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Cinq ans de renoncements : et maintenant?

Sortir de la référence prison. Le quinquennat de François Hollande s’ouvrait sur la promesse d’une véritable transformation des politiques pénales. Mais ces années ont été marquées par une rupture avec les engagements de campagne et une redoutable continuité côté conditions de détention. Mobilisée contre la dérive sécuritaire, la société civile tente, malgré tout, de construire le changement de demain.

On aurait aimé éviter les mots « renoncements », « échec », « reniements » pour décrire le quinquennat Hollande. Difficile pourtant de ne pas dresser un constat amer lorsqu’on exhume en 2017 les promesses du candidat socialiste. « Je veux faire en sorte que nos prisons soient adaptées à leur objectif de réinsertion […] Et pour cela, nous devons avant tout retrouver des lieux d’enfermement digne de notre pays » lançait-il en mai 2012, en réponse à une interpellation de l’OIP. Dans cette même lettre, il n’hésitait pas à dénoncer la logique du « tout carcéral », véritable « fuite en avant » de son prédécesseur, grand promoteur de constructions de prisons. François Hollande se prononçait aussi en faveur d’un meilleur accès des personnes détenues au travail et au droit du travail – en faveur du respect de leurs droits tout court.
En mai 2012, la nomination de Christiane Taubira au ministère de la Justice était venue incarner la rupture avec l’ère Sarkozy. Très vite, la nouvelle garde des Sceaux détonne par ses prises de position courageuses sur l’enfermement des mineurs, la nocivité des courtes peines, le primat de l’incarcération… Elle dénonce le conte servi à l’opinion publique : en enfermant plus, pour de plus en plus de délits, on assurerait la protection des citoyens. « Il y a des années qu’on sait que la prison, sur les courtes peines, génère de la récidive, c’est presque mécanique. Je le dis, il faut arrêter ! Ça désocialise, ça coûte cher et ça fait de nouvelles victimes » lançait la ministre.
Une rhétorique à l’opposé de celle qui faisait de la lutte contre la délinquance un outil d’affichage politique. Et du durcissement des politiques pénales l’unique réponse au sentiment d’insécurité habilement entretenu. Cette nouvelle posture promet la fin de la politique de l’émotion, la fin d’une logique qui impliquait d’élaborer une nouvelle loi en réponse à chaque fait divers. En septembre 2012, une conférence de consensus sur la prévention de la récidive est lancée. La méthode, importée du monde médical, est censée permettre une préparation collégiale et experte de la réforme pénale. Les espoirs suscités sont immenses : jamais un ministre de la Justice n’avait à ce point fait confiance dans le monde de la recherche et les acteurs de terrain. Cinq ans plus tard, le bilan des politiques carcérales et pénales est pourtant loin, très loin de ces objectifs ambitieux. Que s’est-il passé ?

UN DÉBAT PUBLIC POLLUÉ

Le sabotage du débat public par l’opposition (mais pas seulement) n’y est pas pour rien. Dès les premières annonces de la ministre, la droite relance de plus belle le concours de mauvaise foi et de populisme : la politique Taubira ferait exploser la délinquance, mettrait à égalité récidivistes et primo-délinquants, mais surtout viderait les prisons… Pendant des mois, les accusations de laxisme épaulent les tirs nourris d’intoxs, qui invisibilisent les réflexions de la conférence de consensus. En février 2012, le rapport de la conférence est néanmoins remis au Premier ministre. Parmi ses douze propositions : « Supprimer les mesures de sûreté »,« empêcher toute sortie sèche » des personnes détenues, ou encore « sortir certaines infractions du champ de la prison ». Le jury préconise aussi la création d’une « nouvelle peine indépendante de la prison ». Cette peine de probation, qui sera baptisée « contrainte pénale », deviendra le symbole de la réforme Taubira, puis de son échec.
En juillet 2013, une lettre de Manuel Valls à François Hollande marque le début de la cacophonie – et des désillusions. Dans cette missive, le ministre de l’Intérieur évoque des « désaccords interministériels » concernant le projet de réforme pénale et dénonce « [son] socle de légitimité fragile, la conférence de consensus ». Valls va même jusqu’à dépeindre cette réforme comme « un vecteur de communication politique », risquant de provoquer « un débat passionné et irrationnel, reproduisant en cela les méthodes de l’ancien gouvernement ». Comble de la rhétorique, puisqu’un des objectifs affichés de la conférence de consensus est justement de dépassionner le débat sur la récidive et la délinquance.
L’attaque de Valls est une aubaine pour la droite, qui reprend tout de go les arguments du ministre pour décrédibiliser encore plus la vision de Christiane Taubira et les chantiers en cours. Les frilosités sur la réforme pénale contaminent progressivement le Parlement et le Parti Socialiste. Quand la loi « relative à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines » est finalement adoptée par le Parlement en juillet 2014, après des mois d’attaques et de compromis, le texte n’a alors plus grand-chose à voir avec son contenu initial : la plupart des recommandations de la conférence de consensus ont été remisées dans les tiroirs. Et la contrainte pénale, qui devait être la pierre angulaire de la réforme, est devenue une peine de probation sans substance, dont les juges ne perçoivent pas l’utilité (à cause, notamment, de sa trop grande similarité avec le Sursis avec mise à l’épreuve). Dans les rangs des supporters de Taubira, et notamment dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), la déception est vive. Les promesses de création de postes ne suffisent pas à atténuer le sentiment d’un abandon.
Autre symptôme du virage politique amorcé par le gouvernement : le nouveau moratoire gelant le droit à l’encellulement individuel jusqu’en 2019, inséré dans la loi de finances 2015 pour « éviter les contentieux de détenus qui se plaindraient de l’inapplication de la loi ». Le message est clair :ce quinquennat ne sera pas – une nouvelle fois – celui d’un moindre recours à l’emprisonnement et du respect de la dignité des personnes détenues.

DES RENONCEMENTS AUX DÉRIVES

Mais le plus grand basculement a lieu en janvier 2015, suite aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher. Face à l’émotion publique et aux traumatismes, le gouvernement renonce à rationaliser le débat et à apaiser les polémiques. Pendant deux ans, les décisions relatives à la sécurité seront prises dans l’urgence, sans évaluation préalable. L’état d’urgence, sans cesse prolongé depuis le 14 novembre 2015, sert de socle à une avalanche de textes et mesures attentatoires aux libertés publiques. Loi sur le renseignement, loi renforçant la lutte contre le terrorisme, plans de lutte anti-terrorisme en prison … Une frénésie politique et législative justifiée par l’urgence de la lutte contre le terrorisme et contre la « radicalisation », un objet abstrait dont personne n’arrive à tracer les contours. Au-delà de leur caractère liberticide, l’efficacité de ces mesures est très vite décriée. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dénonce une « rhétorique martiale » qui « empêche de replacer le débat sur des bases rationnelles, seules aptes à fonder une politique efficace » et alerte sur les « dangers » que le Gouvernement « fait courir à la démocratie » (1). La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Adeline Hazan s’alarme du caractère « dangereux » des unités dédiées (2), regroupant les détenus estimés radicalisés. Les grilles d’évaluation, censées permettre la détection de ces derniers, sont critiquées par le monde de la recherche comme par de nombreux personnels de l’administration pénitentiaire. Pourtant, même les avertissements lancés par les instances internationales n’y feront rien : la France en deuil cherche un exutoire collectif et des monstres à châtier. En détention et au tribunal s’impose une logique punitive extraordinaire : en témoigne le traitement réservé à Salah Abdeslam, enfermé dans une cellule vidéosurveillée 24 heures sur 24. Motif invoqué : son potentiel suicide pourrait avoir un impact sur « l’opinion publique » (3). C’est aussi pour rassurer cette opinion que la proposition d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux accusés de terrorisme est sérieusement envisagée. Un symbole qui aura eu raison de l’endurance de Christiane Taubira : la ministre démissionne en grande pompe en janvier 2016.
Le 22 février 2017, le premier bilan des politiques de lutte contre la radicalisation est cinglant : c’est un « échec » (4) d’après les sénatrices EELV Esther Benbassa et LR Catherine Troendle, rapporteures d’une mission parlementaire. « C’est un fiasco complet, tout est à repenser, tout est à reconstruire » (5) ajoute Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat. Entre temps, Jean-Jacques Urvoas a remplacé Taubira place Vendôme. Peu connu du grand public, le nouveau ministre, féru de renseignement, a aussi été pendant plusieurs années un des principaux défenseurs des droits des détenus (et un grand pourfendeur du tout carcéral). Arrivé au gouvernement, il déclenche pourtant la surprise avec une politique pénale et carcérale qui séduit la droite de l’hémicycle. Très vite, le député Eric Ciotti (LR) se félicite d’un « esprit totalement différent » (6) de Christiane Taubira. L’esprit du début du quinquennat n’est en effet plus qu’un souvenir lointain.

LES DANGERS D’UN RAPPROCHEMENT INTÉRIEUR-JUSTICE

« Il y a un socle sur lequel on ne doit pas transiger: c’est l’équilibre entre les mesures répressives et les libertés […] cet équilibre-là n’existe plus » (7) se désole la CGLPL. En 2016, le socle a en effet vacillé. Les pouvoirs des services de renseignement et de la police sont décuplés, les outils de contrôle affaiblis. Un basculement visible pendant la répression des mouvements sociaux qui jalonnent le quinquennat. Et qui se fait ressentir jusqu’en prison. Obsédée par la nouvelle mission qui lui a été assignée (la lutte contre le terrorisme et la radicalisation), l’administration pénitentiaire peut se targuer d’être la « 3e force de sécurité intérieure ». Car le gouvernement a choisi de répondre aux attentes des syndicats de surveillants majoritaires en la rapprochant symboliquement et concrètement du ministère de l’Intérieur. Un rapprochement concrétisé par la loi du 3 juin 2016, la création du bureau central du renseignement pénitentiaire et dernièrement, la loi pour la sécurité publique. Sur le terrain, les nouvelles injonctions inquiètent, dans les Spip mais aussi côté surveillants. En coulisses ou publiquement, des personnels et intervenants refusent de devenir des agents de renseignements. Et résistent comme ils peuvent. Au-delà des atteintes à la dignité des personnes, ils dénoncent le climat de tension inévitable qui s’instaure quand toute relation de confiance est devenue impossible. Des risques bien connus : en détention comme ailleurs, le tout sécuritaire et le soupçon permanent impliquent une spirale de violence.
Dans les prisons, on assiste aussi au retour du discrétionnaire. Comme l’illustre, par exemple, en 2016, le nouveau blanc seing laissé à l’administration pour procéder à des fouilles à nu systématiques. Ou le fait que l’ouverture des cellules en journée devienne une récompense – alors que le conseil de l’Europe préconise d’en faire une norme.
En matière de conditions de détention, ce quinquennat s’est inscrit en revanche dans une triste continuité : les images médiatisées des rats aux Baumettes ou à Fresnes mettent en lumière, une fois de plus, l’inhumanité des prisons françaises. L’objectif d’encellulement individuel est une nouvelle fois enterré, et en juillet 2016 un record de surpopulation est même atteint. Au lieu de favoriser les alternatives à l’incarcération, le gouvernement choisit de poursuivre l’extension du parc carcéral. En octobre 2016, Manuel Valls annonce le lancement d’un nouveau plan de construction : 33 nouveaux établissements pour un budget de plus de 1,2 milliards. Autant d’argent public qui ne sera pas affecté à la rénovation des prisons vétustes et à l’amélioration des conditions de vie en détention.
Plus inquiétant encore : pendant ce temps-là, l’inflation sécuritaire et l’agitation politique du gouvernement ont fait écho aux discours nauséabonds de la droite et de l’extrême-droite. Quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, le populisme pénal est bien installé dans les éléments de langage et dans les programmes. Quand le Front National et une partie de la droite défendent une peine de « perpétuité réelle » sans espoir de libération à infliger aux personnes condamnées pour acte terroriste, François Fillon en campagne propose la fusion de la pénitentiaire et de l’Intérieur dans un grand ministère de la « Sécurité nationale ». Des signaux d’alerte qui, avec l’installation d’un dédain des recommandations des institutions de défense des droits de l’homme, font craindre à certains d’autres ruptures dangereuses – comme par exemple une sortie de la Cour européenne des droits de l’Homme.

D’OÙ PEUT VENIR LE CHANGEMENT ?

S’il fallait encore le prouver, ce quinquennat aura rappelé qu’on ne peut attendre des seuls responsables politiques des changements structurels. Mais aussi que libertés publiques et droits fondamentaux sont fragiles. Au printemps 2017, le tableau n’est peut-être pas complètement sombre… Car si les réactions institutionnelles aux attentats ont profondément changé le paysage politique, celui-ci a également été redéfini par une vivification de mouvements sociaux, porteurs d’espoirs et de débats. ZADs, printemps anti-loi travail, Nuit Debout, dénonciations des violences policières et du racisme d’État, mobilisations féministes… De nouvelles paroles se sont imposées dans l’espace public, de nouvelles alliances sont en cours. Pour l’historien Jean Bérard, l’apparition de cette constellation de luttes, qui toutes parlent de justice à leur façon, est une occasion à saisir.
Mais comment répondre aux aspirations de justice sociale portées par ces mouvements ? Comment prendre en compte leurs multiples attentes, parfois divergentes, pour penser un autre système pénal ? Pour le politiste Laurent Bonelli (p.32), les politiques pénales et carcérales ne pourront évoluer qu’après l’imposition d’une « décroissance sécuritaire ». Celle-ci implique un changement de regard sur la notion de sécurité, mais aussi, à court et moyen terme, une série de mesures concrètes : dépénaliser certains délits, sortir de prison « ceux qui n’ont rien à y faire » (comme les condamnés à courtes peines ou les personnes souffrant de troubles mentaux)… Des idées ancrées dans des travaux de recherche et inspirées de pratiques étrangères, qui ont déjà guidé l’élaboration d’un socle de principes porté par le Conseil de l’Europe.
À défaut d’obtenir ces transformations « par le haut », peut-on imaginer de faire évoluer les pratiques sur le terrain pour montrer qu’elles sont susceptibles de porter leurs fruits ? Pour le juge d’application des peines Jean-Claude Bouvier, passé par le comité d’organisation de la conférence de consensus, c’est désormais la voie que doivent emprunter les professionnels de la justice. D’autres proposent d’aller chercher les solutions du côté de la société civile, où fourmillent déjà les initiatives, individuelles ou collectives, et les désirs d’engagement. Les mobilisations autour des affaires Adama ou Théo, contre les violences sexuelles et sexistes, mais aussi les multiples scandales de corruption des élites ont aussi permis de dénoncer, une fois de plus, les inégalités sociales devant la justice. Sur Internet, sur grand écran, dans les rues ou sur les places publiques, des milliers de personnes travaillent à déconstruire les idées reçues, à élargir les espaces de débat. Des ressources et des expériences à faire résonner et relier dans un discours de transformation sociale.

Par Sarah Bosquet et Marie Crétenot

(1) CNCDH, Contre un état d’urgence permanent, 15 décembre 2016.
(2) CGLPL, Avis du 11 juin 2015, Journal Officiel n°149.
(3) Arrêté du 9 juin 2016.
(4) Francetvinfo, 22 février 2017.
(5) Le Monde, 23 février 2017.
(6) Nice matin, 8 mars 2016.
(7) AFP, 22 mars 2017.