toute fin du mois mars. L’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) relève, dans une enquête(4) réalisée en avril, que le port du masque est systématique dans 90 % des unités sanitaires ayant répondu. Dans la région de Lille, 80 % des soignants en unité sanitaire déclarent porter des masques « tout au long de leur poste » et 20 % « uniquement au contact avec les patients ».
De concert avec l’administration pénitentiaire, une partie de l’activité des équipes soignantes a également été consacrée à l’information des personnes détenues sur les risques de contamination et l’importance du respect des gestes barrières. Des affiches ont été placardées en détention, et des documents d’information diffusés aux détenus, soit en cellule, soit au sein des unités sanitaires. Tout contact avec les personnes détenues, que ce soit en consultation, ou lors de la distribution des traitements en cellule, devait être mis à profit pour les informer et répondre à leurs questions. Des sessions d’information par petits groupes ou, dans certains établissements, en cour de promenade, ont été co-organisées par les unités sanitaires et l’administration pénitentiaire (lire l’encadré). Néanmoins, en l’absence de politique sanitaire générale claire, les soignants ont parfois eu des difficultés à apporter des réponses étayées et rassurantes aux personnes détenues – en particulier sur la question des dépistages ou celle des masques (dont les détenus ont été privés), ou encore sur les distances de sécurité, parfois impossibles à respecter en détention.
Arrivants et cas-contact isolés en quatorzaine
Les directives prévoient que dès leur incarcération, les personnes soient placées en confinement. Un isolement de quatorze jours « respecté dans l’ensemble des centres pénitentiaires », relève l’ASPMP dans son enquête, « à l’exception d’Arras, où la direction pénitentiaire a décidé de diminuer cette durée à huit jours » – un constat qui semblerait toutefois ne plus être d’actualité. Les consultations médicales des arrivants se déroulent dans leur cellule et sont prioritairement axées sur le repérage d’éventuels cas de contamination. La température de la personne est systématiquement relevée, et des informations sur la nécessité d’alerter l’unité sanitaire si des symptômes évocateurs apparaissent leur sont données. Pour les personnes arrivant d’une zone de circulation du virus, les consignes ministérielles prévoient que la température soit prise matin et soir, « et à la demande du patient ou du personnel pénitentiaire en cas d’apparition de symptômes ». Également placées en quatorzaine seuls en cellule, les personnes détenues ayant été en contact avec un codétenu ou un membre du personnel testé positif font théoriquement l’objet d’un suivi quotidien, afin de détecter l’éventuelle apparition de la maladie. Les arrivants comme les cas-contact, s’ils n’ont pas développé de symptômes à l’issue de la quatorzaine, regagnent la détention ordinaire.
Le suivi des personnes confinées
Dès le 27 février, il a été demandé au personnel pénitentiaire de se montrer « attentif aux signes cliniques » que les personnes détenues pouvaient présenter et d’en référer « sans délai » à leur hiérarchie ainsi qu’aux cadres de l’unité sanitaire ou, en dehors des heures d’ouverture de cette unité, au centre 15(5). Les personnes sont alors placées seules en cellule dans l’attente d’un avis médical. Ce confinement, ajouté à la rupture totale des liens avec l’extérieur à la mi-mars, a conduit certains détenus à ne pas se signaler aux services de santé, alors qu’ils commençaient à présenter des symptômes, rapportent certains soignants. Ce n’est qu’à l’aggravation de leur état qu’ils ont été identifiés.
La DAP prévoit que lorsque plusieurs personnes sont identifiées dans la même prison, elles soient « regroupées au sein d’un même secteur de détention » pour faciliter la prise en charge. Une mesure pas toujours mise en place, comme le signale le médecin d’un centre pénitentiaire. « À la maison d’arrêt, l’infirmière passe deux fois par jour au quartier dédié aux personnes suspectées d’être atteintes de Covid, elle prend les constantes, la température. Au centre de détention, c’est plus compliqué parce qu’il n’y n’a pas de zone dédiée, il faut aller dans chaque cellule. » En outre, la séparation des autres détenus n’est pas toujours totale, comme le signale un détenu de la maison d’arrêt de Bonneville : « On sort en promenade division par division, mais on partage la même cour, je crains la contamination : on ne sait pas si les cabines et le mobilier de la cour sont désinfectés entre chaque promenade. » La suroccupation des prisons étant toujours de mise dans bon nombre d’établissements malgré les mesures de libération, l’encellulement individuel n’a pas pu être assuré partout, même pour les détenus censés être confinés. Dans ces cas-là, le ministère préconise qu’une séparation d’« un mètre entre chaque lit » soit respectée, et que les détenus dorment « en alternance tête/pieds »… Selon le ministère de la Santé, ces cellules « doivent bénéficier d’un renouvellement régulier d’air naturel ». Une consigne parfois difficile à appliquer, comme le signale une personne détenue dans une maison d’arrêt ancienne et vétuste : « La fenêtre de la cellule est en hauteur et on ne peut pas l’ouvrir. »
Lorsque les personnes présentent un « tableau clinique évocateur de Covid-19 », le ministère de la Santé(6) prévoit qu’elles soient testées. Une recommandation qui, là encore, peine à être appliquée en certains endroits, faute de matériel dans les hôpitaux de rattachement. Si le test est négatif, le médecin peut décider de poursuivre l’isolement, « notamment s’il s’agit d’un cas contact ou d’un arrivant à moins de quatorze jours ou s’il suspecte la possibilité d’un “faux négatif” au regard du tableau clinique », précise le ministère. Si le test s’avère positif mais que son état ne nécessite pas une hospitalisation, la personne reste confinée et continue d’être prise en charge en détention, avec « un passage infirmier quotidien et une évaluation médicale autant que de besoin ». Quarante-huit heures après la disparition des signes cliniques, l’unité sanitaire informe la direction de l’établissement de la fin de l’isolement.
La délicate question des hospitalisations
L’hospitalisation de personnes détenues malades doit être décidée selon les mêmes critères que « ceux appliqués à la population générale », rappelle le ministère de la Santé dans sa note du 6 avril 2020(7). Pour celles dont la situation ne relève pas de la réanimation, l’hospitalisation, prévue en UHSI (unité hospitalière sécurisée interrégionale) afin d’éviter la mobilisation de gardes statiques (obligatoires pour les chambres sécurisées des hôpitaux de rattachement), se révèle parfois impossible. Il arrive en effet que les chambres d’UHSI soient déjà utilisées pour la prise en charge de patients à risque, notamment immunodéprimés, ou ne soient pas équipées d’un système de circulation d’air constamment renouvelé. Dans ce cas, le ministère préconise « la recherche d’une solution alternative en lien avec les ARS et les DISP », sans donner plus de précisions.
Si la réanimation est nécessaire, le patient est orienté vers un service hospitalier dédié au Covid-19. Pour l’Île-de- France, un tel secteur, d’une dizaine de lits, a été créé à l’hôpital de Fresnes (EPSNF) afin d’éviter le placement à l’UHSI de la Pitié-Salpêtrière censée accueillir les personnes fragiles vulnérables et celles nécessitant d’autres soins. Mais le manque d’équipements pour effectuer des soins critiques et l’absence d’un service de réanimation à proximité a conduit certaines unités sanitaires à ne pas y envoyer leurs malades. Aussi celui-ci a-t-il surtout accueilli des personnes vulnérables non atteintes, présentant un état de santé dégradé. Début avril en Île-de-France, huit personnes étaient hospitalisées à l’EPSNF et trois dans des services de réanimation de la région. C’est à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre qu’un homme détenu à Fresnes était décédé, le 16 mars, du Covid-19. Il avait 74 ans.
Par François Bès
Des soignants mobilisés pour l’information et la prévention
En ces temps de crise, certaines directions d’établissements n’ont pas ménagé leurs efforts pour améliorer la communication à l’égard des détenus. À la maison d’arrêt de La Santé ou dans celle de Varces, des réunions d’information avaient ainsi lieu toutes les semaines. Pendant une à deux heures, les personnels de direction ont pu échanger avec de petits groupes de détenus triés sur le volet (jugés capables de diffuser des informations à leurs codétenus et d’en faire remonter à la direction). Dans certaines prisons, les soignants ont été associés à ces réunions d’information, comme à la maison d’arrêt de La Santé. Dans cet établissement, l’équipe soignante a même tenté de mettre en place un créneau de permanence téléphonique pour que les personnes détenues puissent poser des questions sur l’épidémie. « Cela n’a pas pu être fait, faute de financement pour le numéro vert, malgré mes demandes à la direction de l’hôpital et de l’ARS », regrette Benjamin Silbermann, médecin chef de l’unité sanitaire de la Santé.
Des réunions d’information ont aussi été organisées à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis en présence des soignants, à l’invitation du directeur. « Il n’y avait qu’une dizaine de personnes, mais ça a permis d’aller au fond : qu’est-ce que cette épidémie, quelles mesures nous allions mettre en place pour lutter contre, etc. », raconte Anne Lécu, médecin dans l’établissement. Dans cette prison, l’équipe soignante a aussi proposé, au début et à la fin du confinement, des réunions dans la cour de promenade. « C’était la première fois que nous faisions cela, explique Anne Lécu. Nous sommes descendus à trois, avec le psychiatre et le directeur de la maison d’arrêt pour femmes, pour parler des premières mesures de prévention, des gestes barrières, expliquer comment on allait se réorganiser pour les traitements, etc. Il y avait une cinquantaine de détenues. Elles avaient beaucoup de questions très pertinentes. Dans le fond, l’idée de ces réunions était aussi de dire aux femmes : “On ne vous laisse pas tomber, on est là.” »
L’équipe soignante de la maison d’arrêt de Nantes a, elle aussi, pris une part active à la communication interne et à la prévention, en participant, cette fois, aux briefings hebdomadaires des gradés. « On répondait à leurs questions sur le port du masque, le Covid en général », raconte le Dr Giaume. Des réunions dont les retombées ont parfois été très concrètes : « Avec les surveillants des parloirs, ces échanges ont permis des adaptations très simples, comme le recours à des sachets en plastique pour manipuler sans risque les cartes d’identité des visiteurs. Sur la question du gel hydro-alcoolique, on a pu travailler en collaboration avec la pénitentiaire pour décider des lieux les plus stratégiques où le mettre à disposition. » — par Sarah Bosquet
Des suspensions de peine pour raisons médicales peu prononcées
« Mon mari a de gros problèmes de santé, il a été opéré et il devait l’être à nouveau, mais depuis le Covid il n’a plus de suivi médical. Je voudrais qu’il sorte, mais la CPIP [conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation] m’a dit que pour un aménagement de peine, il fallait attendre après le confinement, que pour l’instant ils ne pouvaient rien faire… Mais mon mari a vraiment besoin de soins médicaux ! », se désespérait, à la mi-avril, la compagne d’un détenu. Les instructions des ministères de la Justice et de la Santé envisagent pourtant « au cas par cas », pour les personnes non atteintes par le Covid-19 mais présentant des pathologies les rendant vulnérables comme pour les personnes atteintes du coronavirus « relevant d’une hospitalisation », la mise en place de suspensions de peine pour raisons médicales*. Les unités sanitaires ont donc été sollicitées pour dresser la liste de leurs patients « vulnérables », que ce soit en raison de leur âge ou parce que souffrant d’une pathologie cardiaque ou pulmonaire, de diabète, d’obésité ou encore d’une pathologie psychiatrique. Charge aux soignants d’établir des certificats médicaux et de les transmettre aux services pénitentiaires d’insertion et de probation et aux juges de l’application des peines. «
Dès le début, explique un médecin, nous avons fait l’analyse de tous nos patients qui présentaient des comorbidités et s’avéraient à risque. Mais le magistrat s’est occupé prioritairement des cas les moins graves et a laissé traîner les autres… On a refait des certificats médicaux, mais les magistrats voulaient faire venir des experts, qui n’étaient pas disponibles. Ils demandaient des certificats qui attestaient qu’ils avaient attrapé le Covid. Il a fallu faire de l’explication de textes pour expliquer la fragilité de nos patients et les risques qui les menaçaient en cas de contamination. » Un avocat témoigne : « Mon client est atteint d’un cancer, il est en situation de déficience immunitaire. En plus, il souffre d’un trouble bipolaire et a été condamné pour des faits qui ont eu lieu un mois après sa sortie de l’hôpital psychiatrique. Il est libérable fin 2020. Il devait y avoir une expertise pour constater son état de santé mais à cause du confinement, elle n’a jamais été faite. J’ai fait une demande de suspension de peine mais la situation ne s’est toujours pas débloquée… » Autre difficulté : pour que la suspension de peine soit accordée, encore faut-il que la prise en charge adéquate puisse être organisée à l’extérieur. L’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire déplore ainsi la saturation de la plupart des services d’hébergement d’urgence et le fait que les structures médicales avec lesquelles les soignants travaillent habituellement pour l’accueil des patients sortant d’incarcération « n’accueillent plus actuellement ».**
En l’absence de données statistiques sur le nombre de personnes ayant bénéficié d’une suspension de peine pour raisons médicales, impossible de savoir dans quelle mesure les directives ministérielles ont été appliquées. Mais plus de trois mois après l’apparition de l’épidémie, force est de constater que les exemples de personnes éligibles à ces mesures n’en ayant toujours pas bénéficié sont nombreux.
* Ministère de la Justice, circulaire du 27 mars 2020 ; ministère de la Santé, fiche actualisée le 6 avril 2020.
** ASPMP, Résumé tour de veille des unités sanitaires en milieu pénitentiaire COVID-19, semaines du 13 au 19 et du 20 au 26 avril 2020
(1) « Mesure de prévention du coronavirus (Covid-19) pour les personnes détenues passées par une zone de circulation active du virus », ministère de la Santé et des Solidarités, 5 mars 2020.
(2) Organisation de la réponse sanitaire par les unités sanitaires en milieu pénitentiaire en collaboration avec les services pénitentiaires – Fiche actualisée le 17 mars 2020, ministère de la Santé et des Solidarités.
(3) Idem – fiche actualisée le 6 avril 2020.
(4) ASPMP, Résumé tour de veille des unités sanitaires en milieu pénitentiaire COVID-19, semaines du 13 au 19 et du 20 au 26 avril 2020.
(5) Note de la Direction de l’administration pénitentiaire du 27 février 2020.
(6) Op. cit.
(7) Op. cit.