Éditorial de la revue Dedans-Dehors n° 86
« Il faut remonter au XIXe siècle pour trouver des taux de détention plus élevés », peut-on lire dans le dernier Cahiers d’études de l’administration pénitentiaire*. Une personne pour 1 000 est incarcérée dans la France de 2014. L’anormalité du phénomène devrait alerter de toute part et les pouvoirs publics examiner les pratiques judiciaires à la loupe. Au lieu de cela, l’affaire est entendue : ils misent sur la stabilité du nombre de détenus (68 000 à l’horizon 2018, pour 67 075 au 1er janvier 2014). Et pour respecter l’encellulement individuel, ils cherchent comment adapter le nombre de places de prison à cet inéluctable avenir. Une criminalité galopante et sanguinaire expliquerait-elle cette perspective ? Euh, non. « Le nombre de détenus pour homicide est stable » depuis 2009, celui pour « viols et agressions sexuelles diminue » depuis 2001. Et le contentieux le plus représenté en prison est celui… des « vols de toutes sortes » (22 %). Suivi des infractions à la législation sur les stupéfiants (17 %). Les tribunaux continuent d’incarcérer en masse pour de petits délits. Et pour de courtes durées : 35 % des sortants de prison en 2013 y ont passé moins de trois mois, 55 % moins de six mois.
Les juridictions ne pourraient donc pas changer de pratiques ? Cesser de se croire obligées en cas de récidive de petits délits de prononcer forcément une sanction plus sévère que la précédente ? Après quelques peines alternatives, l’emprisonnement ferme arrive inéluctablement. Comme la seule vraie sanction, pour rester « crédible ». Mais à quelle crédibilité croit-on quand la réponse donnée ne permet en rien d’enrayer un parcours délinquant, le renforçant au contraire ? Quant à l’octroi d’un aménagement de peine, il reste perçu comme un cadeau à celui qui s’est bien comporté et a donné des « gages » de réinsertion. Comment peut-on exiger des détenus qu’ils acceptent sans broncher leur condition ? Et qu’ils présentent une promesse d’embauche dans le contexte économique actuel ? De telles anomalies culturelles ne concernent pas les seuls juges : des politiques et des médias y travaillent. La vox populi gronde. Et pourtant, il faudra les remettre en cause. Parce qu’elles tolèrent des violences d’État et ne servent d’autre n que la ère autorité du nanti. Il faudra un jour réfléchir avec le « petit récidiviste » à lui faire une autre place que celle du deal et du vol. Même s’il faut des années d’accompagnement et de politiques non carcérales pour y parvenir.
Sarah Dindo
* Florence de Bruyn et Annie Kensey, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n° 40, sept. 2014.