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Dix mois d’attente pour un permis de visite

Détenu depuis janvier 2012, Damien a dû attendre dix mois et le rejet de son pourvoi en cassation, avant que sa compagne n’obtienne l’autorisation de lui rendre visite. En cause, la politique du parquet général de Rouen, qui ne délivre de permis qu’aux membres de la famille, entendue au sens le plus strict. Une situation révélatrice du manque de garanties apportées par la loi pénitentiaire au maintien des liens des détenus avec leurs proches.

Détenu depuis le 13 janvier 2012 à la maison d’arrêt de Rouen, Damien a attendu dix mois avant de recevoir sa première visite. Les demandes de sa compagne Catherine ont systématiquement été rejetées par le procureur général, dont les décisions de refus exigent laconiquement « un justificatif de vie commune avec Monsieur T. (document aux deux noms, même adresse). » Un document que Catherine n’a pas été en mesure de fournir, le couple ne vivant pas sous le même toit. Catherine n’a donc pu attester de la réalité du lien qui les unit : « Nous nous connaissons depuis de nombreuses années, nous avons vécu une première relation à l’âge de 19 ans. Nous nous sommes retrouvés l’année dernière et avons débuté une nouvelle relation en septembre 2011. Nous souhaitons tous les deux que notre histoire se poursuive. »

Une approche restrictive de la notion de famille

Les services du parquet général ont indiqué, le 6 juin 2012, avoir pour politique de ne délivrer de permis de visite « qu’aux personnes de la famille, à la condition qu’elles n’aient aucun lien avec l’affaire, et à l’épouse ». En l’absence de liens juridiquement établis (mariage ou Pacs), la compagne d’un détenu ne peut obtenir de permis qu’« à la condition d’attester d’une vie commune » avec le détenu. Une telle politique ferait suite à un incident survenu à la maison d’arrêt, lorsque l’épouse d’un détenu se serait retrouvée en présence de la maîtresse de son mari. Elle illustre à quel point le droit de visite pour les personnes prévenues (non définitivement condamnées, comme Damien, qui avait alors intenté un pourvoi en cassation) est insuffisamment protégé par la loi. L’autorité judiciaire compétente peut ainsi refuser d’octroyer un permis pour tout motif, sauf à l’égard des membres de la famille pour lesquels seules les « nécessités de l’instruction » peuvent justifier un refus au-delà d’un mois.

En outre, le parquet général de Rouen adopte une conception plus restrictive de la notion de « famille » que celle de l’administration pénitentiaire, dont une circulaire précise qu’elle doit s’entendre « des personnes justifiant d’un lien de parenté ou d’alliance juridiquement établi (ascendants et descendants, collatéraux, conjoints pacsés ou mariés, concubins) et des personnes ne justifiant pas d’un tel lien mais attestant d’un projet familial commun avec la personne détenue (1 )». Le même texte prévoit qu’un permis de visite peut être accordé aux « personnes justifiant d’un intérêt autre que familial pour visiter la personne détenue (proches, amis, personnes contribuant à l’insertion sociale ou professionnelle du détenu) ».

Absence de recours

Autre manifestation du manque de garanties apportées par la loi dans le cas de Damien : l’absence de recours. Les refus de permis de visite à une personne mise en examen et placée en détention provisoire prononcés par le juge d’instruction peuvent faire l’objet d’un recours auprès du président de la chambre de l’instruction. Mais lorsque la personne, ayant exercé un pourvoi en cassation, n’est pas condamnée définitivement, et que par définition l’instruction est close… il existe un vide juridique et aucune autorité ne semble compétente pour examiner le recours de ses proches contre un refus de permis de visite. En l’occurrence, Damien n’étant plus en instruction, le recours introduit contre la décision du parquet général a été renvoyé… au parquet général, qui a confirmé sa propre décision. Ce n’est que fin octobre, lorsque le greffe judiciaire a enregistré la décision de rejet du pourvoi en cassation, que Damien a été considéré comme définitivement condamné. Le chef d’établissement pénitentiaire est alors devenu compétent pour l’octroi du permis de visite, et l’a accordé en quelques jours. Le 8 novembre, le couple se retrouvait enfin pour son premier parloir, après dix mois d’attente.

Anne Chereul

(1) Circulaire du 20 février 2012 sur le maintien des liens avec l’extérieur.