Dans un arrêt du 17 novembre 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Belgique pour avoir détenu une personne souffrant de graves troubles mentaux dans des conditions matérielles et médicales inappropriées. Elle estime que l’intéressée a été soumise à un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention.
Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3. Le premier « est l’état de santé de l’intéressé et l’e et des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution », rappelle la Cour européenne dans sa décision du 17 novembre. A cet égard, précise-t-elle, une vigilance accrue s’impose en présence de personnes souffrant de troubles mentaux qui, du fait de leur particulière vulnérabilité, peuvent très mal supporter certaines exigences de la vie carcérale. Il faut ensuite examiner « le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention ». Enfin, le maintien en prison doit être questionné compte tenu de l’état de santé de la personne concernée. Certes, relève la Cour, « la Convention n’impose aucune“obligation générale” de libérer un détenu pour raison de santé ». Mais elle souligne avoir déjà admis que, « dans des conditions d’une particulière gravité, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale commande que soient prises des mesures de nature humanitaire ». En l’espèce, le requérant souffrait de troubles mentaux importants qui devaient donc « être pris en considération par les autorités dans le cadre de leurs décisions touchant à son régime pénitentiaire et à son maintien en détention ».
Nombreux transferts non-justifiés
La Cour a d’abord examiné le régime de détention particulièrement sévère auquel a été soumis le requérant. Elle estime que la majorité des transferts mis en œuvre n’étaient pas justifiés, ne répondant pas à des nécessités de sécurité. Plusieurs rapports psycho-sociaux et médicaux précisaient en outre que « les changements répétés d’établissement ont eu des conséquences néfastes sur son bien-être psychique ». Ces transferts ont en outre « rendu pendant longtemps quasi impossible la mise en place d’un suivi médical cohérent ». La Cour s’est ensuite intéressée aux nombreuses mesures d’isolement cellulaire imposées au requérant, ainsi qu’à l’application de « tout un arsenal de mesures coercitives », telles que le port de menottes à chaque sortie de cellule, la pratique de fouilles au corps régulières, ainsi que des restrictions apportées aux visites et à l’utilisation du téléphone. Elle signifie « avoir des doutes quant à la nécessité des mesures prises (…) sur une période aussi longue et sur une base systématique ».
Maintien en détention questionné
Les juges européens pointent ensuite l’inadaptation du régime de détention appliqué au requérant, qui n’a pas permis la mise en place d’un suivi médical adapté, alors que « l’état de santé psychique déjà fragile [de l’intéressé] n’a pas cessé de se dégrader au fur et à mesure que sa détention se poursuivait ». Et d’interroger le maintien en détention du requérant, détenu de façon quasi ininterrompue depuis 1984. La Cour relève que plusieurs dispositifs permettent en droit belge d’octroyer des permissions de sortir et des congés pénitentiaires, mais que toutes les demandes de l’intéressé ont été systématiquement rejetées. Alors même que son aptitude à être incarcéré avait été questionnée par des médecins, mais aussi par le tribunal de l’application des peines de Bruxelles. La Cour conclut que « les modalités d’exécution de la détention du requérant (…) combinées avec le retard pris par l’administration pénitentiaire à mettre en place une thérapie et le refus des autorités d’envisager le moindre aménagement de peine malgré l’évolution négative de l’état de santé du requérant, ont pu provoquer chez lui une détresse qui a excédé le niveau inévitable de sou rance inhérent à la détention ». Dans ces conditions, le seuil de gravité pour qu’un traitement soit considéré comme dégradant, au sens de l’article 3 de la CEDH, a été dépassé
CEDH, 17 novembre 2015, Bamouhammad c. Belgique, n°47687/13