Depuis 2020, les Centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) se multiplient sur le territoire. À travers des dispositifs variés, accessibles dans ou hors cadre judiciaire, ces derniers poursuivent un objectif : prévenir le passage à l’acte et la récidive.
« On ne peut pas prendre en charge et protéger efficacement les victimes sans prendre en charge les auteurs. Si on ne traite pas les racines de la violence de ces personnes, celle-ci se répétera, sur la même victime ou sur d’autres. » Ainsi Claire Robert-Haury, directrice générale de l’association ARSL, qui coordonne l’action des Centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) en résume-t-elle la raison d’être. Créés en 2020 dans la foulée du Grenelle contre les violences conjugales, les CPCA – une trentaine actuellement – ont pour objectif de structurer, harmoniser et visibiliser l’offre de prise en charge sur les différents territoires. « Il ne s’agit pas de centres d’accueil mais de lieux de ressources, qui visent à rassembler les acteurs clés travaillant autour des violences conjugales », précise Charlotte Besseau, chargée de mission sur les CPCA. S’il existe « autant de modèles que de CPCA », tous ont pour point commun de mettre en œuvre des actions de responsabilisation, comme les stages, « pour confronter les auteurs à leurs actes et leur faire prendre conscience des faits », et de proposer, en fonction des besoins individuels, un accompagnement psychothérapeutique, médico-social ou socioprofessionnel. Environ 13 900 personnes ont franchi la porte d’un CPCA en 2022, neuf fois sur dix sur orientation judiciaire, principalement dans le cadre d’une alternative aux poursuites ou d’une mesure de contrôle judiciaire dans l’attente d’un jugement, plus rarement dans le cadre d’un sursis probatoire ou d’un aménagement de peine. Les autres les ont intégrés dans une démarche volontaire, hors cadre judiciaire.
L’hébergement, un élément clé
En mars 2021, à Lorient, Monsieur A., 27 ans, ouvrier dans l’industrie agro-alimentaire, est interpelé pour des violences commises sur sa femme. À l’issue de la garde à vue, le procureur décide de placer Monsieur A. sous contrôle judiciaire dans l’attente de son jugement, en juillet. La mesure est assortie d’une interdiction de contact et de paraître au domicile. « C’était la première fois de toute ma vie que j’avais affaire à la justice. Je me suis retrouvé à la rue, du jour au lendemain. J’étais seul, je ne savais pas quoi faire. » Le service socio-judiciaire qui réalise l’enquête sociale rapide renforcée préconise une orientation vers le CPCA de Lorient, porté par l’association socio-judiciaire La Sauvegarde 56. Celle-ci le prend immédiatement en charge. « Lorsque je suis sorti du tribunal, Mme Guheneuf, la responsable, était là. Elle est allée récupérer quelques affaires chez moi et m’a amené dans un hôtel. Elle m’a sauvé. » « Les premières heures sont cruciales, explique Anita Guheneuf. Lorsqu’elles sortent de garde à vue, les personnes sont souvent en perte de repères et ne comprennent pas forcément l’interdiction de contact. Si elles ne sont pas prises en charge immédiatement, elles retournent au domicile. » Avec le risque que de nouvelles violences soient commises, ou que l’auteur soit incarcéré simplement pour avoir violé l’interdiction de contact.
L’association dispose ainsi de places d’hébergement d’urgence mais également de quelques appartements que les personnes sans point de chute peuvent occuper – moyennant participation financière – plusieurs semaines, voire quelques mois, le temps pour elles de trouver une solution. Mais qu’on ne se méprenne pas : « Le CPCA n’est pas un centre d’hébergement pour auteurs de violences conjugales. On raisonne à partir d’une demande, d’une volonté de mise au travail. Le logement n’est qu’un des éléments, une ressource à notre disposition pour stabiliser les individus et les inscrire dans un parcours », précise Erwann Besnard, psychologue coordinateur du CPCA lorientais. C’est lui qui reçoit les personnes pour un premier entretien visant à évaluer leurs besoins et leur positionnement, valider ou non leur intégration dans le dispositif et, le cas échéant, dessiner un plan d’action individualisé.
Accompagnement sur-mesure
Celui-ci peut comprendre l’engagement dans un groupe de parole sur huit séances ou la participation à un stage de responsabilisation – deux jours pendant lesquels des intervenants extérieurs viennent parler droits, victimologie, « cycle de la violence » et stratégies d’évitement. Les personnes peuvent aussi être accompagnées par la travailleuse sociale du service sur le volet administratif ou professionnel, ou encore être orientées vers des centres spécialisés dans la prise en charge des addictions. « La problématique addictive intervient dans une majorité des cas. Même si l’alcool par exemple, ne peut suffire à expliquer les violences, c’est un des facteurs à prendre en compte, l’élément souvent déclencheur qui permet leur expression », souligne Erwann Besnard. « Dans les cas où il y a des enfants, on peut aussi mettre en place un accompagnement à la parentalité avec des visites médiatisées. On ne s’interdit rien, dans les limites du cadre posé par la loi. L’idée de ce dispositif, c’est de s’adapter aux personnes : il y a autant de parcours que d’individus », complète la cheffe de service. Le plus souvent, une orientation vers un psychologue ou un psychiatre est proposée, lorsque celle-ci n’a pas déjà été ordonnée par le juge via une obligation de soins. Les centres médico-psychologiques étant saturés, l’association assure également des entretiens de suivi psychologique individuel, « pour amorcer une réflexion dans l’attente d’une prise en charge, ou bien pour travailler l’adhésion à un futur suivi, quand il y a une résistance ou une appréhension », précise Erwann Besnard. « Au CPCA, j’ai trouvé des gens avec qui parler de ce qui est arrivé. Ça m’a beaucoup aidé, sur tous les plans, témoigne Monsieur A. Le psy, quelqu’un qu’on ne connaît pas, nous ouvre à d’autres visions des choses. Maintenant, je dois assumer ce que j’ai fait, et vivre avec ça, c’est tout. »
L’accompagnement, qui n’a pas vocation à durer, s’étend sur quatre à six mois en moyenne. « En Bretagne, nous avons fait le choix de faire des CPCA des lieux de transition et de mobilisation, pas de prise en charge au long cours. Notre ambition est de mettre les gens au boulot, de lancer la machine. On ne résout pas la problématique de la violence conjugale en quatre mois, en revanche, on béquille suffisamment, on met le maximum de choses en place pour que le travail continue en dehors de nous », défend Jean-Michel Guillo, directeur de La Sauvegarde 56. L’ambition de l’association est aussi de jouer le rôle d’observatoire des besoins à combler, de lieu de réflexion sur les prises en charge à inventer.
Une soixantaine de personnes, parmi lesquelles quelques femmes, ont commencé un suivi au sein du CPCA lorientais en 2022, pour majorité dans le cadre d’une mesure judiciaire, qu’il s’agisse d’un contrôle judiciaire, d’une alternative aux poursuites, ou encore d’une peine de sursis probatoire ou d’un aménagement de peine. « Dans ces cas-là, on travaille en partenariat avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui fait le suivi des obligations judiciaires. Mais on insiste auprès des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour que l’inscription en CPCA ne soit pas présentée comme facilitant l’obtention d’un aménagement de peine pour ne pas biaiser l’adhésion. Cela demande un investissement, les personnes doivent être volontaires », souligne Anita Guheneuf. « La prise en charge en CPCA est indépendante de la sanction pénale, ajoute Jean-Michel Guillo. Elle peut se poursuivre au-delà d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis probatoire si nécessaire, et même hors de toute mesure judiciaire. Le CPCA est un outil au service des territoires, pas un outil de l’autorité judiciaire. » Aussi les personnes peuvent-elles être orientées par toutes sortes d’associations ou structures partenaires, ou même se présenter spontanément.
Y compris hors cadre judiciaire
Ils sont ainsi une douzaine à avoir intégré le centre dans une démarche volontaire. Comme cet homme évoqué par l’équipe qui, après un passage à l’acte violent qui n’a pas entrainé d’intervention policière, a pris de lui-même contact avec le CPCA. « Il disait avoir conscience de la gravité de son acte et vouloir être accompagné afin que cela ne se reproduise pas. Je l’ai appelé immédiatement et lui ai demandé s’il avait la possibilité de s’extraire du domicile pour quelques jours, le temps que la tension retombe, relate la cheffe de service. Il est allé chez ses parents. Lorsqu’on l’a reçu en entretien, nous avons été très transparents : nous lui avons dit que nous allions le prendre en charge, mais qu’on allait aussi prendre attache avec sa compagne pour l’informer de ses droits, de sa possibilité de porter plainte et de rencontrer une association de victimes. On ne peut pas travailler avec l’auteur sans à un moment considérer la victime. » Si cette dernière n’a pas souhaité déposer plainte, elle bénéficie désormais d’un suivi psychologique individuel (hors du CPCA), de même que les deux enfants qui étaient présents lors des faits. L’homme est également suivi par un spécialiste et, avec son épouse, s’est engagé dans une thérapie de couple. « On essaie de traiter la situation de violence sous tous les angles, de faire en sorte que tout se mette en route pour chacune des personnes impliquées », commente Erwann Besnard.
Il arrive aussi que l’association accueille des personnes sortant de détention qui n’ont pas pu bénéficier d’un aménagement de peine, hors de tout cadre judiciaire. « Pour Monsieur B., l’entretien d’admission, qui a eu lieu en prison, avait été un peu tendu. Ce qu’il voulait, c’était un logement. Il a fallu dix minutes pour lui faire comprendre que je n’étais ni agent immobilier, ni magistrat, que je ne travaillais pas non plus pour les services pénitentiaires et qu’il n’y avait pas d’admission automatique, qu’il fallait un engagement réciproque, raconte Erwann Besnard. Lorsque ma collègue est allée le chercher à sa sortie de prison, la première chose qu’il a dite c’est “merci d’être là, d’avoir tenu parole”. » « Ce monsieur avait déjà fait une première période en détention pour avoir frappé sa compagne, il était sorti et était retourné chez elle d’un commun accord. Il a été réincarcéré à la suite d’une dispute ; à sa sortie la deuxième fois, elle est carrément venue le chercher malgré l’interdiction de contact qui avait été prononcée. On savait que la situation risquait d’être à nouveau fragile s’il n’avait pas un logement où atterrir », explique Anita Guheneuf, soulignant « qu’il faut parfois rappeler à la victime les obligations de l’auteur ». « Ce genre de situation, où la victime vient rechercher l’auteur, n’est pas rare et pose la question de ce qui peut être entrepris parallèlement avec la victime. Il faut une mise au travail des deux », estime Erwann Besnard.
S’il est encore trop tôt pour tirer un quelconque bilan des CPCA, ailleurs, comme au Québec, aux états-Unis ou en Belgique, ce modèle a fait ses preuves. D’après une étude belge[1], le taux de récidive est de 9% après une prise en charge similaire[2] lorsque celle-ci est utilisée en alternative aux poursuites, 36% lorsqu’elle intervient dans le cadre d’une condamnation pénale en assortiment d’un sursis probatoire – un taux qui reste bien en deçà des 52% de récidive après une peine d’emprisonnement. Il suscite pourtant toujours des résistances du côté de certaines associations de victimes ou militantes féministes, certaines d’entre elles fustigeant notamment le coût des CPCA. Chaque structure bénéficie d’une subvention annuelle de plus de 150 000 euros, une somme prélevée sur le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, au détriment de la prise en charge des victimes, estiment certaines militantes[3]. Mais prise en charge des victimes et des auteurs s’opposent-ils forcément ? « Une part très importante des auteurs que nous prenons en charge a subi des violences dans l’enfance, ou grandi dans un environnement familial violent ; les auteurs d’aujourd’hui sont les victimes d’hier », rappelle Jean-Michel Guillo.
Par Laure Anelli
Cet article est paru dans la revue DEDANS DEHORS n°118 – avril 2023 : Violences faites aux femmes, la prison est-elle la solution ?
[1] Charlotte Vanneste, « La politique criminelle en matière de violences conjugales : une évaluation des pratiques judiciaires et de leurs effets en termes de récidive – Rapport final », Institut national de criminalistique et de criminologie, mai 2016.
[2] Prise en charge de l’association Praxis Asbl.
[3] Lire l’article de Sarah Brethes, « Prise en charge des auteurs de violences sexuelles : le retard français », Mediapart, 18 novembre 2022