Parloirs et travail maintenus, dotation en masques : la gestion de cette seconde vague en détention a été bien différente de la première. Si la prison s’est moins refermée sur elle-même qu’au mois de mars, l’automne a tout de même été synonyme d’un isolement accru pour la majorité des personnes détenues. Surtout, alors que les clusters se multipliaient en détention, le nombre de personnes incarcérées, lui aussi, n’a cessé d’augmenter.
La deuxième vague de Covid-19 qui a frappé la France n’a pas épargné les prisons, bien qu’il soit difficile d’avoir un aperçu global de la situation. Depuis le début de l’épidémie en mars, 33 clusters avaient été identifiés dans les établissements pénitentiaires au 15 octobre, 57 quinze jours plus tard et 80 à la mi-novembre(1) – et ce sur l’ensemble du territoire. Le 13 novembre, plus de 470 agents pénitentiaires et 204 détenus étaient positifs, entraînant de nombreuses mises en quarantaine (486 surveillants et 514 détenus)(2). Ces chiffres, partiels, ont été communiqués au fil de campagnes de dépistage qui n’étaient pas systématiques. Visés en priorité par les tests, les personnels pénitentiaires et les soignants représentaient logiquement la majorité des cas détectés.
Des prisons moins refermées sur elles-mêmes
Les mesures adoptées par l’administration pénitentiaire pour faire face à cette seconde vague ont été fort différentes de celles adoptées en mars. Concernant les masques d’abord : après avoir longtemps interdit aux détenus le port du masque dans les couloirs et les cours de promenade, l’administration pénitentiaire a fini par le rendre obligatoire dès la sortie de cellule à partir de fin octobre. Il aura cependant fallu attendre un rebond des contagions pour que cette disposition soit prise.
Autres différences de taille avec le premier confinement : les visites des proches, bien que réduites et strictement encadrées, ont été maintenues, ainsi que les ateliers de travail. Indispensable pour assurer un pécule aux détenus, notamment les plus indigents, le travail leur permet également de sortir quelques heures par jour de leur cellule – ce qui, alors que toutes les activités sont supprimées, n’a pas de prix. La vie a donc été moins « suspendue » qu’au mois de mars, entraînant un niveau d’angoisse moindre que lors de la première vague. Les parloirs, bien qu’autorisés, ont cependant été nettement moins nombreux qu’à l’ordinaire durant ce second confinement. Dans la plupart des prisons, leur fréquence a en effet été restreinte à un par semaine. Mais d’autres facteurs peuvent expliquer cette diminution, à commencer par la pose de cloisons en plexiglas pour empêcher tout contact physique. Une mesure vécue par les familles comme particulièrement violente. « Je n’avais pas imaginé qu’au milieu des murs déjà si froids, dans cette pièce si minuscule, on puisse rajouter un nouveau mur, pour nous séparer encore d’avantage. Cela fait sept mois qu’il m’est interdit d’enlacer mon conjoint, de sentir son odeur ou de simplement prendre sa main », témoigne ainsi une compagne. Par ailleurs, alors que le déplacement pour rendre visite à un proche incarcéré était considéré comme un motif familial impérieux, certains établissements pénitentiaires ont refusé de transmettre les preuves ou justificatifs de détention – ce qui a pu freiner certaines familles, inquiètes de se voir verbaliser. Enfin, de nombreuses prisons ont interdit la visite des enfants, fragilisant encore les liens familiaux et contraignant les parents à trouver des solutions de garde… ou à renoncer au parloir lorsque cela n’était pas possible. Dans ces conditions, le téléphone a joué un rôle clé pour le maintien des liens avec l’extérieur. Mais si de plus en plus de détenus en bénéficient, le déploiement de téléphones fixes en cellule est encore loin d’être effectif dans l’ensemble des prisons du territoire, laissant nombre de détenus dépendants de l’accès à la cabine téléphonique de la coursive. En revanche, une initiative particulière prise lors du premier confinement a été maintenue : celle de la messagerie vocale. Les familles ne peuvent pas appeler leurs proches en détention, mais elles peuvent dorénavant leurs laisser des messages, ce qui simplifie et fluidifie les échanges. Par ailleurs, comme au printemps, un crédit téléphonique a été accordé à tous les détenus (30 euros au mois de novembre, renouvelé en décembre).
Un isolement accru
Malgré ce semblant de continuité, la vie quotidienne des personnes détenues a été profondément bouleversée pendant ce second confinement. À l’exception des visites des aumôniers, toutes les activités ont été suspendues et les prisons se sont vidées des intervenants extérieurs. L’enseignement s’est maintenu tant bien que mal, par courrier, à distance, laissant de nombreux élèves sur le bord du chemin. Les activités socio-culturelles ont été supprimées, ainsi que les interventions associatives telles que celles menées par l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) ou par la Cimade. Une suppression qui a privé les personnes détenues, notamment les plus isolées, de rencontres et d’échanges. C’est également tout un travail associatif autour de la préparation de projets de sortie et de réinsertion qui s’est trouvé à l’arrêt forcé.
Début décembre s’est amorcé un début d’assouplissement de ces mesures. Les visiteurs de prison ont fait un retour progressif en détention auprès des personnes ne bénéficiant pas de la visite de proches. Les cultes collectifs ont repris, ainsi que les formations professionnelles – le tout encadré par des protocoles sanitaires stricts. En dépit des protestations de certains syndicats pénitentiaires, les familles peuvent, comme chaque année, envoyer des colis de Noël à leur proche incarcéré. Des colis qui seront néanmoins moins fournis, notamment en viande, que les années précédentes : chaque paquet devant être stocké durant 24 heures avant d’être remis aux détenus, seules les denrées alimentaires supportant une conservation à température ambiante sont autorisées.
Une occasion manquée
Il est un domaine cependant dans lequel les enseignements de la première vague ne semblent pas avoir été tirés : la surpopulation carcérale. Alors que le pays connaissait en début d’année des taux d’incarcération records, la baisse du nombre de détenus était, en mars, apparu comme le seul moyen de limiter la propagation du virus entre les murs. Grâce à des mesures volontaristes de libération anticipée combinées à la mise à l’arrêt forcé de la machine judiciaire, le pays avait connu durant la première phase de l’épidémie une diminution sans précédent de sa population carcérale. Il y avait ainsi fin mai, pour la première fois en France depuis vingt ans, plus de places de prison que de prisonniers – quand bien même ce chiffre global cachait de grandes disparités. Mille personnalités publiques, élus, professionnels de la justice, universitaires, associatifs appelaient alors Emmanuel Macron à saisir cette occasion historique pour ne pas renouer avec la surpopulation carcérale qui gangrène les établissements pénitentiaires français depuis trop longtemps. Éric Dupond-Moretti, alors avocat, comptait parmi eux. Mais l’occasion semble avoir été manquée…
Il est un domaine dans lequel les enseignements de la première vague ne semblent pas avoir été tirés : la surpopulation carcérale.
Dès le début de l’été, le nombre d’incarcérations est reparti à la hausse. Alors que les clusters et le nombre de personnes détenues contaminées se multipliaient (passant de 47 cas positifs le 5 octobre à 178 un mois plus tard), aucune mesure forte n’a été prise pour limiter le nombre d’entrées en prison. Certes, le garde des Sceaux a, le 23 octobre, invité les parquets à requérir des mesures alternatives, que ce soit lors des débats sur le renouvellement de mandat de dépôt ou au stade de l’application des peines. Une initiative bienvenue, mais insuffisante : au 1er novembre, le taux de surpopulation frôlait les 170 % à Villepinte, 175 % à la maison d’arrêt de Bordeaux, 189 % à Perpignan ou encore 196 et 200 % à Perpignan et la Roche-sur-Yon.
Par Charline Becker
Le gouvernement sous pression de la CEDH pour réduire sa population carcérale
La situation d’urgence sanitaire, qui implique de limiter la surpopulation carcérale pour contenir la diffusion du virus en prison, survient alors que le pays a été doublement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en janvier dernier pour l’état de ses prisons. Constatant le caractère structurel des conditions indignes de détention en France, la Cour demandait alors à la France « l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ». Elle pointait en outre l’ineffectivité des voies de recours offertes aux personnes détenues et réclamait la mise en place d’un mécanisme leur permettant « de redresser la situation dont [elles] sont victimes ». Les plus hautes juridictions du pays ont, depuis, tiré les enseignements de cette sanction : après la Cour de cassation en juillet, le Conseil constitutionnel a, le 1er octobre dernier, réaffirmé le principe selon lequel une personne ne peut pas être maintenue en détention provisoire dans des conditions indignes et donné jusqu’au 1er mars 2021 au législateur pour créer la voie de recours permettant de faire appliquer ce principe.
Mais cela ne répondra qu’à une des deux exigences posées par la Cour : il revient également, surtout même, au gouvernement de prendre des mesures pour réduire durablement la population carcérale et améliorer les conditions matérielles de détention. La CEDH l’a d’ailleurs rappelé dans un nouvel arrêt condamnant la France, rendu le 19 novembre dernier. Dans cette décision, qui concerne l’indemnité accordée à une personne soumise à des conditions indignes, la Cour souligne en effet qu’elle attend de l’État qu’il mette en place « un ensemble de réformes […] pour faire face au problème de la surpopulation carcérale et pour résoudre les nombreuses affaires individuelles nées de ce problème ». Et au cas où le message n’aurait pas été clairement entendu, le gouvernement a eu droit à une petite piqûre de rappel encore tout récemment. Le 14 décembre, la CEDH a annoncé la communication à la France de neuf nouvelles affaires. Les requérants, incarcérés dans les prisons de Fresnes, Grenoble-Varces et Toulouse-Seysses, dénoncent auprès de la Cour les conditions de détention qu’ils y ont subies : manque d’hygiène (murs et plafonds sales, draps lavés une fois par mois), toilettes non entièrement cloisonnées, manque d’aération et de luminosité, absence de chauffage, présence d’animaux nuisibles (cafards, punaises de lit, rats), repas de très mauvaise qualité, cours de promenade et parloirs exigus et sales, confinement 22 heures sur 24 en cellule faute d’activités, climat de tension et de violence. Certains dénoncent également avoir été soumis à des fouilles à nu injustifiées. La communication de ces affaires signifie qu’elles sont considérées comme sérieuses et fondées par la Cour de Strasbourg. À n’en pas douter, leur examen lui donnera l’occasion de faire le point sur les mesures prises par la France depuis le 30 janvier. — Cécile Marcel
(1) Selon Santé publique France.
(2) Chiffres au 12 novembre 2020.