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« Ce sera l’oeuvre d’une vie d’intégrer tout ce qui m’est arrivé »

Sacha a connu un foyer, une famille d’accueil, les émeutes urbaines de 2005, la violence des jeunes mais aussi celle de la justice et de la prison, où il a été trois fois. Un parcours digne des « 400 coups », qui du haut de ses 23 ans, fait de lui un jeune homme en colère tout autant que déterminé à « réussir ». En particulier ses études, qu’il n’a jamais lâchées.

Où avez-vous grandi ?
Je suis né à Saint-Etienne. Mes parents se sont séparés quand j’étais petit, j’ai toujours vécu seul avec ma mère. Elle était professeur non titulaire et faisait des remplacements. Du coup, on déménageait souvent d’une région à une autre, au moins tous les deux ans. Je voyais rarement mon père, il avait de l’argent mais ne nous a jamais aidés. Avec ma mère, nous avions une relation très forte, elle m’a toujours donné énormément de temps et d’amour. Ce n’est pas dans mon enfance qu’il y a eu des problèmes.

A quel moment les problèmes sont apparus ?
Quand nous avons dû quitter un village très sympa où nous avions habité entre mes 12-14 ans. Ma mère y avait un bon poste, on vivait dans un joli appartement, j’avais une petite amie (ma première). Et là, le contrat de ma mère touche à sa fin, et nous devons rentrer dans un quartier « sensible » de Saint-Etienne où vit toute sa famille. Dès mon premier jour au collège, ça s’est mal passé, il y a eu des embrouilles. J’ai vite compris que ça n’avait rien à voir avec mon petit village, que je ne pouvais pas rester comme avant, il fallait m’imposer.
Comme j’avais de bonnes capacités scolaires, les profs ont conseillé de m’envoyer dans un autre établissement au centre de St-Etienne. Mais là aussi, j’ai eu des embrouilles dès mon arrivée. Je me suis alors rapproché d’un groupe d’élèves issus de mon quartier : on sortait, on a peut-être volé une ou deux fois un autoradio, on s’est parfois battus… Je n’avais pas l’impression qu’on faisait vraiment des conneries, mais on avait l’image de gros durs car on était nombreux.

Quelle place aviez-vous dans ce groupe ?
Ce n’était pas un groupe organisé. On était un noyau de dix de la même tranche d’âge, mais on pouvait se retrouver à quarante par moments. Ma mère ne savait pas que je traînais avec des gens pas trop « recommandables ». Un dimanche de novembre 2005, pendant les émeutes urbaines, un grand nous a proposé d’aller faire un foot avec lui. On l’a suivi jusqu’au terrain, où il y avait 30-40 personnes de tous les âges : l’ambiance était plutôt joviale, les gens discutaient, fumaient des joints… Les idées fusaient dans tous les sens, certains ont commencé à dire qu’il fallait brûler le collège, d’autres avec des scooters qu’ils allaient chercher de l’essence, quelques-uns ont préparé des cocktails Molotov mais ils n’en ont jamais rien fait… C’était de l’improvisation totale. Dans un contexte très particulier : les télévisions ne parlaient que des émeutes, des quartiers de France qui brûlaient, les gens avaient peur. Pour nous, ce n’était pas vraiment politique, mais il y avait un ras-le-bol, tout le monde en avait marre, il fallait participer.

Et vous avez participé directement ?
Sur le terrain de foot, un grand a dit à un moment : « on va brûler un bus ». Avec ma bande, on a suivi le mouvement. Je suis sûr qu’au départ, aucun de nous ne pensait vraiment le faire.
Mais un bus arrive pile et on se met tous à courir. Il y a un effet de groupe, personne ne dit stop, on se cagoule, deux gamins arrêtent le bus. Moi, je monte dedans et je crie plusieurs fois aux passagers : « descendez, le bus va brûler ! ». Ils ne bougent pas. Je vois le grand qui commence à jeter des grandes rasées d’essence sur l’avant du bus et les passagers commencent enfin à descendre. Quand il allume, je suis encore au fond du bus, mais j’arrive à sortir à temps. Et puis on repart tous en courant vers les hauteurs, d’où on peut voir de loin la fumée noire. De retour chez nous, on apprend qu’une vieille dame n’a pas réussi à sortir du bus, c’est le chauffeur qui l’a aidée. Je saurai bien plus tard qu’elle a été brûlée, avec des séquelles.
Trois jours passent et puis on entend que la police a arrêté un cousin à moi, qui n’a rien à voir avec l’affaire.

Dans quel état d’esprit êtes-vous à ce moment là ?
Je ne me rends pas compte de la gravité de ce qu’on a fait, je vois ça comme une connerie de gamins. Je passe mon mercredi en ville comme d’habitude et je rentre chez moi pour réviser et écrire un poème à rendre pour le lendemain. J’étais en train de faire une pause quand on a sonné à la porte. C’était un policier en civil. Il se trompe de nom (il y a eu confusion avec mon cousin), je réponds « non, moi j’m’appelle machin ». Il me demande une pièce d’identité, je vais dans ma chambre et il me suit. Je suis tellement tétanisé, que je passe devant l’interrupteur sans l’allumer. Je dis « attendez, je vais allumer ». Et là, ils paniquent : balayette, gros plaquage au sol, menottes… Et je me rends compte qu’il n’y avait pas un policier mais quinze ! Ils me demandent ce que je faisais dimanche, quels vêtements je portais. Ils trouvent les habits que je leur décris, les saisissent. Et tout s’enchaîne. Notification de garde à vue, perquisition chez moi. Ils m’embarquent. Une fois en bas de l’immeuble, je vois le GIPN. Il y en avait partout sur les toits, ils avaient bouclé le quartier.
Ils nous ont tous arrêtés en même temps.

Comment se passe la garde à vue ?
Elle a été « virile », je me suis pris de bonnes grosses baffes par la criminelle (c’était avant la réforme de la garde à vue !). J’ai avoué avoir participé, puis le juge a ordonné le placement en détention provisoire. Nous étions neuf à être incarcérés dans cette affaire. Je vois ma mère dans le bureau du juge, elle pleure, et moi aussi, pour la première fois depuis mon arrestation.
Je me rends compte à ce moment-là que c’est sérieux. Et je suis conduit au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand.

Quel est votre sentiment à votre arrivée en prison ?
Je n’en revenais pas. J’avais 15 ans et je n’avais jamais imaginé mettre les pieds en prison. Heureusement, la pénitentiaire a accepté de me mettre en cellule avec un autre gars de mon affaire. J’ai été entendu plusieurs fois par le juge d’instruction, qui voulait savoir qui avait ramené l’essence. Au bout de quatre mois de détention provisoire, le juge a eu l’information et j’ai été libéré. Cette première incarcération ne s’est pas trop mal passée.

Dans quelle situation êtes-vous à la sortie ?
Je sors avec une interdiction de me rendre à Saint-Etienne et son agglomération. Je ne peux donc pas rentrer chez ma mère et je suis placé dans un centre de placement immédiat (CPI), une sorte de foyer de la PJJ, à Roanne. J’étais un des plus jeunes, la plupart avaient 17-18 ans, je me faisais un peu bousculer. Et puis il s’est passé quelque chose de particulier : on m’a oublié dans ce centre. En principe, la durée maximale dans un CPI est de six mois. Mais dans la période entre l’instruction et la phase de jugement, il y a eu un temps de battement pendant lequel plus aucun juge n’avait mon dossier. Du coup, je ne pouvais rien demander : pas de permission pour rentrer chez ma mère le week-end ou la rencontrer ailleurs.
Au bout de 10-11 mois, je me suis mis à faire énormément de conneries. Je ne savais pas quand j’allais être jugé, tout le monde me disait que j’allais prendre 10-20 ans parce que Sarkozy voulait des condamnations exemplaires contre les émeutiers. Je pensais que je ne m’en sortirais pas, quoi que je fasse. Mon avocate ne m’apportait aucune information et ne tentait rien. Ma mère vivait très mal ces événements, elle ne savait pas quoi faire pour m’aider, ce qui lui était insupportable.
Elle a fait une demande pour que je sois envoyé chez mon père, mais il vivait aux Pays-Bas et cela n’a pas abouti dans un premier temps.

Votre mère voulait que votre père vous prenne en charge ?
Oui. Elle s’est dit qu’elle devait partir, pour forcer mon père à s’occuper de moi, ce qu’il n’avait jamais fait. Un jour, elle est venue me voir et m’a dit qu’elle allait devoir « partir », pour mon bien. En fait, pour elle, ça voulait dire se suicider. J’ai cru que j’allais mourir quand elle m’a sorti ça. Peu de temps après, une permission exceptionnelle m’a été accordée pour rendre visite à mon père. J’étais chez lui, quand il a reçu un appel de l’hôpital lui annonçant que ma mère avait fait une tentative de suicide. Elle était venue en Hollande pour que mon père le sache et soit obligé de me garder. J’encaisse mal : le soir, je prends ma première cuite. J’ai pu lui rendre visite deux fois à l’hôpital, avant de rentrer en France. Elle m’a dit que son plan ne s’était pas déroulé comme prévu, mais qu’elle ne voulait plus mourir. Je repars soulagé, elle reste à l’hôpital. Et ma vie reprend son cours au foyer, toujours sans nouvelle du juge.
Mais ma mère n’est plus là, je n’ai plus d’argent non plus, et je pars en vrille.

Comment se passait la vie dans le foyer ?
Nous étions douze et j’étais le seul scolarisé. Je redoublais ma Seconde parce que j’avais loupé six mois de cours avec mon incarcération. La journée, je pouvais sortir pour aller en cours et je devais rentrer au centre après. Le soir, c’était le bordel au foyer : en 18 mois, j’en ai vu de toutes les couleurs. Entre ceux qui se suicident et ceux qui agressent les éducateurs… Je suis devenu exécrable : je ne frappais pas mais j’étais très ironique et provocateur. J’ai dû me prendre plus de 50 rapports d’incident, mais personne ne les lisait, comme je n’avais pas de juge désigné ! Il n’y avait pas de sanction et personne pour me recadrer.
Je me suis mis à fumer du shit et à mettre vraiment les pieds dans la délinquance. Un soir, je me suis fait arrêter après avoir fugué et volé une voiture. Faute de juge désigné, ma liberté provisoire n’a même pas été révoquée. Je faisais n’importe quoi, j’étais quasiment suicidaire, notamment au volant. Jusqu’à ce que je sois enfin convoqué par la juge des enfants qui venait de récupérer mon dossier. Devant mes rapports d’incident, elle m’a dit : « Ok, c’est le jeu, on t’a oublié pendant 18 mois. Mais maintenant, c’est fini. » J’ai répondu ok et je n’ai plus eu de rapport d’incident. Je suis ensuite passé en Première avec les félicitations, je n’avais jamais eu un aussi bon bulletin. Tout allait beaucoup mieux, jusqu’à un événement particulier dans le foyer.

Que s’est-il passé ?
On a fait un feu dans le jardin du centre, avec l’accord du veilleur de nuit. C’était sans risque, car il n’y avait rien autour, mais il y a eu des « booms » car des déodorants ont été jetés dedans. C’est devenu un vrai feu de joie, mais la cour était grande et le veilleur était là avec nous. A un moment, les flics sont arrivés. On avait déjà éteint le feu, mais on était encore un peu galvanisés, on leur a dit de nous laisser, qu’on était « chez nous ici ! ». Finalement, ils nous disent juste qu’on n’a pas le droit de faire de feu et ils repartent. Mais quelques jours plus tard, la BAC vient tous nous arrêter.

Vous avez été relâchés ?
Non, on a tous été incarcérés pour destruction de biens publics. Le veilleur a déclaré qu’il avait essayé de nous empêcher de faire un feu, mais qu’il était impossible de nous arrêter.
En fait, le foyer avait porté plainte et il a sûrement voulu sauver son poste. Je suis resté un mois en détention provisoire et j’ai pris trois mois au jugement. A la maison d’arrêt de la Talaudière, ça se passe mal. Je n’ai plus de contact avec ma mère, personne pour me soutenir, donc pas de courrier et pas de mandat. C’est la première fois que je connais la faim. La nourriture qu’on nous distribue est parfois immangeable et nous n’avons aucun moyen de cuisiner autre chose. Nous étions six au « quartier mineurs », sans rien, pas même de tabac. En plus, il y a eu une bagarre, j’ai perdu deux dents et suis resté trois jours à l’hôpital. Puis j’ai été placé à l’isolement, donc j’étais tout le temps seul. Ces trois mois ont été les pires de ma vie.

Où êtes-vous placé à votre sortie de prison ?
On m’envoie à 70 kilomètres du foyer dans une famille d’accueil.
Ça se passe bien au début, les parents me laissent tranquille, je ne manque de rien, j’aide leurs filles pour les devoirs.
Je réussis à finir ma 1re et je passe en Terminale. Et je suis finalement jugé pour l’histoire du bus : quatre ans et demi, dont quatre avec sursis mise à l’épreuve. Les six mois fermes couvrent la détention provisoire déjà effectuée. Donc, je ne retourne pas en détention. Mais je vends un peu de cannabis pour gagner de l’argent et consommer. Et la mère de la famille d’accueil commence à ponctionner des sommes sur mes ventes, sans me rembourser. Elle trompe aussi son mari avec un gendarme qui vient à la maison quand le père est en déplacement. Pendant un an, les filles et moi en avons été témoins. Et on ne devait rien dire. Lors d’une virée en voiture avec le père, il me demande si sa femme le trompe et je lâche le morceau. Puis, je raconte tout aux services sociaux.

Avez-vous des nouvelles de votre mère pendant cette période ?
Non. Lors d’un entretien avec mon référent du foyer, il me fait écouter un message reçu des Pays-Bas sur leur répondeur et me demande de le traduire. C’est un médecin de ma mère qui dit qu’elle a disparu, qu’il ne sait plus où elle est. Et moi… je fais croire à mon référent qu’elle est décédée. J’ai dû penser qu’on me ficherait la paix comme ça. Mais le foyer l’a inscrit dans un rapport à la juge, et la fausse mort de ma mère faisait désormais partie de mon dossier. Récemment, ma mère m’a finalement retrouvé, à force de taper mon nom sur Google, il est apparu quand je me suis présenté aux élections de la fac.
On était trop heureux : c’était énorme !

Que s’est-il passé après que vous ayez raconté les problèmes dans votre famille d’accueil ?
J’ai été retiré en urgence de cette famille, j’avais 17 ans et demi. Le foyer n’avait de place nulle part, et on m’a placé dans un hôtel miteux jusqu’à ma majorité. Je mangeais des Kebab le soir, je passais mes week-ends seul dans une petite ville déserte… J’ai eu mon Bac, je voulais faire des études, mais il me manquait de quoi vivre. Entre mes 18 et 21 ans, je bénéficiais d’une « protection jeune majeur », qui donne droit à 200 euros par mois. Je n’avais pas d’autre ressource et devais payer un logement. Le juge qui me suivait dans le cadre de ma mise à l’épreuve m’a alors autorisé à partir pour l’été voir mon père, qui était en Allemagne. Je lui ai demandé de m’aider financièrement, mais il a refusé, il voulait que je reste avec lui. Je n’étais pas d’accord et on s’est embrouillés. Il ne voulait même pas me payer un billet de retour en France. Quelqu’un de la famille m’amène alors à Amsterdam, chez l’ex-femme de mon père qui accepte de m’héberger. J’y reste pendant un an : je bosse un peu et je fais des études. Le problème, c’est que je n’avais l’autorisation de sortie du territoire que pour l’été.

Finalement, vous êtes quand même rentré en France ?
Oui, à l’été 2010. Je suis hébergé par un pote à Lyon, je travaille pour avoir un peu d’argent, puis je m’inscris à la fac de droit, j’ai une copine (avec laquelle je suis toujours)… Au début de l’été 2011, un voisin m’avertit que des policiers me cherchent.
J’appelle le commissariat, mais ils m’assurent que je ne suis pas recherché. Ils me le redisent quand je me rends sur place.
Deux ou trois semaines passent et je croise un autre voisin qui me dit lui aussi qu’avant son départ en vacances, des flics me cherchaient : « Ils avaient l’air énervés, genre arme au poing et menottes à la main, il y en avait dans tout le couloir ». Je retourne au commissariat faire une main-courante pour signifier que je me suis présenté et que je suis disponible pour la police. La policière a l’idée de téléphoner à la délégation judiciaire.
Je la vois changer de tête, elle me dit de m’y présenter demain : « sinon, t’es dans la merde ». J’y vais et j’apprends qu’on en est au stade de la révocation.

Vous voulez dire que les quatre ans de sursis avaient déjà été révoqués ?
Oui, j’avais donc quatre ans de prison à faire. J’arrive à expliquer au policier que je suis étudiant, que je travaille, que je suis aussi conseiller municipal par intérim (entre temps, je me suis engagé en politique). Il est très conciliant et me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire. Un autre policier me descend en cellule et me dit que je n’ai aucune chance : « à 99 %, tu pars ce soir à Corbas ». Au bout d’une heure, le premier policier revient avec un grand sourire et me dit : « Franchement, aucun ténor ne t’aurait défendu mieux que moi. Tu sors mon gars ! Le magistrat de l’exécution des peines connaît ton dossier, il l’a mis sous la pile pour te laisser le temps de faire appel ». C’était inouï !

Comment se déroule cette procédure d’appel ?
J’ai dix jours pour contester la révocation, je trouve un avocat à 3 000 euros (j’aurais accepté n’importe quelle condition). Je passe en décembre 2011 : mon avocat m’explique que j’ai pris une révocation partielle de deux ans, mais qu’il n’y a pas de problème car c’est une peine aménageable. Il m’assure que je vais recevoir une convocation du juge de l’application des peines. Deux mois passent sans rien. Mon avocat me jure encore que c’est normal. En mars, je reçois une convocation de la délégation judiciaire pour « notification de jugement ».
Mon avocat continue de m’assurer que tout va bien se passer. Mais en réalité, une peine prononcée de deux ans est aménageable, pas une révocation. Je suis donc emmené en fourgon, direction la prison.

Votre avocat s’est trompé ?
Oui, sur toute la ligne. J’ai aussi appris plus tard que la Cour d’appel, exceptionnellement, me laissait le temps dans sa décision de me rapprocher du JAP avant la notification de jugement. Si je l’avais fait, ma peine aurait encore pu être aménagée avant l’incarcération. Mais mon avocat ne m’a rien dit. Je me suis ainsi retrouvé en prison en plein milieu de ma première année de droit. Ma copine et mes amis se sont organisés pour que je puisse passer mes examens en détention. Sans avoir pu réviser, j’obtiens 10,6 et je valide mon deuxième semestre.
Je passe donc en deuxième année. Je suis libéré au bout de sept mois et demi, en octobre 2012. Je finis ma peine sous bracelet électronique jusqu’en mars 2013, puis en libération conditionnelle jusqu’en janvier 2014.

Est-ce que vous pensez pouvoir tourner la page à présent ?
J’imagine, oui. Sauf que je rêve de devenir avocat : mon parcours n’aurait pas été le même si j’avais été mieux conseillé.
Mais la loi prévoit que « nul ne peut exercer la profession d’avocat s’il a commis des actes contraires à la probité, à l’honneur, à la loyauté et aux bonnes mœurs ». Du coup, il est possible que je termine mon Master, puis que je fasse deux ans d’école d’avocat, et que le Barreau me dise non juste avant ma prestation de serment. C’est un pari très risqué. Je ne sais donc pas exactement où je vais. Mais j’ai un grand besoin de construire quelque chose, il est inconcevable pour moi de ne pas « réussir ». Il y a de la revanche là-dedans : les éducateurs et les juges m’ont beaucoup dit que je n’arriverai à rien.

Vous n’avez pas encore l’impression de vous en être sorti ?
Je peux dire que je m’en suis sorti car tout aurait pu être pire : je suis passé à côté de la mort plusieurs fois, j’aurais pu être brisé.
Mais je ne suis pas sûr de mesurer tout l’impact de ces huit ans de stress, de ces trois incarcérations, des coups reçus… J’ai tendance à me dire qu’il peut toujours m’arriver un problème. J’ai perdu en innocence, j’ai vu des trucs de fous, genre un détenu qui arrache l’oreille d’un autre et la jette de l’autre côté du mur.
J’ai l’impression que ce sera l’œuvre d’une vie d’intégrer tout ce qui m’est arrivé. Je suis fatigué aussi, j’ai beaucoup lutté pour ne jamais craquer. J’ai aussi résisté pour ne pas céder à la facilité de faire ma vie dans la délinquance. J’ai dû m’empêcher de répondre et de m’énerver devant chaque frustration ou mauvais traitement. J’ai encore de la haine en moi contre le système, les avocats, les magistrats… La façon dont la justice te traite t’empêche d’avoir des remords et de te sentir responsable. La violence du système paraît pire que celle des actes commis.

Par Samuel Gautier et Sarah Dindo