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Des étrangers en peine d’aménagements

En l’absence de mesures d’éloignement ou d’expulsion, toutes les personnes étrangères détenues peuvent prétendre à un aménagement de peine. Pourtant, cela se révèle le plus souvent impossible notamment pour celles en situation irrégulière, la majorité des magistrats posant la détention d’un titre de séjour comme condition sine qua non.

Possibilité donnée aux personnes détenues d’effectuer la fin de leur peine de prison en milieu libre ou en semi-liberté, de manière encadrée et accompagnée, afin de faciliter leur retour dans la société, les aménagements de peine devraient en principe intégrer le parcours pénal de l’ensemble des personnes condamnées incarcérées. Si dans la réalité, ils sont loin d’être systématiquement accordés, c’est encore moins le cas pour les personnes étrangères, confrontées à nombre de difficultés pour en bénéficier. « Il y a tellement d’obstacles, témoigne un magistrat. Pour les étrangers, je dirais que j’ai 90 % de rejets, alors que pour les personnes ordinaires, j’ai environ deux tiers d’octrois et un tiers de rejets ou ajournements. » Pour les non-francophones, la barrière de la langue n’est pas le moindre de ces obstacles. Prendre connaissance de l’existence des dispositifs d’aménagement, des conditions à satisfaire pour y prétendre et des démarches à effectuer… Ce parcours du combattant devient une succession d’épreuves impossibles à franchir pour une personne ne maîtrisant pas ou peu la langue française. Mais pour celles en situation irrégulière, les difficultés sont encore décuplées.

Des barrières légales

D’abord, l’irrégularité de la situation s’accompagne fréquemment d’une mesure d’éloignement ou d’expulsion, prise préalablement ou en cours de détention. Elle vient alors automatiquement faire obstacle à l’octroi d’un aménagement de peine.

« Pour ceux qui ont une mesure administrative d’éloignement, seule la “libération conditionnelle expulsion” est possible, détaille Morgan Donaz-Pernier, juge de l’application des peines. Les autres aménagements permettant un maintien sur le territoire peuvent difficilement être prononcés – le juge judiciaire ne pouvant pas ignorer une décision administrative. »(1) La libération conditionnelle expulsion (LCE) reste donc aujourd’hui l’aménagement le plus fréquemment prononcé : dans ce cas, la personne est directement conduite, à sa sortie de prison, vers l’aéroport ou, si l’embarquement dans un avion n’est pas immédiatement possible, dans un centre de rétention administrative. Légalement, la LCE peut être prononcée sans le consentement du condamné. Dans la pratique cependant, « nous prononçons ces mesures avec l’accord de la personne, pour celles qui souhaitent rentrer chez elles, afin d’éviter des refus d’embarquement qui donneraient lieux à des poursuites supplémentaires », admet un magistrat. Mais de nombreux obstacles s’opposent parfois à son prononcé ou à son exécution. « Il peut y avoir une réticence particulière des parquets à “faire cadeau” de la moitié de la peine sans contrepartie, puisqu’il n’y a pas de suivi dans le pays d’origine », détaille Ivan Guitz, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP). Surtout, lorsqu’elle est prononcée, cette mesure peut parfois ne pas être exécutée, étant dépendante de la bonne volonté de nombreux acteurs pour sa réalisation. « Le pays d’origine peut par exemple refuser de récupérer la personne, les autorités consulaires peuvent ne pas donner les papiers adéquats, ou la police de l’air et des frontières peut avoir d’autres chats à fouetter que d’aller mettre la personne dans un avion », énumère ainsi Ivan Guitz. L’épidémie de Covid-19 a encore compliqué la situation : dans plusieurs prisons, des personnes ont obtenu depuis plusieurs mois déjà leur LCE mais, en l’absence de communications internationales, restent coincées en prison. « Depuis le confinement, on arrive à expulser en Europe, mais pour le reste du monde, c’est bloqué. J’ai des gens qui ont une LCE accordée depuis juin et la préfecture n’arrive pas à organiser l’expulsion. Et ils sont nombreux dans ce cas ! » s’indigne un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP). Autant d’obstacles qui freinent parfois le prononcé de cette mesure par les magistrats : « On essaye d’éviter de donner de faux espoirs si la mesure ne peut pas être exécutée », conclut l’un d’eux.

En principe, les aménagements de peine ne sont pas non plus accessibles aux personnes condamnées par un juge judicaire à une peine complémentaire d’interdiction du territoire français (ITF), même si elles ne font pas l’objet d’une mesure administrative d’éloignement ou d’expulsion. Mais la loi est venue assouplir cet interdit : elle prévoit en effet la possibilité pour le juge de l’application des peines de prononcer une libération conditionnelle qui viendrait « suspendre » l’exécution de l’ITF pendant le temps de la peine restant à exécuter. Surtout, à l’issue de cette mesure et si elle se déroule sans accroc, l’ITF est automatiquement relevée de plein droit. Toutefois, cette libération conditionnelle dite « suspension » reste en pratique très peu utilisée. « Je l’ai accordée deux fois en cinq ans, explique Guillaume Wickham, juge de l’application des peines à Fresnes. Par exemple, pour un détenu russe qui avait déjà eu un titre de séjour et qui était séropositif et homosexuel. Il y avait un risque de maltraitance en Russie et une perte de chances pour les soins. Mais cela reste une mesure rare. » Il précise en effet qu’« il est compliqué pour un magistrat spécialisé, juge unique, de revenir sur une décision du fond prise par trois magistrats, voire par une cour d’assises. Il faut souvent de nouveaux éléments, relatifs par exemple à l’état de santé ou à la famille, bref, un dossier très solide ». Surtout, « il faut une personne assistée par un avocat bien impliqué dans la situation et qui a une bonne connaissance du contentieux du droit des étrangers », abonde Morgan Donaz-Pernier. Car, comme le regrettent certains magistrats, cette possibilité reste en effet trop peu connue des détenus et trop peu sollicitée par les avocats.

Des aménagements rarement prononcés

Même si la pratique tend à faire penser l’inverse, en l’absence de mesure d’expulsion ou d’éloignement, tous les aménagements restent en principe accessibles aux personnes étrangères incarcérées. La loi prévoit en effet qu’ils peuvent être accordés pour tout projet sérieux d’insertion ou de réinsertion. Aussi, si les aménagements reposent le plus souvent sur un projet professionnel, les juges de l’application des peines peuvent également considérer que la régularisation de la situation est un préalable essentiel à tout projet d’insertion et mettre au cœur d’une libération anticipée les démarches visant à obtenir cette régularisation.

De ce fait, ne peuvent accéder à ces aménagements que les personnes au « fort potentiel régularisable ». « Nous ne faisons pas d’aménagement pour les personnes qui ne sont pas régularisables. Quel serait l’intérêt de faire un aménagement de quelques mois, pour que la personne se retrouve dans la même situation ? Un aménagement, c’est un changement du mode d’exécution de la peine pour faire une transition douce entre une détention complète et une liberté complète. Mais pour ceux dont on sait qu’ils ne seront pas régularisés, ça n’a pas grand sens. Ou alors on le fait sous la forme de LCE ou de retour volontaire », détaille Guillaume Wickham.

À cet égard, une forte distinction est donc faite entre les personnes ayant déjà eu un titre de séjour par le passé et les autres – les premières ayant plus de chances d’obtenir un renouvellement de leur titre et donc un aménagement de peine. « Dans un cas, l’autorité administrative a accordé un titre de séjour par le passé : elle a estimé, à un instant T, que cette personne réunissait toutes les conditions pour être régularisée. Souvent, le titre expire par négligence, et son renouvellement ne pose pas de souci. C’est la première demande qui exige un examen plus poussé. Donc nous faisons la différence entre les deux », explique un magistrat. De fait, lorsque les demandes de régularisation sont formulées pour la première fois durant la détention, les chances sont nettement plus minces d’obtenir un aménagement.

Pour de nombreux magistrats, faire sortir une personne sans papiers ni emploi reviendrait à la placer dans une situation de précarité trop importante, ce qu’ils se refusent à faire.

Les rares fois où des aménagements de peine sont accordés aux personnes en situation irrégulière, ils prennent le plus souvent la forme d’une semi-liberté. « Sur 100 personnes en situation irrégulière, sans ITF ni OQTF, dont j’examine la situation aux deux tiers de peine, je dirais que 20 % se voient accorder une semi-liberté et 5 % une libération conditionnelle », indique Guillaume Wickham. Cette prédominance de la semi-liberté s’explique par l’enjeu crucial que représente le logement dans les démarches d’aménagement. La plupart des personnes en situation irrégulière ne dispose en effet pas de logement stable et sont exclues des dispositifs d’hébergement sociaux. Et les associations proposant des hébergements conditionnent également leur accueil à la détention d’un titre de séjour. Or, « sans logement, pas d’aménagement, sauf en semi-liberté », rappelle Ivan Guitz. Mais, précise-t-il, « en semi-liberté, les places sont chères »… Autre possibilité d’aménagement : la libération conditionnelle « retour volontaire ». À la différence de la LCE, cette dernière ne peut être prononcée qu’avec l’accord de la personne, qui doit alors organiser elle-même son départ – sans savoir si ni quand l’aménagement sera accordé – et acheter elle-même son billet d’avion. Autant de conditions qui rendent cet aménagement extrêmement peu sollicité et prononcé. Quant au placement extérieur, bien qu’intéressant, il reste pratiquement impossible, les associations n’accueillant que des personnes disposant d’un titre de séjour. Une politique dictée par des raisons financières – ils ne percevraient pas de subsides de l’État pour l’hébergement des personnes en situation irrégulière – et pratiques. « Cela permet de ne pas passer les premiers mois de la mesure à travailler sur les papiers et de se concentrer sur d’autres démarches », explique Flore Dionisio, CPIP et porte-parole de la CGT insertion-probation.

Des oppositions de principe

Si quelques magistrats acceptent de prendre en compte, dans une certaine mesure, les démarches de régularisation comme un élément à part entière du processus de réinsertion, nombre d’entre eux s’y refusent absolument. De fait, dans la plupart des juridictions, la détention d’un titre de séjour est une condition nécessaire à l’obtention d’un aménagement de peine. Les CPIP le confirment de manière quasi unanime : « Pas de papiers, donc pas de droits ni d’emploi : nous tournons en rond », explique Flore Dioniso. Pour de nombreux magistrats, faire sortir une personne sans papiers ni emploi reviendrait en effet à la placer dans une situation de précarité trop importante, ce qu’ils se refusent à faire. Des pratiques qui influencent inévitablement le travail des CPIP : « Même si ce n’est pas l’idéal, nous finissons par nous caler sur ces jurisprudences… Quand on a un détenu en situation irrégulière, on lui dit qu’il faut se préparer à tirer sa peine jusqu’au bout. En six ans, je n’ai jamais vu autre chose », souffle l’un d’entre eux. « Un de mes collègues a réussi à aménager un jeune sans-papiers, qui a ensuite été régularisé par la préfecture. Mais c’est une success story tous les cinq ans », conclut Flore Dioniso.

Par Charline Becker

(1) Sauf si un recours est pendant ou que la personne justifie d’éléments nouveaux depuis que la mesure administrative a été prise.